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Publié le 16 Jan 2024

Michel par Petrucciani, épisode 11

Michel Petrucciani nous a quittés le 6 janvier 1999. Chaque jour jusqu’au 25 janvier, date de la sortie du nouveau numéro de Jazz Magazine dont il fera la Une, retrouvez en vingt épisodes la vie incroyable de ce pianiste hors norme, telle qu’il l’avait racontée à Fred Goaty à l’été 1998.

« À l’automne 1982, j’ai joué au Festival de Jazz de Paris avec Charles Lloyd. Je revenais en France et j’étais “américain” : je parlais américain, j’avais un look américain, j’arrivais en sandales – on jouait pieds nus ! –, j’étais loin des us et coutumes françaises… Américanisé, et même “californisé” ! Pas encore New York, mais les Navajos, le soleil, la Californie quoi… Ce sont les plus beaux moments de ma vie. J’ai tout savouré. Je découvrais les voyages, l’avion, les hôtels. Charles ne voulait que de très beaux, de très grands hôtels. On admirait ces immenses salles de bain, on appuyait sur tous les boutons. Moi le péquenot, le provincial, qui ne connaissais pas grand-chose de la vie, qui n’avais jamais vu de limousine, de quatre étoiles, de “room service 24 hours a day”, j’étais émerveillé ! Et la première fois où nous sommes allés en Suisse ! L’accent déjà… Et le Japon, les Japonais ! Treize heures d’avion, j’étais ravi ! Maintenant, et c’est dommage de dire ça, je suis un peu plus blasé. Ça me fait toujours plaisir, mais il n’y a plus la flamme de la première fois. Je suis allé au Japon vingt-cinq fois, à Montreux je ne sais plus combien de fois. Les avions, j’en prends trop, ça me fatigue. Attention : je parle “carrière” ! La musique, c’est différent. Aujourd’hui, en quelque sorte, on me paie pour faire ma valise. Ma musique, elle, est toujours gratuite, mais faire ma valise coûte de plus en plus cher, car j’ai de moins en moins envie de la faire. En revanche, à cette époquelà, j’étais toujours partant ! Et pourtant je n’avais pas un rond, Charles Lloyd me filait zéro centime ! On a travaillé cinq ans ensemble, et j’ai fini par partir… En octobre 1982, j’ai enregistré mon premier vrai disque en piano solo, “Oracle’s Destiny”, que j’ai dédié à Bill Evans. C’est Jean-Jacques qui y tenait, mais je n’étais pas vraiment capable, à cette époque, de faire tout un disque en solo. Le premier, en fait, je ne l’ai enregistré que douze ans plus tard, c’est “Au Théâtre des Champs-Elysées”, pour Dreyfus Jazz. Cette année-là, 1982, le cinéaste Frank Cassenti a tourné un film sur moi, Lettre à Michel Petrucciani, qui a été présenté au Festival de Cannes en 1983. C’est Jean-Jacques qui avait tout organisé et branché Frank pour faire ce film. Frank travaillait comme cameraman sur un autre film, et, lors du tournage, il finissait tout le temps avant la fin des bandes. Quand il changeait de bande, il prenait discrètement le reliquat des bandes de l’autre mec pour faire son propre film… C’étaient ses débuts à lui aussi. Depuis, ce film est passé plusieurs fois à la télé. J’avais encore vachement l’accent du Midi à cette époque… » (À suivre.)