Le pianiste vient de sortir un album en solo, le premier de sa carrière, acoustique et électronique. Hier soir, dans un New plein à craquer, il n’a eu sous les doigts qu’un piano acoustique, autant dire un monde en soi.
Peut-être plus que la musique, c’est d’abord l’atmosphère de la salle qui frappe, entre fin de soirée entre amis, récital classique dans la solennité d’une grande salle et concert d’un maître européen dans salon feutré. Passé un medley introductif, Sullivan Fortner dit ce qu’il a sur le cœur : « c’est bon d’être de retour à la maison ». Celle de son mentor et ex employeur le regretté trompettiste Roy Hargrove. « Il était un peu artiste en résidence ici », se souvient il, celui pour qui on trouvait toujours moyen de lui faire une place. « J’ai beaucoup appris avec lui sur cette scène, je sens son esprit ici c’est assez étrange ».
D’où peut être un premier set tout en introspection : pendant les morceaux, personne n’ose respirer trop fort, mais tout le monde vit pleinement la musique. Ce n’est pas faute de mettre le public à l’aise : entre les morceaux, il se tourne vers le public et se livre comme on le ferait à un ami à un making of de son album et a une explication de sa façon de travailler. Et modeste en plus : après avoir dit bonjour, il n’oublie pas de se présenter : « Je m’appelle Sullivan Fortner et je joue du piano. J’essaie en tous cas – parfois c’est lui qui me joue ! »
La deuxième partie, dont son morceau fétiche Don’t You Worry ‘Bout A Thing de Stevie Wonder donne le ton, est plus léger. Humour et vulnérabilité, retenue et excitation : de l’un à l’autre de ces morceaux originaux et de ces reprises, la spontanéité le dispute à l’érudition, et entre tous ces styles qu’il emprunte et ces mélodies qu’il cite, il se livre sans fard. Après avoir un peu hésité à le faire, il se lance dans Strasbourg St-Denis, le tube de Roy Hargrove né dans cette salle. Le public ne veut plus le voir partir, le rappelle une poignée de fois sur scène. « J’adore votre façon de chanter » lui lance une spectatrice. “C’est vrai que c’est presque Noël” répond-il avant de chanter, micro dans la main droite, accords sous la gauche, un Have Yourself A Merry Little Christmas où le pianiste montre qu’il a aussi vraiment de la voix. Sullivan Fortner a le triomphe modeste, mais le New Morning n’oubliera pas de sitôt cette performance hors du commun. Yazid Kouloughli
“Solo Game” (Choc Jazz Magazine) vient de paraître chez Artwork Records.