Pau Jazz: Les histoires de Richard Bona
Richard Bona (b, voc), Michael Lecoq (elp, clav), Ciro Manna (elg), Alexandre Herichon (tp), Nicolas Vicaro (dm)
Jazz à Pau, Le Foirail, 15 novembre, Pau (64000)
Les pages se tournent, précises, cadrées, portraits tracés en mesures au carré, pur chant d’Afrique feutré, voix de tête en résonance vers l’aigu. Les mélodies s’étalent de sucre et de miel sur des accords ou des nappes de clavier électrique. La batterie de Nicolas Vicaro « le Monégasque de caisses et pas de banques » (sic) jaillit en frappes sur-solidifiées, Dans ce momentum ( Kalabancoro) choisi parmi d’autres le chorus de trompette monte à l’extrême de la scène avec un écho comme brillance Suit, vient ensuite, un tempo funky façon le Miles de Tutu ( arrangements de Marcus Miller, autre bassiste fétiche, sans doute n’est-ce pas un hasard ) S’y impose, s’y incruste cette fois un contrechant de guitare d’une coloration très bluesy. Bona l’Africain voyage au travers de ses musiques, de ses racines, de ses influences, de ses emprunts plus ou moins directs. Et engage de fait son audience à le suivre, à partager ses notes mises en culture dans le filtre assumé de son continent natal.
Et puis, question public, engagement, attirance et séduction, no problem, Il sait y faire Richard Bona, bassiste virtuose, accompagnant des frères Brecker, de Trilok Guru, Joe Zawinul autant que de Pat Metheny, parmi d’autres noms étoiles des musiques du monde liées au jazz. Compagnon de toujours au hasard de carrefours de carrières de feu Sylvain Luc également, on le sait moins « Nous nous sommes trouvés tous les deux jeunes musiciens débarquants à Paris, partis de terres différentes lui de Bayonne et moi de mon Cameroun natal… Je n’ arrive toujours pas à croire que je ne vais pas le croiser bientôt sur un trottoir ou dans une salle à Paris où quelque par dans le monde…» Il sait s’y prendre aussi le bassiste chanteur -et vice versa, difficile que de trancher en matière de primeur quant au rôle – expert prolixe en histoires de métier, de bon mots, de détails notés à l’occasion d’étapes de tournées sur le pourtour du globe « Cette tournée justement nous a trimbalé de Tokyo à Los Angeles, de L.A. à Singapour et Berlin ensuite, mais Pau, vraiment c’était où ça dans ma tête ?…Quand on me l’a proposé, et que j’ai su que le concert était organisé par Stef ( je l’appelle comme ça Kochoyan, il m’a déjà programmé ailleurs, je lui ai dit Pau ? ah bon, OK on y va…et ja vais vous dire maintenant: cette ville it’s my best, ailleurs ils ont pas le confit…d’ailleurs, ici chez vous, je vais rester deux jours ! »
La musique reprend son cours en une ballade (Dreamland) objet d’un chorus de basse en notes coulées et de phrases en onomatopées du bout des lèvres susurrées. Maîtrise, savoir faire personnel, imprimatur sur un instrument et un mode de chant rodé au long de centaine de concerts donnés depuis plus de trente années de musiques parcourues Témoin ce Shiva Mantra composé lors d’une halte sur une scène de Mombai, cette ville indienne autrefois appelé Bombay. L’orchestre lui aussi, dans son sillage s’est forgé un son. Travaillé, clair dans la place et la facture des instruments. Compact en une apparente facilité. La sonorité en impose justement, celle du groupe comme celle de la basse, en particulier lorsque elle s’annonce pour pour un hommage à une légende de cet instrument, Jaco Pastorius « Je ne l’ai jamais rencontré mais je sais tout ce qu’il a apporté comme musicien… » Teen Town, composition de Jaco démarre sur une intro drue du tambour de la part de Nicolas Vicaro. Moment choisi pour une démonstration de jeu de basse, évidemment, notes, plans placés dans leur affichage,tout en self control, sorte d’appel pour une série de chases, de séquences en duo puis trio associant successivement trompette, guitare, batterie, synthé. Bref de quoi, dans une certaine fidélité au son d’origine du bassiste culte de Weather Report donner le plaisir du souvenir d’un moment musical retrouvé
Il s’y entend oui, Richard Bona, au travers des notes, des mélodies, des mots, des situations à conter ses histoires. Et là sur cette scène paloise, dans cette salle remplie à raz bord ce soir comme en prévision le lendemain. Ce soir le bassiste camerounais annonce son titre « Je vais vous faire un solo de machine vaudou… » Seul sur la scène il fabrique alors son orchestre du moment, tisse ses lignes instrumentales une à une, les installe, les aligne, les étage, les croise avec sa machine électronique à faire des boucles sonores « avec trop de boutons mais bon, faut s’y faire…», son dit looper. Au final sur cet accompagnement luxuriant il ne lui reste plus qu’à lancer son chant imprimé d’accents africains. Exercice improvisé qui le fait jouer en toute facilité sur les mots, les sons, les volumes. Récital en guise de dessert.
Richard Bona, musicien du Cameroun venu faire le métier en France mais à qui, fin du siècle dernier, l’administration refusa de prolonger sa carte de séjour dut s’exiler aux USA. Aujourd’hui, il le dit, il vit à Miami; Pince sans rire il lâche « Et là en Floride, vous savez moi musicien, depuis quelque temps je me trouve entouré de Trump..ettistes ! » Mais, ça c’est une autre histoire.
Robert Latxague