40e rugissant: jazz Baiser Salé sucré
Cette semaine le Baiser Salé célébrait en 40 concerts le 40e anniversaire de l’existence du club de la rue des Lombards à Paris. Un certain nombre de musiciens qui y avaient vu leur nom inscrit pour la première fois à l’affiche dans la capitale sont remontés sur la scène, au premier étage du « Baiser » comme ils ont coutume d’appeler l’établissement parisien toujours drivé par sa muse, Maria Rodriguez. Rendez vous avec certains fidèles le temps d’une soirée…
André Ceccarelli (dm), Diego Imbert (b), Pierre-Alain Goualch (p)
Baiser Salé: 40 e anniversaire, Paris, 26 janvier
Ouverture de Porgy and Bess: un certain allant, des structures claires, des mesures qui avancent toutes seules comme sous un vent porteur: Que ça doit être agréable pour un pianiste d’avoir une rythmique pareille, apte à pousser comme çà pour célébrer un opéra…jazz signé Gershwin. « Bess you’re my woman » démarre sur une Intro très fine, les accords sonnent clair au centre du piano de Pierre-Alain Goualch. Diego Imbert lui soigne le son de sa contrebasse quelque soit le tempo abordé. Ainsi juste avant de produire une version de Sumertime orné de quelques originalités discrètes, bien à l’image du trio, ce dernier fait vivre au plus juste l’exercice de l’archet.
André « Dédé » Cecarelli, yeux clos comme pour mieux vivre intérieurement cette musique qu’il a choisie, comme toujours, fait montre de finesse. Frappes amorties sur une mailloche main gauche et deux doigts seulement à droite histoire de caresser sur la peau de la caisse claire. Il tisse savamment sans y paraître une toile swing d’école, exemple d’ouvrage d’art, de jeu de maître. Sur le final de Crown reprenant un thème du « Porgy and Bess version Miles » Dédé laisse les ballets pour les baguettes et dit d’un humour qui n’en paraît pas « c’est là que ça se complique…» Pas pour son trio, visiblement. Ça coulera soyeux jusqu’à la fin.
Sylvain Luc (g)
1 solo
L’exercice correspond au contenu de son dernier album en date construit autour de chansons. Et cette guitare solo se trouve ancrée, il le raconte au public dans ce même lieu cher à sa carrière « J’ai été adoubée tout jeune guitariste par la maitresse des lieux, l’incontournable Maria Rodriguez. Elle m’a fait confiance alors que je débutais. Je me suis retrouvé sur cette scène, seul avec ma guitare. Ça a donné lieu à mon premier album du genre par la suite… » Il joue alors un thème de ce disque point de départ (Heure danse) Glisse à plaisir sur une chanson de Jao Gilberto (Valsa) Retrouve en marque de douceur une chanson basque (Amezkerri) jolie mélodie de son enfance qu’il entendait s’échapper, mutine, de l’accordéon de son frère Gérard. Et conclue sur une chanson du « French Book Song » ( Indifférence, de Tony Murena) comme si la mélodie traversait des paysages imaginaires teintés de couleurs pastels. Le guitariste bayonnais mine de rien produit à chaque instant un travail imposant sur le contrôle du son, quel que soit le doigté, les positions sur le manche ou sur les cordes. Pourtant sa marque de fabrique reste sa capacité à faire en sorte de dépasser les structures classiques -accords, grilles harmoniques, plans de rythme- afin que l’on ne retienne au final de sa guitare que la ligne d’un chant, simplicité d’écoute qui s’impose au delà d’un exercice instrumental, musical, d’un complexité évidente. L’art de Sylvain Luc c’est veiller à ce que ces lignes mélodiques ne se retrouvent jamais captives. Qu’elles vivent à l’air libre.
2 Trio:
Sylvain Luc (g), , Swaeli MBappé, (elb), Tiss Rodriguez (dm)
Sur sa même guitare, debout désormais, il lance l’action en découpe d’accords, franches, tranchantes. Ses deux jeunes invités -pour eux, avec lui, il s’agit d’une première- prennent le courant du tempo. Ils improvisent c’est clair. Mais le leader en mode grand frère, garde lui les clefs du camion.
Exercice plus plus cool à présent. Plus fin également tout au long des sinuosités d’une ballade. Là encore le son vise juste, tombe à pic quant aux modulations de la guitare. Sylvain Luc a toujours ce sourire, un affichage naturel de bien être sur scène qu’il s’applique à communiquer aux autres musiciens. Eux, les deux «djeuns» s’éprouvent sur des schémas rythmiques serrés, se lâchent dans des exercices de solos successifs. Sylvain Luc accompagne, souligne, provoque. Lâche des éclairs soudains. Sa guitare n’en finit pas de tirer le set dans une version électrique immédiatement appréhensible pleine d’éclats.
Jean Marie Ecay (g), Patrick Manouguian (g), Jean-Michel Charbonnel (elb), Fabrice Moreau (dm)
« Marius » composition du bassiste dit une histoire racontée au travers d’une mélodie parlante plantée dans un décor d’aiguës de la part des deux guitares qui, à ce moment se soutiennent plutôt qu’elles ne se challengent. On connait -et le jazz hexagonal le lui reconnaît volontiers- le sens de la nuance, la capacité à changer de climat de Fabrice Moreau. Sur Soleil rapide une de ses compositions la batterie se fait très expressive dès l’introduction du morceau, alternance de cymbales et caisses utilisées à bon escient, toujours avec le souci d’une musicalité constante.
Bien sur dans le groupe domine la présence des guitares. Jean Marie Ecay va toujours chercher la mélodie, en appui, en exploration dans et autour des lignes tracées, softs ou plus acides selon le climat, le contexte. La 2e guitare , celle de Patrick Manouguian sort plus linéaire, mais au besoin en traits tranchants malgré tout. Au total pour ce set voué à célébrer leBaiser Sallé le groupe rassemblé pour l’occasion livre « live » un son dense, de quoi créer in extenso une musique électrique façonnée au carré. Facile à recevoir en direct.
Robert Latxague