Machine Head de Deep Purple ? Encore coffret !
Douze ans après le premier coffret consacré au chef-d’œuvre de 1972 de Deep Purple, voici qu’un second fait son apparition ! Le Salon de Muziq lui a ouvert ses portes.
Par Fred Goaty
C’est donc en 2012 que sortit la réédition que l’on pensait “définitive” de “Machine Head” de Deep Purple, un superbe coffret “40th Anniversary Deluxe Edition” de quatre CD (le “2012 Remaster” de l’album original, les “1997 Mixes” de Roger Glover, le “Quad SQ Stereo” et “In Concert ’72”, qui reprenait les faces 2 et 3 du double album “In Concert” paru en 1980 et augmentée de deux inédits, Maybe I’m A Leo et Smoke On The Water) plus un DVD “audio only” contenant l’album original en “96/24 LPCM Stereo”, le “Quad Mix” et trois chansons en 5.1 (When A Blind Man Cries, Maybe I’m A Leo et Lazy).
L’époque n’était pas encore aux rééditions vinyles, mais qu’importe puisqu’on avait toujours notre pressage de 1978, Purple Records / Pathé Marconi / EMI… Le livret de 68 pages signé par le rédac’ chef de Mojo Phil Alexander était tout à fait sérieux, avec son lot de photos rares et de témoignages d’affection inattendus, tel celui de Peter Hook de Joy Division et New Order. Bref, nous étions ravis, comblés même de pouvoir ainsi redécouvrir sous toutes les coutures un album que l’on connaissait certes par cœur depuis des lustres, mais qui, décidément, faisait toujours son petit effet sur nos tympans.
J’imagine que celui qui vient de parvenir à la rédaction du Salon de Muziq aurait dû normalement sortir en 2022 pour le 50ème anniversaire, mais chacun sait que le Covid et les troubles mondiaux ont quelque peu ralenti le rythme de parution des coffrets (plus ou moins) mirifiques qui ornent toujours plus régulièrement les facings des disquaires. Voilà pourquoi la nouvelle réréréédition de “Machine Head” s’intitule tout simplement “5-Disc Deluxe Anniversary Edition”, et qu’une fois (soigneusement) décollé le sticker “Deep Purple 50”, plus rien n’indique que ce classic album a désormais plus d’un demi-siècle.
Il faut cependant bien avouer que quand le sympathique coursier nous a remis la grosse enveloppe marron en carton contenant l’objet du désir, le plaisir de se replonger une fois de plus dans les méandres de cet album parfait de bout en bout fut aussi grand.
Mais avant de livrer notre verdict sur ce nouveau coffret, souvenons-nous des circonstances de l’enregistrement de “Machine Head”. Flashback.
Le 4 décembre 1971, au beau milieu du concert des Mothers Of Invention de Frank Zappa, le toit du Casino de Montreux prend subitement feu. Les membres de Deep Purple, venus prendre leurs marques dans cette salle afin d’y enregistrer leur nouvel album dans les conditions du live, comprennent rapidement qu’il va falloir trouver une autre solution. Mais ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que cet incendie va leur inspirer l’une des hymnes du rock seventies, Smoke On The Water. Comment Ritchie Blackmore a-t-il trouvé le riff de Smoke On The Water ? L’aurait-il plus ou moins calqué sur l’introduction de Maria Quiet, comme aiment à le penser les musicologues à la petite semaine qui passent trop de temps sur YouTube ? Sachant que cette charmante chanson d’Astrud Gilberto arrangée par Gil Evans figure dans l’album “Look To The Rainbow”, pourquoi ne pas soupçonner, pndant qu’on y est, l’ombrageux guitar hero de Deep Purple d’y avoir trouvé le nom du groupe qu’il fondera en 1975, Rainbow ?
Plus sérieusement, on sait que les riffs historiques naissent souvent par accident – l’inspiration, ça ne se commande pas –, et que ceux qui les gravent dans le marbre, ou plutôt in rock, se sont forcément inspirés, consciemment ou inconsciemment,d’une mélodie, d’une suite d’accords ou d’un autre riff, “emprunté” avec plus ou moins de malice. Comme celui de Whole Lotta Love de Led Zeppelin ou d’All Right Now de Free, le riff de Smoke On The Water est d’une telle simplicité qu’il semble avoir toujours existé. Impossible de l’oublier, même après une seule écoute : Tatata, tata-tadaa, tatataaa-dadaaa…Tatata, tata-tadaa, tatataaadadaaa… (Etc., etc.)
