Jazz live
Publié le 7 Oct 2024

Tarbes: Jean-Marie Ecay, trio de chocs

Jean Marie Ecay (g), Stephane Kerecki (b), Fabrice Moreau( dm)

Théâtre MDA Tarbes (65 000), 4 octobre

Un joli petit théâtre où, du premier rang l’on toucherait presque les chaussures des musiciens. En l’occurence plutôt le pédalier de machines à effet de Jean Marie Ecay, car comme quasi tous les guitaristes d’aujourd’hui ( même l’immuable Bill Frisell s’y est mis…)   il en possède une collection posée à ses pieds histoire de varier les couleurs sonores produit par sa guitare.  À propos de couleurs et de formes justement le « Dolphin dance » de Herbie Hancock donne l’occasion au guitariste basque de livrer sans plus de manières un passage en un  doigté délicat, ou quand les notes glissent d’un élan parfaitement contenu. Il y a de la technique là dedans, bien sûr; mais surtout un feeling approprié. A props de feeling, tiens, une autre évidence coule de la scène tarbaise, sise au pied des Pyrénées Hautes. Ça se sent, ça se voit, ça se devine au pire: ils se connaissent par cœur ces trois là. On ne voit pas, on n’entend pas un soliste plus une rythmique. Non. Ils jouent en triangle isocèle. Question contenu musical, géométrie dans l’espace jazz, tous leurs angles se valent. Sans obligation de mesures -si l’on peut dire…- leurs figures dessinées à dessein  se partagent à lignes égales. Tirées dans l’instant. Pour la petite histoire ils vivent dans la même zone au sud de la capitale, quasi voisins. Et deux d’entre eux -gardons le mystère- se lancent même des défis réguliers sur un court de tennis . D’où sur les planches, en sur-lignage, en guise de ponctuation des sourires complices et autres  mimiques d’intérêt partagé.

 « Zazpiak Bat », le chiffre des 7 provinces d’Euskadi, une définition du rêve basque en tant que pays. L’on peut sentir déjà dans cette composition que dans la musique de ce territoire  ( de cœur pour le guitariste enfant du pays ) situé de part et d’autre des Pyrénées pointent des traces de danse que les tambours experts de Fabrice Moreau embrassent naturellement.  Plus, de la part de la guitare, tel un paysage révélé, sonnent quelques notes sauvages, objets de couleurs saturées. Même sceau d’inspiration mais pour un moment de douceurs cette fois chez le guitariste passé en mode acoustique. Ici il s’agit pour lui de retracer les contours bucoliques du  « village de ma maman dans une vallée montagnarde de Navarre ( « Almadía ») Là, à l’instant, l’art du trio toujours valorisé en partage se conjugue en écoute, en échange, en syntonie. Et plus tard, un dit « Zortziko » se trouve récité sur les cordes aiguës très vivement tirées, à l’instar des pas virevoltants des danseurs basques en mesures à cinq temps. Quand l’impair poussé en bon ordre judicieux par caisses et cymbales va de pair avec l’inspiration mélodique  du moment. Quelle que soit la nature de l’escapade à trois, revient ainsi le chant des cordes. La batterie, elle, peaux et cuivres jumelées, en frappes ou caresses, au choix du contexte, l’accompagne sans effort apparent. Ce trio l’est.

Fabrice Moreau

Jean Marie Ecay, dans son parcours de musicien, a bourlingué sur des routes de jazz, de fusion, de chanson aussi « J’ai eu la chance de côtoyer Nougaro » Une composition baptisée pour lui « Bras dessus bras dessous » désormais mutée sans parole ne reprend dans son nouvel intitulé que les deux premiers mots. Sur les notes claires de la guitare acoustique entrent celles de la basse de Stéphane Kerecki, travaillées, nettes, précises, détachées avec soin comme pour en permettre une meilleure identification harmonique. Alors monte dans l’air en croisement signifiant (pas si fortuit on imagine) deux lignes de chant. Et pour conclure, un blues bien sur. Jean Marie Ecay se régale sur cette grille où cette fois il est aisé pour tout un  chacun de compter les mesures. Et décrypter un jeu de mot facile à propos d’un fleuve de blues ( « My miss is hip ») Sur le thème précédent ils ont tous trois bossé de concert pour une séance complexe de coupe et découpe rythmique en règle sur laquelle les temps égrenés se montraient chatouilleux quant à la mise en place. Avec final au cordeau svp. Le temps du blues venu donc, chacun se lâche. Les sourires sont revenus; une certaine décontraction également. Le mouvement, le tempo, les notes teintées de bleu tournent rond. En sandwich  de tiraillements électriques des cordes aigûes pour une tension accrue lors des solos,  la guitare place des passages d’accords un peu plus savants, plus piquants mode piment d’Espelette.

Stéphane Kerecki

Il n’est pas si fréquent d’entendre Fabrice Moreau planter ainsi des pics de batterie en pointes sèches forcées. Pas davantage de voir Stéphane Kerecki appuyer carré les temps forts binaires. Et pourtant …après coup ce dernier avouait oeil brillant et sourire aux lèvres « Sur ces trucs très natures là, ces climats funs avec Jean Marie je me fais plaisir. On compte pas. On se prend pas la tête. On se lâche. C’est pas tous les jours comme ça…ça fait du bien »

Jean-Marie Ecay

Robert Latxague