Jazz live
Publié le 6 Avr 2025

D’angoisse à La Joie en brouette avec saxophone

D’angoisse à La Joie en brouette avec saxophone

Guéméné-sur-scorff, connu pour son andouille, a aussi son cinéma d’art et essai, le Ciné Roch, tenu par une quarantaine de bénévoles. Hier, on pouvait y entendre le saxophoniste Baptiste Boiron dans la bande son d’Un Voyage en brouette.

Une drôle d’histoire initiée par Lionel Épaillard, alias Vieux Néon, militant d’une décroissance de salut public, et co-fondateur du parti La Brouette, comédien d’un théâtre de mots et d’objets abrité dans une étable du 18e siècle aux alentours de Melrand (Morbihan), le Grandiloquent et sa compagnie des Arts Paisibles. Y furent reçus l’an passé un autre habitant de Melrand, le saxophoniste Baptiste Boiron, et son trio Là avec Frédéric Gastard et Bruno Chevillon.

Du 15 avril au 30 avril, reprenant une expérience qui l’avait conduit en 2017 du Lac de Guerlédan à Hennebont (Morbihan), Vieux Néon a pris le parti de pousser sa brouette d’Angoisse (commune de Dordogne) à La Joie, lieu-dit qu’il supposait exister à Saint-Just Luzac (Charente-Maritime au sud de Rochefort). Sponsorisé par Haemmerlin, depuis 1867 fabricant de brouette à Saverne (Bas-Rhin), qui lui a fourni sa brouette à l’ergonomie permettant une marche soutenue tout en poussant devant lui son couchage et les accessoires de son petit théâtre ambulant, il s’est fait accompagner par le réalisateur Arthur d’Haeyer dont la caméra l’a suivi de 12 à 20 kilomètres par jour, d’étape en étape où on l’accueille pour un spectacle, le souper et le coucher. Portrait d’une France rurale, de la plus terne (notamment ces communes mitées par des lotissement-dortoirs indifférents à la vie locale) à la plus accueillante, voire la plus imaginative. On verra la caméra s’attarder soudain sur une affiche annonçant les “Cadences du Monde” de Louis Sclavis avec Dominique Pifarély le 16 mai à l’église Saint-Pierre de Chateauneuf-en-Charente. On s’y attardera chez Maître Loulou, maçon devenu sculpteur d’escargots et de météorites. On fera la connaissance de Benoît Bireau, opiniâtre et courageux militant d’une agriculture paysanne et agro-écologique, parlementaire européen puis élu à l’Assemblée nationale. Et l’on finit par découvrir à la fin du voyage qu’il existait bien une ferme de La Joie à Saint-Just Luzac, désormais perdue dans un lotissement où un élu de cette commune de droite – courant derrière le pas décidé de Vieux Néon et sa brouette – lui montre en tendant la main : « À gauche, c’est La Joie ! »

Difficile de ne pas penser à Agnès Varda dans Les Glaneurs et la glaneuse. Sens du détail d’Arthur d’Haeyer ? Espièglerie de Lionel Épaillard ? Et Baptiste Boiron dans tout ça ? Dans le plan final, il mêle ses saxophones à un étrange boléro composé par Vieux Néon sur son ordinateur, mais surtout Boiron improvise très librement sur cette mélodie pour accompagner la brouette dans ses déambulations. Sonorité remarquable où la vieille tradition du saxophone français de Marce Mule, prend un bain de jouvence, le vibrato adouci et le phrasé délié, sur des variations mélodiques dont l’onirique élégance égale la liberté de propos et qui ponctuent très tendrement les images d’Arhur d’Haeyer et ces 215 kilomètres en brouette vers La Joie. Et si c’était lui, Boiron et ses saxophones qui nous faisaient penser à Agnès Varda ? Franck Bergerot

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