Laurent Dehors : « J’aime que ma musique ressemble à ma vie »
Le 20 janvier, le clarinettiste et saxophoniste et son orchestre multigénérationel Tous Dehors sont attendus à Radio France pour un concert événement. Une bonne occasion de l’interroger sur la scène foisonnante des grandes formations et sur sa musique.
au micro : Yazid Kouloughli / photo : Loïc Seron
Il y a beaucoup de grandes formations en France, comment expliquer une telle richesse, et est-elle pour vous une source d’inspiration ?
Je crois que association Grands Format a donné envie à beaucoup de jeunes de monter des formations. Et puis on est de plus en plus sur terre, et avec toute la pédagogie développée depuis vingt ou trente ans, il y a de plus en plus de gens qui jouent très bien , qui ont des idées et l’envie de les mettre en oeuvre. Dès lors que les gens proposent des choses originales, je considère que plus on est de fous, plus on rit ! Mais ça reste un combat de tous les jours et énormément d’artistes passent encore 80% de leur temps à faire autre chose que de la musique, à monter des dossiers, à chercher des programmateurs… Il faut batailler mais ça a porté ses fruits.
A quoi ressemblait la scène des grandes formations à l’époque où vous avez formé la vôtre, en 1995 ?
C’était assez différent, il y avait plus de cases en termes de styles. J’ai été l’un des premiers à nourrir ma musique de tout ce que j’avais écouté, de Mozart que j’avais travaillé pendant mes études jusqu’au baloche, j’ai fait du rock dans la cave, de la clarinette et de la cornemuse, je ne m’interdis rien. A l’époque c’était un peu neuf, certains ne se voyaient pas jouer certaines musiques. Mais après toutes ces années, malgré les changements de personnel et même si on s’est nourri de plein de musiques différentes, l’orchestre à gardé sa couleur et son style.
On entend dans votre musique beaucoup d’humour mais aussi des passages plus apaisés et contemplatifs. Comment décriez-vous cette couleur justement ?
Je vais dire une chose bête mais j’aime bien que ma musique ressemble à ma vie. J’ai des enfants avec qui on aime bien se marrer mais il arrive parfois des choses dans la vie qui sont moins drôles, et j’aime que ça s’entende dans ce que je propose.
Est-ce que vous choisissez les membres de l’orchestre en fonction de leurs instruments et compétences, ou est-ce d’abord une question de personnalité ?
C’est avant tout la personnalité des gens qui me touche. Ensuite je fais ma sauce pour que tout le monde ait à manger ! J’aime aussi beaucoup jouer avec les timbres et faire sortir les instruments des sentiers battus, mêler flûte basse et flûte piccolo, faire entendre du banjo, du soubassophone… pour moi la musique c’est de la cuisine, des assemblages. Une partie des morceaux est écrite mais des propositions peuvent bien sûr être faites par les membres de l’orchestre. Il y a d’ailleurs encore des cadres historiques dans l’orchestre comme le tromboniste Michel Massot, je travaille avec le même trio, avec Gabriel Gosse à la guitare et Franck Vaillant à la batterie, depuis une quinzaine d’années, et il y a tout un tas de jeunes recrues que j’ai repérées par exemple au CNSM et qui ont accepté de travailler avec moi.
Qu’est-ce qu’on apprend dans une grande formation qu’on ne peut apprendre ailleurs ?
On apprend à laisser de la place, qu’on n’est pas seul au monde et que la musique se fait en collectif. C’est comme une équipe de rugby : chacun à sa place et si quelqu’un n’est pas là, ça ne sonne plus pareil. En petite formation on a plus de place pour montrer ce qu’on sait faire ; là, le savoir-faire est différent, il faut se mettre au service du son du groupe, être concentré sur ce qu’on fait mais avoir une écoute globale.
S’il y a bien un contexte où ne dit jamais « Ok Boomer » à un de ses aînés, c’est bien un orchestre de jazz non ?
Avant toute chose, je suis né dix ans trop tôt pour être moi-même un boomer ! Dans l’orchestre, le plus vieux à 63 ans et la plus jeune 23 ans. Parfois, quand des jeunes n’ont rien à argumenter ils peuvent dire « ok boomer », ça clôt le débat et on passe à autre chose. Moi j’ai justement envie que le débat puisse continuer, il faut absolument qu’on se parle. Je prends donc cette expression à la mode avec recul et humour. Dans cet orchestre il y a toujours eu des vieux et des jeunes, des gars et des filles – bien avant que le ministère nous le demande ! –, et j’ai envie que ça continue parce qu’on se cause, pour de vrai. Et la musique ne serait pas la même sans tout ça.
Concert le 20 janvier à Paris (Maison de la Radio et de la musique – Studio 104)
CHRISTIAN ALTEHÜLSHORST trompette
CÉLINE BONACINA saxophones
LAURENT DEHORS composition, direction, saxophones, clarinettes, harmonica, cornemuse
ROSE DEHORS flûte à bec, trombone, sacqueboute
MATTHEW BOURNE piano
JOËL CHAUSSE trompette
ELIOT FOLTZ percussions clavier, électronique
GABRIEL GOSSE guitare sept cordes, banjo
FANNY MARTIN flûte, flûte basse, piccolo
MICHEL MASSOT tuba, trombone, euphonium
CHRISTELLE RAQUILLET flûtes, piccolo
FRANCK VAILLANT batterie, batterie électronique
JUAN VILLARROEL contrebasse, basse électrique