Qui ne s’est pas amusé au moins une fois à essayer de le jouer sur une guitare, même avec un doigt ? Mais Smoke On The Water, ce n’est pas seulement un riff, aussi inoubliable soit-il. Smoke On The Water, c’est aussi, et c’est même surtout une chanson. Bien écrite, superbement enregistrée, inventive, spontanée : quasi-parfaite. Elle résume à elle seule les péripéties montreusiennes de Deep Purple qui, malgré des circonstances pour le moins défavorables, réussit à enregistrer fin 1971 dans la douce commune suisse de canton de Vaud l’album aujourd’hui culte dont Smoke On The Water est le tube-locomotive : “Machine Head”.
« Deep Purple avait déjà joué deux soirs à Montreux, en avril 1971, dans une petite salle, se souvenait Claude Nobs en 2006 dans Muziq. Comme ils avaient bien aimé, ils sont revenus en novembre avec l’intention d’enregistrer leur nouvel album au Casino. Mais lors du concert de Frank Zappa et de ses Mothers Of Invention, un type a tiré une fusée éclairante, comme ça, et un incendie s’est aussitôt déclaré. Tout le plafond était en paillotte, et le feu a pris très vite. Les gars de Deep Purple étaient là, et ils ont tout vu. Ils ont quand même voulu rester à Montreux pour faire leur disque. C’était fichu pour le Casino, et le Mountain Studio n’existait pas encore…» Alors, Claude Nobs, qui ne sait évidemment pas encore que son nom sera cité dans Smoke On The Water, propose aux « gars de Deep Purple » – Ian Gillan, le chanteur, Ritchie Blackmore, le guitariste, Jon Lord, l’organiste, Roger Glover, le bassiste et Ian Paice, le batteur – de prendre leurs aises au Pavillon, une grandesalle très sonore, située juste en face du Montreux Palace. La teneur en décibels du hard-rock de Deep Purple importuna rapidement les clients fortunés du palace. Les plaintes commencèrent d’affluer, et la marée-chaussée locale ne tarda pas à aller frapper à la porte principale du Pavillon : « Police ! Ouvrez ! Messieurs, veuillez immédiatement cesser ce vacarme ! »
Déterminé à aider les musiciens du groupe à graver le successeur de “Fireball” dans sa bonne ville, “Funky Claude” va chercher immédiatement une autre idée. Et la trouver : ses bureaux étaient situés juste à côté du Grand Hotel, fermé hors saison. La voilà la solution de repli ! Il constata tout de suite que le couloir principal faisait huit mètres de large sur trente de long. « Pour avoir un bon son », Nobs disposa sur place avec l’ingénieurdu son du Rolling Stone Mobile (le camion-studio qui fut utilisé pour l’enregistrement de “Exile On Main Street” des Rolling Stones et “Led Zeppelin IV”, entre autres) une cinquantaine de matelas. Une paroi en bois fut également construite pour l’isolation, ce qui obligeait tout le monde à passer par un balcon, une chambre et une salle de bain (!) pour venir écouter les prises dans le “studio”… Claude Nobs raconte même que le groupe jouait tellement fort que « le camion s’est mis à trembler ! ». Résultat : il fallu aussi mettre des matelas sur le camion…
La façon dont “Machine Head” a été enregistré paraît presque surréelle. Cet album aujourd’hui considéré comme un classique du rock des années 1970 était le troisième enregistré par le Deep Purple “Mark II”, la seconde mouture du groupe créé en 1968, et sans doute la plus vénérée par les fans, même si le Deep Purple “Mark III”, avec David Coverdale et Glenn Hughes en lieu et place de Ian Gillan et Roger Glover, a aussi ses inconditionnels.
En quatre ans d’existence, de 1969 à 1973, Deep Purple Mark II va successivement enregistrer “In Rock”, “Fireball”, “Machine Head”, “Made In Japan” et “Who Do You Think You Are”. Des tensions internes, et notamment une singulière animosité entre Ian Gillan et Ritchie Blackmore, eurent raison de cette formation pourtant idéale.
Highway Star, Maybe I’m A Leo, Pictures Of Home, Never Before, Smoke On The Water, Lazy, Space Truckin’… Au GrandHotel, la majeure partie des chansonsde “Machine Head” furent créées surl’instant. Une, deux ou trois prises seulement,presque comme un disque dejazz. Tous les solos de Ritchie Blackmore,au sommet de son art, sont gravésspontanément, sauf celui, légendaire,d’Highway Star, mûrement réfléchi avecJon Lord. L’idée du riff de Pictures Of Home, Ritchie Blackmore l’a trouvée une nuit, en écoutant dans sa chambre des radios d’Europe de l’Est sur ondes courtes – aujourd’hui encore, il feint de craindre qu’un Turc ou un Moldave énervé vienne lui réclamer des royalties… Le riff de Space Truckin’, volontairement simple, voire simpliste, est lui inspiré par le fameux thème de Batman composé par Neal Hefti.
