Jazzfest Berlin (1/3)
La soixantième édition du festival se tenait du 2 au 5 novembre, sous la houlette de Nadin Deventer, avec la participation active des critiques Peter Margasak et Henning Bolte. Retour sur trois jours – sur quatre – de musique exclusivement passés dans la Haus der Berliner Festpiele, où l’offre abondante impliquait choix et renoncements.
L’intitulé du concert, “Laying Demons to Rest”, reprend le titre du disque de Fred Frith (elg, voc) et Susana Santos Silva (tp, fl, voc) paru sur Rogue Art en duo sans la brésilienne Mariá Portugal (dm, voc), présente ce jour. De fait, le set peut être perçu comme une variation-extension de l’album, une suite improvisée ininterrompue et pleine de relief. La percussionniste-vocaliste, apporte, discrètement mais sûrement, sa personnalité au projet. Le film « Step across the Border », consacré à Frith et qui fut en son temps une révélation, est projeté à cette édition, jolie manière de donner à mesurer le chemin parcouru depuis la réalisation de ce documentaire poétique jusqu’aux muses convoquées ce soir. Une musique qui ne s’interdit (toujours) rien, fait appel au rythme, joue avec les codes du format chanson, reconfigurés dans un continuum qui laisse une empreinte sur l’auditeur. Silva est une partenaire tout indiquée pour Frith, elle aussi férue de techniques inorthodoxes de sa confection. Des cellules forment des mondes dans des mondes. Triturations métalliques, souffles obliques, coquillages et pinceaux, tout est bon pour faire advenir la magie des sons. Après une incantation vocale sans paroles du trio, la musique s’agrège pour le final en un rock déstructuré, porté par une guitare incisive.
Le “Circus” de Paal Nilssen-Love vient dissiper le charme. Apprécié en d’autres contextes, le batteur peine à convaincre avec cette formation, dont les approximations et concessions au spectaculaire l’emportent sur la direction musicale. Dans le septet se distinguent surtout l’altiste Signe Emmeluth, par la précellence de ses interventions, et la chanteuse/performeuse Juliana Venter (voc), par son omniprésence qui en fait la vedette du set. On est aspiré dans un maelstrom dès l’abord. Venter se contorsionne comme une possédée, lance des paroles revendicatives en anglais. Tout le monde danse, comme dans le Supersonic Orchestra (déjà avec Emmeluth), dont ce Cirque apparaît comme une version brouillonne et dissipée.
La soirée thématique Rêves soniques entend immerger l’auditoire dans la scène, très active et bien représentée dans les festivals européens, de la Cité des vents. Pour ce faire, le plateau se déplie et s’étend en un vaste espace ouvert, qui voit différents groupes de Chicago s’exprimer tour à tour à ses différentes extrémités, pour un public debout. Cette configuration inhabituelle ne s’avère guère pratique pour prêter à chaque formation l’attention requise. On entend ainsi The Separatist Party par-dessus un horizon bouché. Le groupe avec Mike Reed (dm), Ben LaMar Gay (cnet, bugle, perc) et Marvin Tate (voc) propose une cohérente et convaincante union de groove, spiritual jazz, adresse instrumentale et spoken word engagé.
Si ce concert s’est dérobé à ma vue, je me retrouve par hasard au bon endroit pour un gig non annoncé et qui plus est excellent, par le trio d’Ari Brown (s), Joshua Abrams (b) et à nouveau Mike Reed (dm). Free jazz du meilleur tonneau pour un set court et classique, qui vient contrebalancer les excès ou la monotonie de ce qui a précédé et va suivre. La décoction électro de Bitchin’ Bajas suscite peu d’enthousiasme et une partie du public opte pour une circulation sur le plateau, occasion d’échanges entre artistes, journalistes et organisateurs, après quoi chacun se dirige vers la scène où Natural Information Society s’installe.
Après leurs prestations avec Evan Parker, on retrouve Joshua Abrams (guembri), Lisa Alvarado (harmonium), Jason Stein (bcl) et Mikel Avery (perc), avec Ben LaMar Gay (cnet, bugle, perc) et en invités Ari Brown (ts) et les autochtones Anna Kaluza (s), Mia Dyberg (s) et Axel Dörner (tp). On guettait l’influence de ces derniers sur la formation, dont les transes uniformes peinent à se renouveler. Las, les invités se fondent dans le moule de la répétition rigide de N.I.S. au lieu de l’irriguer par les idées et la fraîcheur dont on les sait capables. David Cristol
Photos : Camille Blake, Peter Gannushkin & Fabian Schellhorn