Jazz live
Publié le 4 Fév 2024 • Par Xavier Prévost

Sons d’Hiver : Sylvaine Hélary, Will Guthrie, Ghassen Chiba, Saghar Khadem et Joachim Florent

Rituelle étape du festival Sons d’Hiver, accueilli comme chaque année pour un soir par le Théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine, dont le responsable souligne en présentant le concert le souci de parité dans la programmation, ce qui aujourd’hui tendrait parfois à concurrencer l’axe artistique. Ce n’est évidemment pas le cas ici, mais il est a noter que sur 15 artistes (j’inclus la création lumière et le son), 8 femmes sont au programme de ce soir. L’honneur est sauf. L’affiche annonçait d’abord la grande formation, puis le quartette. Mais, pour une logique de changement de plateau, l’ordre est inversé. Ce qui n’arrange pas le chroniqueur, toujours en butte aux suppressions de RER en soirée (même le samedi !) : pour ne pas manquer le dernier train à Magenta-Gare du Nord (à 22h59), j’avais prévu de partir au cours de la seconde partie. Mais comme le principal motif de ma venue est la découverte de l’orchestre de Sylvaine Hélary (que je n’ai pas encore eu l’occasion d’écouter), je sais qu’il me faudra au retour, via le métro de banlieue et un bus de substitution, deux heures pour regagner mes pénates séquano-dionysiennes, contre une heure seulement à l’aller….

WILL GUTHRIE-GHASSEN CHIBA-SAGHAR KHHADEM-JOACHIM FLORENT (création)

Will Guthrie (batterie, percussions), Ghassen Chiba (voix, bendir, shruti box, petites percussions), Saghar Khadem (zarb), Joachim Florent (contrebasse)

Ivry-sur-Seine, Théâtre Antoine Vitez, 3 février 2024, 20h15

Un batteur australien devenu nantais, un vocaliste tunisien, une percussionniste iranienne et un contrebassiste belge : cette musique est assurément ’du monde’, au sens le plus large, et influencée, entre autres sources, par le jazz. Elle emprunte aux répertoires du Maghreb, du Moyen-Orient, et au-delà. Prégnance de la percussion, mélismes et méandres de la voix, pulsation ou chant legato, à l’archet, de la contrebasse, tout est là pour nous faire voyager dans un imaginaire aux multiples escales. Pour accompagner quelques séquences au tempo moins marqué, la shruti box (ancêtre, venu d’Inde, de l’harmonium) va offrir le continuo persistant sur quoi s’appuient les excursions modales. Beau moment de musique, chaleureusement salué par le public.

SYLVAINE HÉLARY & l’ORCHESTRE INCANDESCENT ‘Rare Birds’

Sylvaine Hélary (flûtes en do & en sol, flûte basse, piccolo,voix, compositions), Antonin Rayon (claviers, électronique), Elodie Pasquier (clarinette & clarinette basse), Christiane Bopp (trombone, saqueboute), Maëlle Desbrosses (violon alto,alto, viole d’amour), Lynn Cassiers (voix, électronique, clavier), Chloé Lucas (ténor de viole & basse de viole), Guillaume Magne (guitares, voix), Jim Hart (batterie), Anaëlle Marsollier (ingénieure du son), Aurore Gibert (création lumière)

Ivry-sur-Seine, Théâtre Antoine Vitez, 3 février 2024, 21h30

Ce programme a été créé en 2023 au Théâtre de Vanves, puis donné à Tours au Petit Faucheux, et au festival D’Jazz de Nevers (chronique de Stéphane Ollivier ici). Il est inspiré par les poèmes d’Emily Dickinson, et aussi par des textes de la chanteuse britannique P.J. Harvey. Un instrumentarium singulier, qui emprunte à la musique ancienne (Viole d’amour, basse de viole, saqueboute….), comme au jazz et au rock (piano électrique, synthétiseur, batterie….) : un matériau pour des formes musicales d’une grande richesse, et d’une belle diversité. Flûtiste superlative, Sylvaine Hélary est aussi une vraie compositrice, avec un très grand sens de la forme, des couleurs, des combinaisons de timbres, et un talent particulier pour construire un univers autour des solistes qu’elle a choisis, pour l’interprétation comme pour l’improvisation. On chemine entre le jazz, la musique dite savante du vingtième siècle, la musique anglaise de l’ère baroque, et le rock progressif british à tendances jazzifiées . Le vieil amateur de jazz que je suis écoutait aussi avec bonheur, au tournant des années 60 et 70, Soft Machine et King Crimson…. Un instant je crois même entendre une version progressive du bon vieux jazz rock des seventies. Harmonies sinueuses et finement conduites, libertés audacieuses, tout se construit, se déroule et s’épanouit dans une dramaturgie très fine, et sans emphase. C’est brillant, et cependant d’un accès émotionnel immédiat, avec une fluidité qui permet de transiter du collectif aux solistes, avec une singularité de tous les instants, ce qui met en lumière la profondeur et la densité de la musique. Le son, très finement géré, contribue à la réussite. Un court passage où la voix de Lynn Cassiers était un peu noyée dans la réverbération (jusqu’à compromettre l’intelligibilité du texte) ne suffit pas à altérer mon bonheur musical. Formidable concert de la flûtiste-compositrice et de sa bande. J’en garde (et garderai) un souvenir ému.

Xavier Prévost