Jazz sur le Vif : Bruno Ruder solo, puis l’ONJ joue Solal Dodécaband
C’est le dernier concert de la saison ‘Jazz sur le Vif’, programmée par Arnaud Merlin. Un concert exceptionnel à plus d’un titre, notamment parce qu’en seconde partie il fait revivre le répertoire du Dodécaband de Martial Solal, avec des pièces données en concert entre 1988 et 1999, mais jamais portées au disque : le programme Ellington, enregistré en studio à Radio France en 1997, et publié en 2000, avait été le seul à bénéficier d’une publication phonographique.
Et pour le chroniqueur (suspect de solalophilie aiguë….) une remontée de souvenirs de cet orchestre singulier de 12 musiciens (comme son nom l’indique, en empruntant dans son préfixe la graphie de douze en grec ancien) : un concert à Paris, Théâtre du Châtelet, en avril 1988 ; puis en juillet 1991, à Montpellier, Parvis du Château d’O (Festival Radio France) ; en avril 1993, à Épinay-sur-Seine (Festival Banlieues Bleues), pour la création du répertoire Ellington ; et enfin le 25 avril 1999, au studio 104 de Radio France, le programme Ellington, dans le cadre de la journée Duke Ellington de l’UER (Union Européenne de Radiotélévision) : c’était un dimanche, 4 jours avant le centenaire de la naissance du Duke.
Ce dernier souvenir plus vivace pour moi car, dans la même salle où se déroule le concert d’aujourd’hui, je présentais ce soir-là sur scène le Dodécaband de Martial Solal, en direct sur France Musique, et dans 17 pays, dont les États-Unis, où la radio publique NPR est un membre associé de l’UER, tout comme Radio Canada.
Aujourd’hui avant l’ONJ, une première partie tout aussi exceptionnelle : le pianiste Bruno Ruder, qui jouera ensuite dans l’Orchestre dont il est membre, nous offre un solo aussi intense que personnel
BRUNO RUDER (piano solo)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 8 juin 2024, 19h
Ce pianiste, qui a livré son talent aux univers les plus divers, aime aussi l’exercice du solo ; deux disques en témoignent : ‘Lisières’ et ‘Anomalies’, enregistrés en 2013 et 2022. Il nous livre des pièces composées par ses soins, mais dont il s’échappe constamment pour improviser, sans qu’il soit facile d’y discerner (sauf à suivre parfois son regard vers la partition…. et encore!) le préconçu de l’inédit. C’est un cheminement intime, presque introspectif, où le pianiste d’abord pétrit jusqu’au vertige une phrase descendante qui va se résoudre dans un léger repentir ascendant. Puis, comme de sombres présages, viendront des intervalles distendus, avant une échappée aux accents bucoliques. Nous aurons aussi des turbulences et des tempêtes presque lisztiennes, et des retours apaisés avant d’autres escapades. Voici maintenant qu’il nous fait entendre une mélodie très standardisable (entendez par là digne de devenir un standard), avant de la dissoudre dans des volutes de liberté farouche. La science du piano, de sa sonorité, de sa dynamique, est extrême, et la sensibilité parle en permanence, dans ces méandres jouissifs. Du très beau piano par un grand pianiste : jugez-en : c’était en direct sur France Musique dans l’émission ‘Jazz Club’ de Nathalie Piolé. Réécoute en suivant ce lien
https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/jazz-club/jazz-sur-le-vif-bruno-ruder-solo-6368263
L’ORCHESTRE NATIONAL de JAZZ joue Martial Solal Dodécaband
Julien Soro (saxophones alto & soprano), Fabien Debellefontaine (saxophones ténor & soprano, clarinette, flûte piccolo), Jean-Charles Richard (saxophones baryton & soprano), Joël Chausse, Fabien Norbert, Ysaura Merino (trompettes), Daniel Zimmermann, Jessica Simon (trombones), Fanny Meteier (tuba), Bruno Ruder (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie), Frédéric Maurin (direction)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 8 juin 2024, 20h20
L’ONJ, pendant la balance
Le concert commence avec Isocèle, un thème du répertoire du Dodécaband, que Martial Solal avait aussi enregistré en trio pour le disque ‘Triangle’, avec Marc Johnson et Peter Erskine. Dès l’abord, on est de plain pied avec l’univers du compositeur : envolés fulgurantes, échappées, nuances, surprises, finesses d’orchestration, invention permanente…. et humour, comme toujours. Puis c’est Satin Doll, première incursion dans le répertoire Ellingtonien : le thème est arrangé-dérangé, puis rerangé, ‘à la Solal’. C’est vif, limpide, virtuose (pour le piano comme pour l’orchestre). Le public du studio 104, passé un instant de surprise, est totalement conquis. Il le fera entendre. Méli-mélodie qui suivra sera peut-être encore plus déroutant, mais nous sommes unanimement embarqués. Retour à Ellington avec In A Sentimental Mood, dans une déconstruction-reconstruction permanente. Vient alors une composition de Solal, Version sans thème : c’est, autour de quelques riffs, une festival d’inventions, d’échappées, qui construisent une forme mouvante, ouverte. Et après que l’orchestre a fait mine de se retirer, un retour pour Texte et prétexte : une composition que Martial avait élaborée pour big band de 1981, avec violon, violoncelle et guitare, en plus de copieux pupitres de ‘soufflants’. Le concert de 1999, dans cette même salle, s’était terminé en rappel, après le répertoire Ellington, par cette composition. C’est une débauche de précision ludique, de joie de jouer, d’effervescence et de vertige, pour tout l’orchestre, pianiste inclus, évidemment. Très grand moment de musique !
Xavier Prévost (texte et photos)
Ce concert sera diffusé sur France Musique à la rentrée, le 7 septembre 2024, dans l’émission ‘Jazz Club’
La saison Jazz sur le Vif 2024-2025 commencera le 14 septembre avec le quartette du guitariste Pierre Durand et le trio Hervé Sellin / Jean-PaulCelea / Daniel Humair