Lors des mêmes séances, Deep Purple enregistre une superbe ballade mélancolique, When A Bind Man Cries. La durée d’un 33-tours n’excédant pas une quarantaine de minutes, elle ne fut pas retenue dans le track listing final. Mais elle devint cependant une face b de 45-tours très recherchée. Aujourd’hui, elle figure au rang des standards du groupe, qui la joue toujours sur scène.
Quant à Never Before et son refrain très beatlessien, elle était si séduisante que le groupe l’avait d’emblée choisie comme premier 45-tours à extraire de l’album. Mais cette pop song somme toute assez funky ne devint jamais un classique du calibre de Smoke On The Water.
Ian Gillan avait écrit les paroles du futur hymne du groupe sur un coin de nappe du restaurant de l’Europe Hotel. Elles sont aussi savoureuses et limpides qu’une rédaction d’écolier – une rédaction très, très bien écrite, qui mériterait au mois 18 sur 20. Cla de Nobs y est donc cité (« Funky Claude was running in and out / Pulling kids out the ground »), Frank Zappa et ses Mothers aussi, forcément.
« Les musiciens du groupe étaient adorables, et ils ne se sont jamais plaints, se souvient encore “Funky Claude”. Tous les soirs, ils venaient manger chez moi. Il n’y a presque pas de photos de tout ça, quel dommage ! Roger Glover a fini par me parler d’une chanson, mais ils n’avaient pas encore décidé si elle allait être dans le disque. Ils me l’ont jouée, et moi je leur ai dit que ça allait être un méga succès ce truc-là ! En écoutant les paroles de Smoke On The Water, j’ai trouvé ça non seulement très sympathique – mon nom était cité –, mais surtout extrêmement précis. Tout ce qui était raconté était juste. Et quand le disque est sorti, le succès a effectivement été planétaire. »
Alors, ce nouveau coffret, approuvé par la rédaction ? Oui ! Car le livret en format 33-tours est encore plus réussi que celui de la version 2012, ne serait-ce que par sa richesse iconographique. Mention, aussi, au texte de Kory Grow. Comme nombre de coffrets récents, il contient un vinyle, avec une pochette qui s’ouvre dans laquelle ont été glissés les trois CD et le blu-ray.
Le vinyle est-il la version de 1972 du disque ? Non, le “Remix 2024”, effectué, drôle d’idée marketing, par Dweezil Zappa, le fils du génial moustachu cité dans Smoke On The Water… Pas sûr que les fans qui ont grandi avec le mix original se retrouvent dans les options soniques de Zappa Junior… Car outre la musique, quasiment sacrée, le mix original de Martin Birch ne souffrait d’aucun défaut rédhibitoire, et frôlait lui aussi la perfection. Qu’un mix Atmos soit effectué, pourquoi pas, mais qu’un musicien ne faisant pas partie du groupe réinterprète ainsi le mix de 1972 laisse songeur. D’autant plus que seul Jon Lord, hélas, n’est plus de ce monde – il aurait sans doute refusé, mais cela aurait bien plus amusant de demander à Ritchie Blackmore de le faire, ce remix ! Cela dit, les nouvelles générations ne verront sans doute rien de choquant dans le travail de Dweezil Zappa, qui a dû être le premier surpris qu’on lui demande de s’acquitter de cette tâche. Le voici qui s’explique :
https://www.youtube.com/watch?v=kkeppS4UZOg
Il faut cependant avouer que sur le blu-ray la version Atmos ne laisse pas de marbre, tout comme le Quad Mix, et que le concert inédit enregistré à Montreux en 1971 – attention, qualité bootleg ! – est un vrai plus. Et, rassurez-vous, l’excellent concert de 1972 enregistré par la BBC est toujours là, avec un petit bonus : Maybe I’m A Leo en version “soundcheck”.
Si vous aviez loupé le coffret 2012 (assez côté aujourd’hui…), la version 2024 s’impose. Si vous aviez déjà le coffret 2012, il faudra réfléchir à deux fois…
PS. Message aux décideurs d’Universal : on attend désormais les rééditions Super Deluxe d”In Rock” et de “Burn”, ok ?
COFFRET Deep Purple : “Machine Head 5-Disc Deluxe Anniversary Edition” (Universal Music).