Jazz live
Publié le 12 Déc 2024

Bo Van der Werf en masterclass au CNSM

Vendredi 6 novembre, la classe de jazz CNSMDP (Conservatoire national supérieur de musique et danse de Paris) donnait un concert de fin de la résidence dirigé par le compositeur et saxophoniste baryton belge Bo Van der Werf.

C’était l’occasion d’un premier contact avec la classe de jazz du CNSMDP après la passation entre Riccardo de Fra et Stéphane Payen nouveau chef de département. Premier contact de haute volée, car la musique de Bo Van der Werf n’est pas un jeu d’enfant. Ce saxophoniste belge né en 1969 a été le cofondateur du Brussels Jazz Orchestra en 1992, puis de l’orchestre à géomérie variable où l’on a vu défiler la crème du jazz belge (Laurent Blondiau qui en a été l’élément le plus régulier, Bart Defoort, Ben Sluijs, Jeroen Van Herzeele, Kris Defoort, Jozef Dumoulin, Fabian Fiorini, Pierre Van Dormael, Jean-Luc Lehr, Otti Van der Werf, Stéphane Galland, Chander Sardjoe, Lynn Cassiers, etc.) et qui s’est progressivement ouvert à cette partie de la scène française marquée par les personnalités de Steve Coleman notamment pour les conceptions métriques et Tim Berne pour les relations écriture-composition. Toute une famille musicale que l’on a trop longtemps réduite à un réputation de suiveurs de ces deux figures de proue de la scène créative des années 1980-90 (souvent en oubliant Berne au profit de Coleman), mais qui a pris son envol aux travers de personnalités comme Geoffroy de Masure, Guillaume Orti, Magic Malik, Benoît Delbecq, Nelson Veras, Gilles Coronado, etc.

La note de programme distribuée à l’entrée de ce concert était une occasion de remettre les pendules à l’heure, notamment pour le jazz critic, médiateur entre un art et son public, et lui-même pas toujours aussi sachant qu’on pourrait le croire ou le souhaiter, et donc habitué à entendre et penser la musique “simplement”. Laissons la parole à cette note où l’on peut lire que Bo Van der Werf « développe avec Octurn (depuis plus de 20 ans) différentes mises en jeu des concepts, des matériaux harmoniques et des couleurs d’Olivier Messiaen dans l’improvisation “jazz”. Il a d’ailleurs publié une thèse sur le sujet qui est désormais accessible sur son site: Les Petits Pays colorés : adding the colors of Messiaen to jazz composition and improvisation. ) »

On imagine qu’une pareil œuvre soit d’office interdite pour élitisme sur les ondes nationales, les grandes scènes encore ouvertes au jazz ou ces grands programmes d’aide à la création artistique qui tendent à remplacer “création” par les mots “productivité” et “évènementiel”. Quant à moi, le quasi autodidacte, sans rien y comprendre, j’ai toujours été séduit par l’onirisme insidieux de la musique de Bo Van der Werf, par ses vertiges rythmiques que j’étais capable plus ou moins de percevoir, ou peut-être plutôt d’éprouvrer, mais aussi, sans bien m’en rendre compte, par des jeux de formes et de couleurs qui relèvent du “charme” dans ce qu’il a de plus mystérieux. Et, pour tout discours critique, serais tenté de dire à mes lecteurs : « laissez vous faire ! »

Pour les étudiants qui participèrent à ces trois jours de master class, il n’était bien entendu pas question de se laisser faire – quoique ! – mais de faire. Et qu’ils n’aient été qu’en première année d’études ou déjà en troisième ou plus, ils “ont fait”. Ils ont se sont saisi de cette matière, de ces tempos superposés (où l’on voyait les pieds des uns et des autres battre des pulses contradictoires, mais toujours en relation les unes avec les autres par quelque équivalence invitant de passer de l’une à l’autre) ou de ces non tempos et donc de ces couleurs où l’harmonique, fonctionnel ou non, le dispute au modal… Ils s’en sont donc saisi avec une assurance certaine et un enthousiasme plus qu’apparent.

Le 18 décembre à partir de 20h, c’est de la “classe” d’un autre “maître” dont les étudiants du CNSM rendront compte lors d’un concert à la Petite Halle, le batteur gadeloupéen Arnaud Dolmen qui aura évoqué avec eux d’autres mystères, notamment ceux du Gwoka et ses tambours ka, auxquels Bo Van der Werf n’est certainement pas indifférent. En deuxième partie, d’autres musiciens issus du CNSM, tous compositeurs de leur répertoire – Keita Janota (saxophone alto, composition), Jules Regard (trombone, composition) et Oscar Teruel (piano, composition), Anthony Jouravsky (contrebasse) –  seront réunis sous la direction du batteur et compositeur Mailo Rakotonanahary. Franck Bergerot