Rocher de Palmer: Black Lives, la force du collectif
Black Lives
Jacques Schwartz Bart (ts), Pierrick Pedron (as), Gregory Privat (p), Federico Gonzalez Peña (clav), David Gilmore (g), Reggie Washington (b, elb), Marcus Gilmore (dms), Sonny Troupé (dms, percu), Tutu Pumane (voc, g), Christie Dashiell (voc), Sharrif Simons (voc), DJ Grazzhoppa (plat)
Le Rocher de Palmer, Cenon (33150), 22 novembre
Un collectif à géométrie variable dont le nombre, la composition peut changer en fonction de la disponibilité des uns et des autres, chacun vivant et travaillant de part et d’autre de l’Atlantique. Pourtant tous défendent un projet musical lui aussi à dimension et inspiration de sources variables (jazz, soul, blues, rock, funk, hip hop, rap…) ancré dans une philosophie humaniste, libératoire et profondément anti-discriminatoire. Le message dominant des textes chantés ou contés se veut entièrement tourné vers la nécessité absolue d’une justice sociale dans le monde.
Le DJ ouvre le bal et sur un fond de scratches déjà Sharrif Simmons, immense stature, tranquille sous son chapeau entonne les principes de liberté « de génération en génération » (« We are here ») version slamé. Le décor est posé. Le tempo ne ralentit pas en soutien de la voix très jazzy compatible de Christie Dashiell. Avant le premier coup de sax, un bref solo d’alto de Pierrick Pedron ramassé sur l’essentiel, dynamique, expressif dans impact (en dépit d’une sonorisation de son instrument un peu défaillante) On sent un vrai travail de production en amont. L’adéquation entre les contenus générés, sens des paroles et volumes musicaux s’affiche en concordance de temps. Tous les musiciens sont sur scène, à présent. Les volumes, l’intensité montent crescendo. Une ambiance chargée hot afin re-visiter l’histoire de la musique afro-américaine (« Colored Man Singing the Blues), riff de sax plus deux batteries jointes.
Sans transition Black Lives entre dans une séquence rap sur base de basse et de tambours mis en avant (« Think ») Sonny Troupé en démonstration de savoir faire percussif frappe la peau tendue de son ka sous les contrechants acérés de ténor – ce duo se plait semble-t-il à transposer des plans d’un terreau Guadeloupe- Une autre sonorité, inattendue celle là s’ajoute en contrepoint, phrase de clarinette basse mise en boucle rythmique par ordinateur avant d’être ré-injectée. Moment fort, musique et vocal livrés en courant continu, gros voltage, pic d’énergie: on se trouve au beau milieu du concert.
Vécu en live, sur scène on ne sent pas forcément les passages de relais façon tension/détente. La dimension du collectif permet de varier, de différencier les moments de création musicale. Question de nombre de musiciens présents sur le plateau, d’instruments convoqués, de typologie d’écriture utilisée. Le groupe sous la baguette de son leader et mentor, Reggie Washington ( Le bassiste vit aujourd’hui en Belgique. Dans son parcours il s’est produit aux côtés de Steve Coleman, Brandford Marsalis, Cassandra Wilson, Oliver Lake, Uri Caine, Meshell Ndegeocello…) entre dans une séquence de calme, laissant le devant de la scène au voix tempérées, aux souffles de cuivres ou cordes de guitares apaisées. Un point de passage calculé ou pas vers quelques épisodes miroirs de jazz. « People of earth » fait vivre le moment d’une mise en avant du piano, soutien d’un vocal de mots et de scat, de prime abord avant d’enchainer sur un épisode solo enfin, signé Grégory Privat bien sûr, Vient une composition de Jacques Schwartz-Bart ensuite (« Drealming of freedom ») Elle parait sacraliser elle aussi cette formule minimaliste du quartet eu égard au contexte général d’un numerus clausus de musiciens plutôt élevé chez les Black Lives. L’occasion d’un travail prégnant sur les sonorités, travaillées tant sur le sax ténor via une mélodie tissée toute de finesse que sur le piano imposant ses couleurs personnelles par l’effet judicieux de surimpressions d’accords répétées. Les sur-lignages mélodiques au synthé ( Federico Gonzalez Peña, un peu dans l’ombre mais toujours original) vressortent en bonus gratuit.
Retour à un nombre de musiciens à nouveau plus fourni. Au service des voix pour l’occasion. Un son plus compact, tonalité pop rock sur tempo médium, incise slam et chorus de guitare naturellement planté en son sommet (David Gilmore) Musique vivante toujours, flot d’une tradition transmise depuis l’ile de Guadeloupe encore, ka et formules voix créole façon call § response (« Sa Nou Ye Be Proud « ) Sonny Troupé tambour ka bien en mains mène le bal en dialogue avec la guitare. Il fallait à ce récit en guise de conclusion, à ce journal de situations, d’images d’un monde durement tourmenté un kaléidoscope de notes et de sons signifants. Visiblement, dans la pensée du collectif il ne pouvait arriver au bout de tous ces zig zags musicalisés que modelé de terres d’Afrique. Question de langue, de mots, de souffles de cuivres et de sons de tambours toujours. Placé « Higher » pour, au public conscientisé désormais, faire lever les yeux vers un horizon « sans nuage » Ainsi se projette le message Black Lives.
Robert Latxague
Dernière minute: Black Lives vient de se voir décerner la médaille d’or du meilleur groupe étranger de l’année par Jazz Magazine.