Brad Mehldau : de Beethoven à Elliott Smith, en passant par Fauré
Cinq ans presque jour pour jour après sa dernière venue à Toulouse pour un concert organisé par l’association Grands Interprètes, Brad Mehldau était de retour dans la Ville Rose pour une carte blanche qui réserva son lot de surprises.
Carte blanche à Brad Mehldau
Brad Mehldau (p)
Lundi 11 mars 2024, Toulouse, la Halle aux grains, 20h
Une carte blanche donc, qui, après un premier morceau tout en arpèges flottants, en saisit plus d’un quand le pianiste américain enchaîna en interprétant le Nocturne n° 4 de Fauré. Ce choix n’avait rien d’un effet « régional de l’étape » puisqu’au micro Brad Mehldau expliqua que la musique du génial compositeur constituera la colonne vertébrale de son prochain album à paraître. De se trouver dans la région qui a vu naître Fauré (à Pamiers, à moins d’une centaine de kilomètre de Toulouse) expliqua peut-être les petits aléas rencontrés au cours de l’interprétation, Brad Mehldau exprimant d’ailleurs sa « petite nervosité » ressentie avant de monter sur scène.
Moins inattendues furent les reprises de chansons pop (en particulier Golden Lady de Stevie Wonder, avec beaucoup de délicatesse) et un blues (sur pédale).
À mesure que le concert avançait, son expression devenait néanmoins toujours plus profonde, voire spirituelle. C’est avec une valse lente en mi majeur qu’il se dirigea résolument vers de chimériques horizons. Après la reprise d’un morceau aux enchaînements ressemblant forts à ceux du Countdown de Coltrane, mais qu’il semble avoir associé à une chanson d’Elliott Smith (avec qui il a joué) vint une très belle mélodie, reprise en canon main gauche, qui fit à peine l’objet d’un développement. Du Beethoven ! Plus précisément un court passage de sa Missa Solemnis (créée en 1824)! En l’occurrence, Brad Mehldau venait de faire bien plus que de reprendre la partition, car à la lettre il ajouta l’esprit, atteignant ce que Beethoven espérait lorsqu’il écrivit en marge de son Kyrie : « Venu du cœur ! Puisse-t-il retourner au cœur ! »
Alors, le pianiste plana sur les cimes de la musique, emportant avec lui le public qui sentit vibrer en lui le souffle de la félicité. Après un Here’s That Rainy Day quintessencié – une qualité applicable à présent au jeu de Mehldau tout entier –, le pianiste entreprit de créer tout un monde à partir de l’arpège initial de Lucy In The Sky With Diamonds des Beatles. Au plan harmonique, notamment, de lointains échos de Koechlin (élève de Fauré) et parfois de Messiaen innervèrent la trame qu’il élabora au fur et à mesure de son avancée. Et le récital s’acheva sur une reprise toute de tendresse, de souplesse, d’équilibre et de sérénité du Golden Slumbers de Paul McCartney.
Des quatre bis qu’il accorda au public toulousain, absolument conquis, je retiens sur Paris (enregistré fin du XXe siècle sur « Places »), dont je ne me lasserai jamais.
Ludovic Florin