Jazz live
Publié le 11 Nov 2024

Aimer Marc Ribot

Hier, 10 novembre à Strasbourg, dans le cadre de Jazzdor, Marc Ribot était à l’écran, avec le film The Lost String, et sur scène avec son Ceramic Dog.

Je n’aime pas Marc Ribot. Il s’agit moins là de détestation que d’indifférence et probablement un peu d’a priori. Aussi devais-je à ma curiosité de me rendre dès 11 heures au Cinéma Star de Strabourg pour voir le film d’Anaïs Prosaïc. Et j’ai aimé cette “corde perdue”, cette mosaïque de moments comme volés aux archives (conversations avec l’artiste, propos de confrères, principalement d’Anthony Coleman, concerts, errances en ville ou dans les transports, récréation avec ses enfants notamment à Coney Island, etc.). J’ai aimé ses propos sur les États-Unis et leurs ordures (musicales comprises), sur la nécessité de faire quelque de cette ordure ; sur Newark où il a grandi parmi une population à dominante afro, New York où il a vécu et travaillé, particulièrement la mythique scène de Lower East Side où il vit émerger le No Wave ; où, aussi, il connut le traumatisme du 11 septembre. J’ai aimé l’évocation de ses débuts dans les organ trios (les trios orgue-guitare-batterie, particulièrement Jack McDuff et Jimmy McGriffin) sur le chitlin’ circuit (le réseau des petit lieux de la musique noire). J’ai adoré sa fierté à préciser qu’il tenait la guitare auprès de Solomon Burke au Phoenix Club de Chicago pour ce fameux concert de 1981 dont résulta le double extraordinaire vinyle “Soul Live”, cinq ans avant que son nom n’apparaissent dans les studios au côté de John Lurie au sein des Lounge Lizards pour l’enregistrement de “No Pain for Cakes”. J’ai aimé ces guitares dont il s’entoure, dont il altère le son de mille manières, ces guitares fondamentalement sales qu’elles soient acoustiques ou électriques, les propos qu’il tient sur son professeur de guitare classique et sur les impossibilités de la guitare, l’irrésolution fondamentale des problèmes techniques qu’elle pose. Et dès les premières minutes, ces questionnements pas moins insolubles sur le jazz, qu’est-ce c’est ? Une musique savante ou une musique populaire ? Un musique de club ou une musique de concert ? Une musique à écouter ou une musique pour boire un verre entre amis ? Et j’ai aimé la réalisation très fine de ce puzzle par Anaïs Prosaïc et sa monteuse.

Le soir-même, j’en ai peut-être moins mal aimé le concert du groupe Ceramic Dog de Marc Ribot (guitare et voix) et son Ceramic Dog : Shazhad Ismaily (basse, moog électronique), Chess Smith(batterie, élecronique). Toujours sans détestation. C’est plus la disproportion que je déteste qui se fait se remplir une salle (Ribot ou la soirée d’ouverture de Jazzdor consacrée à Gershwin) et pas l’autre (Ducret et Mockünas). Et un certain volume sonore qui m’interdit toute adhésion, et aurait même tendance à me refouler à l’extérieur de la musique Encore que ce volume convienne à certaines musiques. Concernant celle de Ribot, je l’ai tolérée d’autant mieux (malgré l’oubli de mes protections auditives) qu’il provenait essentiellement de la scène avec le relief que ça suppose et moins des haut-parleurs de la salle. J’ai entendu ces derniers temps dans les grandes et moyennes salles, tellement de merde, à proprement parler, en matière de sonorisation, avec des aplats systématiques et des déséquilibres ne correspondaient à aucune réalité scènique et / ou musicale. Mais au bout du compte, il me semble que la musique, les sons et la présence très émouvante que Ribot nous a offert hier gagneraient à être moins assénés et j’en garde le sentiment d’avoir été privé de quelque chose que j’avais aimé dans le film du matin. Franck Bergerot

Ps : en première partie, on avait pu entendre, le nouveau trio de Sophia Domancich avec Marc Helias et Eric McPherson. Xavier Prévost vous en a déjà parlé samedi dernier à l’occasion du concert de création et de début de tournée au Sunside. On vous en reparle demain 12 novembre à Nevers.