Jazz live
Publié le 6 Fév 2025

Andy Emler tout “clar”

Entendez “clarinettes” pour un orchestre constitué de huit clarinettes et une section rythmique. Hier, au Studio de l’Ermitage, Andy Emler célébrait la sortie de son nouvel album “Le Temps est parti pour rester”. Toujours à l’affiche ce soir 6 février.

Le personnel mérite d’être décliné, car il n’est pas banal. Huit clarinettistes, de la clarinette soprano en Sib à la clarinette contrebasse, en passant par le cor de basset et la clarinette basse, entre les mains de musiciens dont certains ne sont pas encore familiers au jazz fan certifié : Nicolas Fargeix, Élodie Pasquier, Emmanuelle Brunat, Florent Pujuila, Louis Sclavis, Catherine Delaunay, Thomas Savy, Laurent Dehors. Si la rythmique reste celle du MegaOctet, moins le pupitre de percussions – Andy Emler (piano), Claude Tchamitchian (contrebasse), Éric Échampard (batterie) –, et si elle garantit cette énergie roborative qu’on connaît à la musique d’Emler (d’ailleurs ici, nullement monomaniaque), ce grand pupitre monotimbral inspire au chef et compositeur de nouvelles couleurs et de nouveaux jeux où sont exploitées toutes les ressources de l’ambitus et de la nuance instrumentale, de la microtonalité et de la combinaison orchestrale (unisson ou simple monophonie, contrepoint et fugue, canon et hoquet, nappes glissant les unes sur les autres). On notera une féminisation de l’effectif – d’autant plus relative qu’Élodie Pasquier était hier absente pour raison de santé –, réponse probable à des réprimandes venues d’en haut sur la masculinité du MegaOctet. Et pour paraphraser ce mot aujourd’hui prohibé qu’osa Jacques Audiberti en des temps anciens et qui disait « l’esprit vient aux filles avec la clarinette », je dirais aujourd’hui que « l’esprit vient au jazz avec la clarinette ». Si on entend par là que le jazz à venir pourrait trouver son salut dans une féminisation par la clarinette de ses effectifs qui l’affranchirait de sa dimension guerrière, compétitive, du folklore du cutting contest, où le soliste se doit d’envoyer la purée et le batteur de jouer avec ses couilles, outre un renoncement à voir les classes saxophones, de cuivres et de percussions plus fréquentées par les jeunes filles (et c’est là que la bât blesse), il se pourrait qu’une identification à l’aveugle des genres des clarinettistes sollicités·es par Andy Emler déroute tous nos préjugés. Franck Bergerot