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Publié le 31 Mar 2024

Maëlle et les Garçons

Maëlle Desbrosses, c’est l’altiste que l’on a aimée chez Sylvaine Hélary ou au sein du Trio Suzanne. Les Garçons, ce sont le tromboniste Paco Andreo, le pianiste Clément Mérienne et le batteur Samuel Ber. Ils étaient hier 30 mars à l’Atelier du Plateau.

Face à l’épreuve toujours défaite de “dire la musique”, d’autant plus lorsqu’elle n’a pas été fixée sur le disque, épreuve face à laquelle, d’année en année, mon incompétence m’apparaît grandissante, j’ai commencé par faire des comparaisons et les premières mesures m’ont fait venir en mémoire ce qui se joue chez Tim Berne et ses héritiers, dans sa façon paradoxale de libérer l’improvisation par l’ingéniosité des cadres auxquels il la soumet (ou à travers laquelle il la propulse). Mais outre le fait que ça ne nous mène pas très loin en terme descriptif, des séquences de natures différentes se succédant rapidement, j’ai rapidement lâché prise et me suis laissé porter par la diversité des séquences où d’autres héritages apparaissent, d’une certaine pop, un certain rock, et surtout les musiques vers lesquelles son instrument, le violon alto, a pu emmener Maëlle Desbrosses, du baroque au contemporain.

Il y a quelques jours circulait sur facebook, parmi les geeks du jazz, la grande question des racines. Quoiqu’elle puisse moi aussi me tracasser, dans quelque domaine que ce soit, et même s’il m’arrive de déplorers l’oubli dans lequel sont tombés les solos de Louis Armstrong sur Potatoe Head Blues, Lester Young sur Lady Be Good et Charlie Parker sur Embraceable You, l’important c’est d’avoir des racines, quelles qu’elles soient. Et à entendre la cohérence de son programme et de ses collaborations extérieures (Suzanne et l’Orchestre incandescent), Maëlle Desbrosses en a. Tout comme Paco Andreo dont les solos, au trombone à pistons (il joue également de l’euphonium) relèvent plus de la tradition du “jazz-chorus”, avec des accents relevant soit de l’énergie du free jazz afro-américaine ou de la free-music européenne, soit des qualités de phrasé propre au jazz-jazz (la navigation sur son nom réservant quelques belle surprises et autant de promesses) qui sont absentes chez Maëlle Desbrosses. Non que l’on en fasse un défaut, mais plutôt le constat d’une culture qui conduit son improvisation non à prendre de la hauteur sur une grille harmonique ou modale dont on oublierait le prétexte, mais à détricoter et remailler librement les trames de son écriture, ce qu’elle fait avec une passionnante assurance.

On ne devrait plus avoir à présenter le batteur belge Samuel Ber depuis son entrée au sein de Kartet ou ses collaborations avec Tony Malaby et Jozef Dumoulin ou Bram de Looze. Coutumier des pratiques polymétriques héritées de Steve Coleman (plutôt digérées-assimilées depuis un bon quart de siècle), il y montre une décontraction et une qualité dans le choix des timbres et des équilibres que je ne peux pas ne pas faire remonter à l’élégance d’un Jo Jones.

Quant au troisième de ces “garçons”, le pianiste Clément Mérienne, attaché au défunt Arrosoir de Chalon-sur-Saône, il mérite lui aussi un tour sur le net où d’un ensemble de rôles endossés, de standards chantés qu’il accompagne à de très convaincants solos de piano préparé, se dessine une personnalité originale. Il endosse le projet de Maëlle Desbrosses avec un engagement discret, miniaturiste, d’un onirisme magnifié par l’apparition fugace à main gauche de basses synthétiques parmi la mosaïque timbrale qu’il obtient de ses préparations et qu’il dispose selon des traits fulgurants ou d’étranges tintinnabulements.

On parlait de racines. Elles peuvent être extra-musicales et je suis parfois désolé par l’inculture des musiciens hors de leur domaine. Ce n’est pas le cas dans ce programme inspiré des Songs of Innocence and Experience de William Blake publiés à la fin du 18e siècle, qui aide à penser les folies du siècles présents, et dont Maëlle Desbrosses chante quelques extraits au fil de ses parcours composés, tout droit dans micro ou la voix filtrée au travers d’effets électroniques, évocation fugitive des antécédents d’une autre chanteuse-violoniste, Laurie Anderson. On a déjà entendue Maëlle Desbrosses chanter au sein du trio Suzanne. Ici, dans le cadre de cette “création” déjà très aboutie, la place du chant, de la voix, du texte, m’a semblé comporter quelque incertitude : amplifiée ou non, dominant ou fondu dans l’orchestration, paroles destinées à être comprises ou non, donc fredonnées ou articulées, nécessité, nature et signification des effets.

Maëlle Desbrosses se produisait là dans le cadre des résidences qu’a coutume d’accueillir L’Atelier du Plateau qui avait loué un piano pour l’occasion. Prochain rendez-vous de cette résidence, sans piano, le 2 mai à 20h : Maëlle Desbrosses jouera au sein de Météore, un duo sans garçons avec la tubiste Fanny Meteier où toutes deux donneront de la voix. Extrait des notes de programme « Avec cet improbable duo qui gigote, papote, braille, se tait et pédale, elles soliloquent des histoires loufoques composées entre autres par Christophe Monniot, Sarah Murcia, Elodie Pasquier ou encore Dominique Pifarély. » Ça promet ! Franck Bergerot