Jazzfest Berlin (3/3)
Jazzfest Berlin est l’une des manifestations les plus artistiquement valides sur le Vieux continent, présentant un concentré des musiques de jazz (au sens étendu que revêt désormais cette dénomination), représentatives de la scène actuelle, laquelle compte autant de vénérables anciens que de jeunes artistes confirmés ou méconnus.
“Proximity” est le duo de Bill McHenry (ts) et Andrew Cyrille (dm). Aux côtés du batteur qui a été de manière décisive de toutes les décennies du free jazz, le ténor est une révélation, lors d’un dialogue limpide, plein de sagesse, de panache et d’humour discret. Avec une assurance tranquille, ne sont jouées que les notes et frappes nécessaires, dans une économie contemplative, guère dans l’air du temps et pourtant tellement appréciable. La complexité est restituée avec simplicité. Pas de concept, rien que de la musique, des hommages à Muhal Richard Abrams et autres compagnons de route, de la part d’un artiste qui accumule les chefs d’œuvre discographiques dans sa huitième décennie et a trouvé un partenaire digne de sa flamme et de son flegme.
En 2023 Eve Risser était partout avec son Red Desert Orchestra et son projet “Eurythmia” – à Moers, à Lisbonne, à l’affiche de tous les festivals ; et ne semble pas devoir s’arrêter en si bon chemin puisqu’elle jouera à Sons d’Hiver en janvier. On comprend les programmateurs, tant sa musique désormais accessible, immédiatement séduisante ne perd rien en qualité, tant au niveau des compositions que des interprètes. Les conditions d’écoute sont en outre meilleures qu’en d’autres occasions et permettent d’apprécier pleinement ce jazz imprégné des rythmes d’Afrique de l’Ouest. Quelques changements de line-up n’altèrent en rien la cohésion ni le flot. Avec, au vu d’une circonstance récente, un hommage à Carla Bley, dont on comprend que le parcours ait pu inspirer la pianiste et compositrice, même si leurs esthétiques ne sont pas identiques. La présence de Susana Santos Silva est un bonus, la trompettiste se démultipliant ces derniers temps, s’adaptant aux contextes les plus divers et tirant son épingle du jeu.
Le prix Albert Mangelsdorff est remis au tromboniste ex-est-allemand Conny Bauer, à l’occasion de ses 80 ans, avec un concert à la clé. Le musicien fut du festival l’année de la réunification en 1990 et retrouve ce soir ses partenaires de « Tender Exploration » (enregistré en 2010 à New York et publié trois ans plus tard) William Parker (b) et Hamid Drake (dm), indéfectible rythmique (encore que cette appellation soit réductrice dans leur cas) de maintes sessions et formations, parmi lesquelles In Order to Survive et Die Like a Dog. Le passif des protagonistes donnait à envisager une musique remuante, mais le trio opte pour une approche détendue et sans urgence, pas dépourvue de swing, pour un set fraternel.
Cette 60e édition donnait à entendre une multitude de formations selon un arc stylistique large et des propositions tranchées. Propositions qui ne peuvent pas toutes prétendre au même niveau de réussite ni plaire à tout le monde, mais l’essentiel réside dans la possibilité d’y être exposé. Rarement a-t-on entendu autant d’avis divergents sur telle ou telle formation, pendant les pauses ou au sortir des salles. Cette absence d’unanimité témoigne de la vivacité et de l’impact d’esthétiques en constante évolution. David Cristol
Photos : Peter Gannushkin & Roland Owsnitzki