Quarante septième édition de Jazz Campus en Clunisois : Néon & Unfolding
Jeudi 23 Août
Néon, Théâtre des Arts, 20h30
« Néon » teaser ! (youtube.com)
La balance a été longue et pleine de surprises pour les quatre musiciens de Néon avec toute une batterie d’effets qui doivent être réglés avec soin par Jérémie, Alban, les deux Guillaume de la technique. Il n’y aura pourtant aucun effet désagréable de larsen, buzz voire“frelon” tant le volume sonore en concert annule une certaine perception des bruits parasites. Des nuances, il y en a pourtant dans la musique mais elles sont quelque peu diluées dans le flux continu, la déferlante sonore de nappes qui se répandent dans la salle.
Ils ne sont que quatre mais assurent autant qu’une formation orchestrale. Spontanément chacun joue sa partie dans une tapisserie d’ensemble jouant sur l’espace, les symétries guitare-voix/batterie-sampler soutenant la front line des solistes sax soprano–violon.
Animé de l’énergie du jazz en quartet, des atouts d’un quatuor classique, Néon a le désir de relier les univers musicaux tout en changeant les codes avec une palette de sons qui élargissent le spectre musical. Polyrythmies, modes mélodiques divers, écritures savantes, longs espaces d’improvisations contribuent à l’invention d’un “folklore” imaginaire résolument contemporain même s’il reste encore quelque peu à définir.
Didier Levallet a présenté avec enthousiasme ce groupe soutenu par le Centre Régional du Jazz devenu Pôle de Référence du Jazz en Bourgogne Franche Comté. Il me revient alors à l’esprit que j’ai déjà entendu ces musiciens qui viennent d’horizons divers : l’human bass batteur Eric Perez a accompagné Leïla Martial, le violoniste sidérant Mathias Lévy compositeur et détourneur de partitions classiques, je me souviens de ses échanges avec Louise Jallu, Camille Maussion la saxophoniste la plus sobre en effets electroniques ( Mamie Jotax, Nefertiti) est une animatrice fort appréciée du stage qui a entraîné ses élèves dans la sound painting. Quant à Pierre Tereygeol, j’avais noté ses effets vocaux dans Suzanne, l’un des lauréats passés du réseau AJC .
Plus anesthésiée qu’hypnotisée, impactée assurément par les sons, les effets de textures, les beats, l’intensité des échanges qui ne laissent pas passer beaucoup de respiration, je ne parviens pas à entrer dans la transe. Les formes géométriques, répétititives de cette musique aspirent toute ma volonté à comprendre ce qui se passe.
Un alliage de timbres et d’effets intéressants, une luxuriance instrumentale, une musique d’ambiances et de climats. On se verrait bien sur un dance floor vibrant, loin des trop rares moments chambristes des deux solistes que l’on aimerait retenir plus longtemps dans l’oreille. On se croit plus souvent parachuté dans la forêt équatoriale : effets de bouche qui finissent en gargouillis, éructations, human beat box, voix avec réverb…Cela reste mélodique malgré la puissance de feu mais hirsute par instants, un violon sirène qui devient guitare, violon préparé, aux pizz qui scandent une rythmique, battements de pied, chant tripal de guerrier aux lances et sagaies, vagues de guitare plus appuyées que vaporeuses qui s’écoulent comme de la lave…
Immergés dans leur musique et la mise en place d’effets et de séquences qui changent tout le temps, on n’aura que le titre inaugural L’odeur du café du guitariste qui assurément réveille. S’ils savent donner une saveur corsée à leur ensemble, la dramaturgie narrative est dénuée d’émotion, cérébrale avec ces ondulations sinusoïdales au sax et des polymodalités inspirées de duos de Bartok pour violons dans la composition bien nommée On ne se comprend pas.
Témoignant aujourd’hui d’une identité et d’un style de plus en plus affirmé qui accueille sans a priori toutes les musiques,intègre l’écriture et l’improvisation sans sourciller, Néon brasse large avec la liberté que lui procure un instrumentarium au potentiel formidable. Une équipe et une musique transcourant dans un poème à ciel ouvert…
Unfolding, Théâtre des Arts, 22h30.
Changement radical avec le deuxième groupe qui présente son tout nouveau programme, un spectacle musical vraiment original Unfolding. De la musique qui se déploie autour de poèmes de Dorothée Zumstein pour un quartet tout neuf choisi avec soin par le batteur-compositeur François Merville : le violoncelliste Bruno Ducret dont on ne sépare plus ici à Cluny, le formidable Bruno Ruder au piano et synthé et le duo de compositeurs et metteurs en musique dont la chanteuse Maria Laura Baccarini.
