Tony Malaby visite l’Hexagone

Passant d’une formule orchestrale à l’autre, vendredi au Sunside, mercredi au Périscope de Lyon, le saxophoniste américain était hier soir, 18 mars, au 19 rue Paul Fort, chez Hélène Aziza, avec le guitariste Gilles Coronado, le contrebassite Bruno Chevillon et le batteur Samuel Ber.
Précédé d’une réputation de saxophoniste texan avec tout l’imaginaire que ça entraîne, lorsque Tony Malaby embouche son ténor dans la pénombre où il semble s’être réfugié côté jardin, on aurait tendance à rentrer la tête dans les épaules. Or, c’est une alouette qui s’élève de son saxophone et dont le chant sert d’ouverture, les autres instruments entrant progressivement comme un lever de soleil découvre un paysage. Oh, la chaleur gagne, il y aura des canicules, de bourrasques, des averses, des coups de tonnerre… mais aussi de frémissantes accalmies, des nocturnes et de quasi silences où l’on tendra l’oreille, une oreille d’entomologiste guettant la stridulation… Et eux, qu’ont-ils vu, entendu, et qu’ont-ils en tête pour nous emmener dans de tels paysages sonores au long de tels récits : l’ouverture de l’exposition Van Gogh? Quelque pièce Giacinto Scelsi ou quelque chanson de Lou Reed ? Les modelés trompeurs de la Montagne de Lure où Éric Barret s’est perdu récemment ? Les noirceurs lumineuses de Tarkovski ? Frémi à la nouvelle de l’entretien entre Trump et Poutine ? Point de partitions sur scène, c’est tout juste si l’on se regarde. Ont-ils seulement répété ? Convenu d’un programme ? Tout est instantané, écoute mutuelle et vocabulaire étendu. Qui emmène ? Personne et tout le monde ? À tour de rôle ? Tout s’enchaîne par association d’idées, et s’assemble d’une sidérante façon organique. Et tout peut arriver, qui n’arrivera pas nécessairement au concert suivant, tel ce soudain surgissement d’un tempo qui fait venir sur la batterie une passagère second line. Comment cela tient ensemble ? Pourquoi l’intervalle entre ces deux notes venues au même moment sur l’un et l’autre instrument ; pourquoi ces deux phrases qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre trouvent leur raison d’être ensemble ? Tout est ici question d’anticipation et d’art de la résolution, qui fait qu’ils terminent le concert tous quatre d’un commun accord, sans concertation, avec le naturel des dernières mesures d’une chanson. Ce soir, 19 mars, Tony Malaby et Samuel Ber seront au Périscope, avec Jozef Dumoulin, et l’on se dit que les Lyonnais ont bien de la chance. Vendredi 21, Tony Malaby sera à nouveau en quartette, mais cette fois-ci avec Marc Ducret, Stéphane Kerecki et Daniel Humair. Y serons-nous ? Franck Bergerot