Lons : Thomas Enhco Stéphane Kerecki, en toute simplicité
Quelquefois le jazz se la raconte simple. Thomas Enhco lui raconte son anecdote avec un petit sourire au coin des lèvres « Pour dire vrai ce duo est né suite à un match de tennis que j’ai perdu face à Stéphane …Se retrouver face à face ensuite chez moi, chacun son instrument en main pouvait passer pour une sorte de revanche…» Dans la formule du duo ainsi choisie de façon fortuite d’abord projetée sur scène puis aboutie en un album à l’intitulé on ne peut plus explicite ((A modern song book / Sonny Music ) les deux musiciens assument un objectif singulier « Jouer des chansons toutes simples »
Thomas Enhco p), Stephane Kerecki (b)
Tonnerre de Jazz, Espace Chambaud , Lons;(64140), 8 décembre
Duo piano-basse donc. Sur ce dernier instrument on peut entendre deux Stéphane Kerecki en un seul bassiste. Le premier se conforme, fidèle au propos initial, au soutien, à l’ accompagnement du piano. Il se positionne ainsi dans une économie de notes, chacune choisie, travaillée sur les cordes, De quoi garder prioritairement un focus sur la sonorité de son instrument, dense, très plieine, jamais forcées ou tendue pour autant. Une filiation façon style Charlie Haden pourrait-on s’maginer sans doute par pure nostalgie. Ensuite vient à suivre le jeu des développements solos, la vertu du son demeure, bien sûr. Pourtant dès lors le débit se fait plus prolixe, les yeux clos ne font pas obstacle au besoin dans l’acte de se lâcher (Danny Boy) Le discours se renforce, à l’oreille, se complexifie. Vision un peu réductrice peut être, mais le rôle du piano se base aussi sur un modus vivendi similaire. Ainsi dans son introduction au piano Thomas Enhco concentre-t-il son jeu sur le centre du clavier. I donne un éclairage particulier au thème ( A natural woman interprèté notamment dans la voix culte d’Aretha Franklin ) par accords plaqués plein champ des médiums. Plus tard, sur l’espace global du clavier cette fois, le pianiste va chercher du côté de la contrebasse des unissons aptes à doubler la surface de la mélodie. Même souci du respect de cette ligne mélodique dans la façon de creuser son sillon profond via une chanson de Carole King.
Se noue ainsi le noeud gordien du duo: il fonctionne à plein dans la dite « simplicité » des chansons de par le parti pris de l’échange, le fameux « interplay» valorisé dans le vocabulaire du jazz. Dans ces espaces de jeu partagé, sur une saynète signée Nick Drake (Day is done) aussi bien que dans un requiem de Gabriel Fauré (Libera Me) le propos musical du chant coule de source. Les jaillissements, les trouvaillles, les instants surprises naissent lors de séquences vouées à l’improvisation.
La complicité notoire n’obère cependant en rien les personnalités propres, les qualités intrinsèques, les envies de chacun des musiciens. Stéphane Kerecki tient ainsi à rendre hommage à l’un de ses modèles de bassiste, Gary Peacock. Tempo pris en ralenti, beaucoup de relief donné sous le dessin des graves de la basse. Il y est question de richesse de son et d.application dans le phrasé toujours. Thomas Enhco pour sa part explique vouloir illustrer une part de son histoire d’apprentissage du métier « celui de la scène » au Japon dans sa jeunesse de pianiste de jazz. Suit une longue pièce aux couleurs fortes méditatives ( Halfway to Japan). Histoire de mieux se retrouver, élans et volonté commune conjugués dans un Oleo de Mujer con sombrero signé Silvio Rodriguez. Ça chante justement sous les doigts, lancès en voyage sur la basse et le piano. On imagine alors sans peine la voix du chanteur cubain très populaire dans son île de la Caraïbe. Et l’on se retrouve aussi, naturellement, pris dans un appel à la danse. Ça fonctionne aussi Lorsque le jazz ne se complique pas la tâche.
Robert Latxague
(Photos Robert Latxague)