Météore, phénomène visible dans le ciel
Première définition pour le mot grec metéôros trouvée sur Wikipedia ici en guise de titre. Double apparition hier dans le ciel parisien au-dessus des Buttes Chaumont, à l’Atelier du Plateau, avec Maëlle Desbrosses (violon alto, voix) et Fanny Meteier (tuba, voix).
Ma dernière visite à l’Atelier du Plateau, c’était pour Maëlle et les Garçons, quartette réuni autour du violon alto et de l’écriture de Maëlle Desbrosses. Hier, fin de résidence de cette dernière au Plateau, c’était plutôt un entre-filles qu’elle avait imaginé en tête à tête avec la tubiste Fanny Meteier. Avec quelque chose de trompeur dans la publicité qui leur était faite : « Avec cet improbable duo qui gigote, papote, braille, se tait et pédale, elles soliloquent des histoires loufoques. » Ces quelques mots accompagnés d’une iconographie adolescente promettaient, ou du moins pouvait laisser imaginer – selon l’imagination de chacun – quelque chahut, une insolence débraillée, un joyeux dérangement, une truc de filles quoi, donc dérangé et – insondable sujet – pas forcément dégenré.
Est-ce cette promesse – et ses interprétations – qui faisait hier salle comble à l’Atelier du Plateau où l’on pouvait reconnaître quelques “VIP” : Hélène Labarrière, Dominique Pifarély, Sylvain Kassap, Sarah Murcia, Christophe Monniot, Samuel Ber… et d’autres probablement pas vus ou pas reconnus, ayant moi-même filé à l’anglaise en prévision du train matinal pour Lorient, dans lequel j’essaie de rassembler ces souvenirs de concert ?
Si l’espièglerie n’était pas absente de ce programme, la loufoquerie promise pouvait nous enduire d’erreur. Quelques repères concernant nos deux protagonistes pour ce que j’en sais. Maëlle Desbrosses, violoniste alto, formation “classique” du répertoire baroque au contemporain, fréquentation assidue de la “famille musicale” Ducret-Pifarély-Labarrière, ayant fureté du côté du piano et de la contrebasse dans la classe de jazz du conservatoire de Montreuil, du côté du rock avec Nosfell, de la chanson avec Bruno Ducret (duo Connie & Blyde), plus le trio Suzanne où elle donne également de la voix avec Hélène Duret et Pierre Tereygeol, et enfin une viole qu’elle pratique au sein de l’Orchestre incandescent de Sylvaine Hélary. Fanny Meteier, musiques tous azymuts, tuba en classe de Gérard Buquet au CNSM, collaborations diverses entre classique et contemporain de l’Orchestre Lamoureux à l’Ensemble intercontemporain, intérêt pour le jazz et les musiques improvisées qui en a fait la tubiste du plus bel Orchestre national de jazz que l’on ait jamais eu, celui de Fred Maurin.
Ce long préambule pour dire que le propos très sérieux, et non dénué de légèreté, était à l’aune de ces parcours, sur les exigeantes partitions de Dominique Pifarély, Élodie Pasquier, Marc Ducret, Sarah Murcia et Bruno Ducret (la partition de ce dernier ayant été privée de mon attention par quelque attaque de la mouche tsé-tsé*) . Une fois averti, il y aurait eu moyen de reconnaître l’un ou l’autre signataire, avec une façon de cheminer d’un point à un autre qui a fait des deux partitions proposées par Pifarély mes favorites, un sorte d’espièglerie et de fraîcheur sous la plume de Pasquier peut-être commune au trio La Litanie des Cimes, les paroles de l’auteur-compositeur-interprète Fred Poulet cher à Murcia associées à sa partition, et certains traits et effets moteurs où il m’a semblé retrouver Marc Ducret.
Avec ceci de commun à ces partitions (au cœur des préoccupations de ces compositeurs), l’association de l’improvisation fût-elle radicale (non-idiomatique, non mesurée, bruitiste, , etc.) à une réflexion sur la forme, le temps, le prétexte et les ressorts de l’impromptu et de l’interaction, etc. Est-ce du jazz ? Ce mot qui tel le sparadrap du Capitaine Haddock colle à la peau de ces musiques. Certains voudraient s’en débarrasser, d’autres y tiennent, prêts à en faire déborder le sens, ou au contraire à le restreindre, chacun le réservant à “son” jazz (hot, swing, bop, cool, hard bop, free, fusion – et là, décidément les identités se désagrègent –, world, électro, neo-bop, post-free, européen, etc.). Reste une généalogie aussi ténue soit-elle, qui fait famille et qu’incarnaient hier dans le public Hélène Labarrière (que j’ai entendue dans les eighties faire le métier au Petit-Opportun) et Dominique Pifarély (dont j’ai encore l’affiche du New Blue Four où, il y a un demi-siècle, il incarnait le personnage de Joe Venuti, pionnier du violon jazz des années 1920), mais d’autant plus ténue hier que l’on s’aventura ici et là jusque sur les terres d’un théâtre musical remontant à Maurizzio Kagel (ajoutez encore un bonne décennie plus tôt).
Chez Ducret, cette tendance s’est imposée à travers la culture littéraire et théâtrale qui imprègne sa musique, et certains se souviennent de l’avoir vu joindre le phrasé de Bélise dans Les Femmes savantes qu’il disait, sa guitare phrasant à l’unisson de sa voix.
Hier, ce sont de véritables dialogues qui, dans certaines pièces, interrompirent l’action musicale, comme mise en doute, comme simulant les hésitations d’une séance de répétition; ou la trivialité du langage quotidien réduit parfois à de brèves interjections comme égouttées sur la trame instrumentale; ou encore des glissements continus de la parole au musical, l’un complétant une phrase de l’autre. Ce qui m’apparut hier comme un écueil restant à surmonter, élément non assumé de ces partitions, les voix de nos deux instrumentistes étant insuffisamment articulées et projetées, notamment par contraste avec la richesse et la sûreté du geste instrumental tel que ce dernier relevait le défi lancé par les compositeurs. Mais une fois le programme applaudi et les artistes affranchies de la pression qui pesaient sur elles au début du concert, par l’invitation du public à lui donner un rappel, une troisième pièce de Marc Ducret alors proposée fut soudain endossée avec le prometteur piquant d’un dialogue de Molière ou Marivaux. Franck Bergerot
* Jo Privat parlait d’un batteur du Balajo qui s’endormait continuellement au point qu’il avait fallu l’attacher pour qu’il ne tombe pas de la mezzanine où était juché l’orchestre. Cet endormi permanent prétendait souffrir de la maladie du sommeil causée par un piqûre de la mouche tsé-tsé lorsqu’il était légionnaire en Afrique.