Je retrouve enfin cette voix que je connais et que j’aime, accompagnée simplement et pourtant sans facilité par trois musiciens attentifs à souligner la force de son engagement. De la puissance, un cri qui ne heurte pas dans l’improvisation, une blondeur qui n’est pas fragile… L’Italienne ne chante pas dans sa langue mais elle maîtrise parfaitement l’anglais (la mezzo soprano fut l’Anita de West Side Story dans une autre vie). Je l’ai découverte pour ma part dans La Nuit américaine à l’Opéra Comique, un spectacle hommage de Lambert Wilson avec des lyrics de Stephen Sondheim. Elle a donné une version personnelle des « Evergreen » de Cole Porter dans Furrow. A Cole Porter Songbook. Elle connaît en effet les mélodies de Broadway devenues standards de jazz mais elle est tout aussi à l’aise dans l’écriture contemporaine et le théâtre. D’où son intérêt et l’envie de mettre en musique les poèmes de Dorothée Zumstein.
Ce soir nous découvrons un musical actuel à quatre interprètes, encore différent du conte onirique et initiatique de Yann Aperry dans All around qu’elle joua il y a quelques années. C’est un spectacle fort et authentique qui s’inscrit dans notre présent troublé. Il faut du caractère et un certain cran pour évoquer ces trois faits-divers tragiques, des histoires souvent banales où les tabloïds deshumanisent encore plus les victimes, toutes de très jeunes femmes.
Interprète, chanteuse autant que comédienne, Maria Laura Baccarini «préface» le spectacle, donnant les clés d’entrée de chacune des pièces. S’entend ensuite la « seule » musicalité des mots dans cette mise en scène sobre et efficace.
Les instrumentistes offrent un écrin délicat et complexe à la voix. Cette musique rend vraiment ténue la ligne de démarcation entre les genres, tissant des liens entre les épisodes de la narration dont François Merville coordonne les parties et interventions entre énonciation et chant, les tableaux adoptant des tempi différents, le premier plus violent et emporté.
Laura-Maria Baccarini est le fil conducteur d’ Unfolding : un désir vibrant parcourt toute son interprétation qui refuse l’évanescence, l’étirement «à la mode» parmi les chanteuses improvisatrices. Sans abuser du souffle brut, du chuchotement, du soupir, elle chante avec une puissance qui jamais ne s’impose, un sens raffiné des modulations. Sa mélodie court frémissante, prend relief avec une fougue peu contenue. Les textes de la poète traductrice de Shakespeare évacuent le fait divers, tentent de rendre hommage aux victimes, de restituer leurs pensées dernières, leurs cauchemars (la montagne de pommes sur laquelle grimpe la jeune top modèle, égérie russe du parfum Pomme rouge de Nina Ricci, qui finit par l’engloutir).
Dans la seconde histoire, une belle étudiante américaine devenue rapidement une fausse coupable idéale, à la Hitchcock fut accusée du meurtre de sa colocataire, deuxième victime d’un drame à Perugia qui défraya la chronique en Italie. Et enfin peut être l’histoire la plus banale, glaçante, qui s’est reproduite en diverses parties du monde, d’une jeune femme un peu perdue, sortant de boîte de nuit à la recherche d’un taxi, montant dans la première voiture qui s’arrête…
Ce n’est pas vraiment la scansion de chansons que l’on entend. Plus délicat est ce travail de mise à plat, de recompositions des thèmes remontés avec des interruptions quand on sort de la métrique, du sprech gesang à la Kurt Weill par moment, beaucoup d’interactions avec la musique, des intervalles qui rappellent le travail avec Stephen Sondheim. La musique renforce, habille l’arc narratif de ces trois récits. Pas de drumming continu mais un ensemble de couleurs, un piano sensible et subtil sur lequel Bruno Ruder improvise de la main droite, le Korg à sa gauche permettant d’assurer la ligne de basse, des solos écorchés de Bruno Ducret, parfois pleins de rage et d’ une énergie qui déborde sans oublier les ponctuations bruitistes autour de sa pique de violoncelle, triturée à loisir qui me font souvenir de son père bidouillant un jack dans le temps…
Travail, talent, engagement sont au rendez-vous d’un spectacle complet qui mérite toute notre attention… et notre admiration. Alors, n’hésitez pas une seconde, s’il passe près de chez vous. Et vous, programmateurs des scènes de musiques actuelles, n’oubliez pas ce projet réussi qui porte un regard des plus vifs sur notre quotidien.
A suivre…