Éric Seva Daniel Zimmerman, noces de cuivre à Tarbes
JazzMDA, Petit théâtre Maurice Sarrazin, Tarbes.
Par Robert Latxague
Il ne s’est pas manifesté dès l’entrée en matière du concert, ce moment fort, mais plus tard, lorsque présentant le thème de Piazzolla, Libertango, Eric Seva, la gorge serrée, l’a dédié à son père, musicien et saxophoniste lui aussi, disparu le mois dernier. Moment d’émotion intense et de feeling mêlés dans la chaleur d’un tango, « cette musique qu’adorait mon papa, le bandoneón en particulier. Mon père m’avait fait le cadeau de m’emmener assister à un concert du musicien argentin à Paris. Je n’ai jamais oublié ce moment… ».
Piazzola, justement en introduction pour son Oblivion. Occasion pour le duo de jouer sur le / les temps, pris en avant ou au fond, métamorphose d’un tango qui tangue tant. Déjà les sonorités résonnent en accord dans un registre de basses tendance moelleuse. Daniel Zimmerman y soigne ses attaques. Le duo parie sur la mélodie, sax baryton et trombone s’y croisent en chemin. Même intention, résultat similaire sur Luz d’Eus : la ligne mélodique de fond vaut signature sur cette composition du saxophoniste, en opposition de phase avec le travail de découpe fine du trombone. De ce lieu fétiche des Pyrénées, de sa lumière réfléchie en notes, Eric Seva en fait un chant. La formule du duo en garde rapprochée des souffles donne à la musique produite un caractère d’intimité apte à être partagée. Les tâches instrumentales se font complémentaires, travail sur l’air pulsé, sur la palette des sons mis en action, en expression libre via l’improvisation. Un souvenir des couleurs fortes de la musique gnawa chez Zimmerman donne libre cours à quelques petites séquences rythmiques très prononcées comme autant de rituels teintés d’africanité, donc sensibles à la danse. Sur la musique des Valseuses -le film culte de Bertrand Blier– signée Grappelli le dialogue s’installe autour des notes glissées s’échappant du trombone tandis que le sax baryton fait sonner lui la puissance sur toute son immense tessiture, gravant des notes du plus bas jusque au très haut, question sans doute de maîtrise technique autant que d’inspiration.
Ainsi les discours s’enchainent, parallèles dans l’unisson ou croisés par surprise voulue. L’acte musical d’un un duo si physiquement rapproché procède à l’évidence d’une vraie complicité d’intentions. Les attaques sur l’instrument, bec ou embouchure disent beaucoup des personnalités de l’un comme de l’autre sur l’utilisation des tubes cuivrés. Pourtant la rencontre s’impose d’elle même in fine sur la musique jouée live. Au naturel.
À fortiori à l’écoute d’un thème culte du jazz ce « Caravan » que l’on a spolié à un tromboniste au profit d’un chef d’orchestre de légende » persifle Daniel Zimmerman de son humour grinçant – pour beaucoup ce morceau est du à la plume de Duke Ellington alors que son véritable compositeur est l’un des trombonistes du Big Band, Juan Tisol. Y résonnent alors des éclats de sons sur une ligne mélodique ultra connue, jetés ainsi tels des cristaux sonores façon purement «live», sorte de prismes de glace captant la lumière ellingtonienne.
Si un jour le duo Seva-Zimmerman devait célébrer ses noces d’un temps passé par consentement de souffles mutuel, les alliances du couple ne pourront être que de…cuivre !
Eric Seva (ba s), Daniel Zimmerman (tb)