Pégazz Festival 2024, deuxième journée
Jazz Magazine y était pour le quartette Big Fish, l’Été large de Luise Volkman et un étonnant loto musical.
Hier, 5 octobre, en feuilletant les pages de Paris Jazz Club, il y en avait pour tous les goûts, du Duc des Lombards qui accueillait le chanteur-pianiste néo-orléanais Davell Crawford au Triton où Henri Texier invitait le violoniste Johan Renard et le pianiste Bruno Angelini à rejoindre son trio, en passant par La Petite Halle où l’on découvrait le tromboniste Philippo Vignato et, pour qui était prêt à franchir le Périphérique, voire à dépasser la Petite Couronne, je n’y trouve pas trace de la création pourtant annoncée hier soir au Théâtre Sorano de Vincennes d’un nouveau quartette imaginée par Géraldine Laurent, “Looking For Mingus”, avec Jean-Charles Richard, Manu Codjia et Christophe Marguet. A-t-il eu lieu ? À l’heure matinale où j’écris ces lignes, le mystère reste entier. Cet hommage au Grand Charles se disputait la page du 5 octobre dans mon agenda avec le Pégazz Festival, Festival annuel du collectif Pégazz & l’Hélicon, « laboratoire de musiques improvisées » « articulé autour des projets de Paul Jarret, Grégoire Letouvet, Julien Soro, Raphaël Schwab, Marc Benham et Delphine Deau ».
C’est vers la Halle Roublot deFontenay-sous-bois et son cabaret musical que je me laissais emmener de bus en RER, intrigué par l’affiche du Pégazz Festival ouvert la veille par la chanteuse Linda Oláh suivie d’un étrange conclave de pianistes réunis par Grégoire Letouvet autour de deux pianos préparés.
Hier soir, c’est Big Fish qui ouvrait la soiré avec Léa Ciechelski (sax alto), Julien Soro (saxes ténor et soprano), Gabriel Midon (contrebasse), Ariel Tessier (batterie). Un vrai quartette soudé, élancé, contrasté des accents les plus hirsutes aux plus moelleux, avec une sorte de sororité entre ces deux saxophones que magnifie une écriture onirique où le ténor joue souvent dans le registre au-dessus de l’alto, l’un et l’autre croisant leurs voix à l’occasion ou se rejoigant à l’unisson, se répartissant les angularités de leurs solos avec quelque chose de peut-être plus abstrait, analytique, chez Léa Ciechelski, de plus brut et lyrique chez Julien Soro, les deux combinant fréquemment l’impromptu de leurs propos dans des collectives d’une admirable cohérence. Géographiquement à l’opposé sur la scène, Ariel Tessier, d’une égale énergie, également prolixe, alterne les climats avec une grâce et une puissante musicalité qui tiennent tant à la richesse de son vocabulaire polyrythmique qu’au soin qu’il semble apporter au “son” de sa batterie, du réglage initial au choix et à la répartition des timbres dans son jeu. Pilier de l’orchestre, Gabriel Midon, joue d’une contrebasse économe, plus Charlie Haden que Scott LaFaro (pour le dire grossièrement), au son brut m’évoquant presque cette cithare inanga qui ouvrait le disque “Burundi – Musiques traditionnelles” et marqua ma génération lorsqu’elle accéda à travers la collection Ocora aux fonds ethnomusicologiques. Avec ça, cependant, tout en charpentant solidement la musique du quartette, un placement rythmique jamais prévisible sur un ambitus tout au long du manche donnant à cette contrebasse quelque chose de tout à la fois colossal et léger.
Il disparut bien vite, appelé au 38 Riv’ de la rue Rivoli où il était annoncé animer, sous son nom, la jam du samedi soir. Le temps de réinstaller la scène et, pour le public, de se restaurer, et nous voici invité à découvrir l’Été large de la compositrice Luise Volkman (sax alto) avec Casey Moir, Laurin Oppermann (voix), Nicolas Schwab (flûte), Johannes Böhmer (trompette), Jules Boitin (trombone), Julien Soro (sax ténor), Rémi Fox (sax baryton), Johanna Stein (violoncelle), Paul Jarret (guitare acoustique), Yannick Lestra (piano), Athina Kontou (contrebasse), Max Santner (batterie). Leadeuse allemande, formée à Leipzig, Paris et Cologne, fluently francophone, foncièrement européenne, Luise Volkman compose sur les gammes d’un imaginaire que l’on devine nourri d’une large culture musicale et extra-musicale, qu’illustrent tout particulièrement ses deux vocalistes ; Laurin Oppermann que l’on verrait tout aussi bien interpréter le Winterreise de Schubert qu’échappé de quelque folk-club londonnien ; en total contraste avec une jeune femme qui pourrait venir tant du cabaret berlinois de la République de Weimar que du Cabaret Voltaire d’Hugo Ball ou de la tradition lettriste… vaines comparaisons tant son vocabulaire phonétique dans l’improvisation est personnel. Mais ces deux voix ne sont qu’une couleur parmi d’autres sur la palette très large définie par Luise Volkman, avec un orchestre que l’on aimerait réentendre pour mieux en photographier l’identité, identité d’une fraîcheur qui est tout à la fois sa qualité et sa fragilité. Un tel élan mériterait de s’épanouir dans une continuité du travail collectif. Une mention spéciale de ma part au trompettiste, qui m’a semblé jouer comme on parle dans la vie courante.
La suite de la soirée, car il y en avait une, consista en un loto musical animé par Arnaud Merlin qui tira au sort différentes formation, du solo (Ariel Tessier) au septette. Où l’on constata combien le niveau d’information musicale des jeunes générations (et il ne s’agit pas seulement ici de technique… sinon que la technique est un utilitaire indispensable, sans être forcément normée) permet à plusieurs personnes de s’aventurer collectivement l’une vers l’autre de manière impromptue et imaginer un territoire musical où chacun ait sa place, y compris le public auquel est donné à voir leur rencontre. Constat renouvelé de formation en formation jusqu’au septette final qui échoua sur un malentendu et peut-être cette fausse bonne idée d’en faire un final festif et dansant.
Aujourd’hui, finale du Pégazz Festival à partir de 15h30 avec goûter et projection de dessins animés – « Krteček – La Petite Taupe » de Zdeněk Miler, pour enfants (à partir de 3 ans – accompagnés par Stéphan Caracci, Marc Benham et Raphaël Schwab ; création de fin de masterclass animée par Sarah Murcia ; duo Delphine Deau – Julien Soro. À moins que, à l’opposé de la grande couronne, vous ne soyez tenté de vous rendre à 16h à Chelles pour un duo tout à fait intriguant réunissant les violoncellistes Adèle Viret et Valentin Ceccaldi autour de la chanteuse Leïla Martial. Franck Bergerot