Jurançon : Minvielle, un cru d’Oc dans la cuvée Jazz
Charlotte Planchou (voc, g, perc), Mark Priore (p), André Minvielle (voc, perc), Nino (elb), Juliette Minvielle (elp, voc)
Tonnerre de jazz, Atelier du Nez, Jurançon (64110)
C’est peut-être une idée du tonnerre de la part de l’association paloise du même nom. Pourtant à priori cela peut figurer une drôle d’idée. Mêler une jeune chanteuse de jazz à l’univers polymorphe d’André Minvielle, lui qui jase à tous les étages comme on dit à Uzeste chez Lubat, ça peut d’abord sembler un pari. Ils ont dit OK chacun et chacune, bien entendu, mais… Il revient à « Dédé » Minvielle le béarnais d’ouvrir le bal, CQFD eu égard à ses travaux d’origines, on en reparlera…Sur son « Beau vélo de Babel » une chanson à la tonalité pataphysicienne apte à révéler le secret d’épeler une phrase lettre par lettre à la course labiale mais empreinte d’un pur swing mainstream. Et de prouver d’entrée que sa formule d’affichage « Y’a de l’Oc dans le jazz » ne représente pas seulement un effet de langue ou d’accent mais bien un métissage enrichissant de notes comme de mots. Minvielle, toujours souriant laisse la place au « duo de jeunes »

Entre en scène alors Mark Priore et Charlotte Planchou. « My heart belong to daddy » Occasion pour la chanteuse de placer beaucoup d’effets de voix, valorisée dans la prestation scénique d’une gestuelle, d‘un affichage de visages expressifs. Question vocal pur, sur ce standard immortalisé par Marylin elle fait un travail sur les nuances de scansion, appuie les contraste sur les syllabes. Le piano s’affiche « sage », boulot clair, sobre d’accompagnement sur le chant de prime abord. Avant de se lâcher, volubile le long de solos aventureux. De Léo Ferré, Charlotte reprend son iconique « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », chanson offerte avec la manière, le feeling originel (ce titre figure aussi dans son récent album Le Carillon/ Quai Son Record). Au piano très à l’écoute, attentif Marc Priore enveloppe la mélodie avec soin. Non sans tact. Vocal jazz ou tendance plus chanson, Charlotte Planchou bénéficie de l’art de sculpter les mots. Sur la tendance plus spécifiquement Brésil, en accord avec la sonorité complice du piano, elle trouve naturellement les couleurs qu’il faut à la bossa nova.

André Minvielle, le local de l’étape fait alors son retour en scène. Les prestations de celui, unique troubadour de chants et de rythmes dans son genre -enfin reconnu en récompense par l’Académie du Jazz- sèment aux vents sud sud-ouest autant de notes que de mots. D’où, et cela lui vaut signature, un long intermède discursif en introduction : « Comme le dit l’affiche, j’ai mis de l’Oc dans mon jazz. Un mariage qui marche parce que les couleurs de ces langues se mélangent sans problème » Concert dédié par le chanteur béarnais à un ex-compagnon d’orchestre de scènes régionales qui l’ont vu débuter « D’ailleurs le voici justement ici à mes côtés, le « Nino » bassiste de mon ancien orchestre de bal, Pepe Nunca. Ainsi que ma fille, Juliette » Une forme de quartet donc avec l’aide du piano de Mark Priore resté à leurs côtés afin de lancer la session en impros partagées, soit chez le chanteur du pays verbe plus formules rythmiques croisées sur un tempo binaire favorable aux pas de danse. Il dit, il chante, il frappe à main nue sur peaux ou métal. Dédé Minvielle évolue bien dans son jus.
Une oreille avertie croit reconnaître le hit de l’accordéoniste Tony Murena, « Indifférence », manière de valse hybridée. Tout de suite Minvielle y apporte sa dote « Cette belle mélodie m’a servi de base. Mais je me la suis appropriée, je l’ai transformée en une chanson à ma manière, « La vie d’ici » Lequel air de fête surgit alors à deux voix, Charlotte Planchou étant revenu elle aussi aux affaires. Minvielle comme elle y injectent de bonnes doses de scat. Le premier y fait sonner ses pitchs de rimes en « gasconnades » connus des fidèles de l’Uzeste Musical de Bernard Lubat. Soit dit en passant, dans la jouissance d’improviser, dans le jeu de tremplin des notes et barres de mesure, l’ombre chinoise de celui ci passe souvent dans l’art inspiré de celui là. Et le « Dédé » comme l’appelle tous les visiteurs de la patrie de Lubat rend alors hommage aux « Hestejades » uzestoises, ces convocations pour que la fête continue à l’Estaminet et alentours dans la petit village de la lande girondine. Salut de compagnonnage confraternel piqué d’un trait d’humour vache à l’égard des dits « grands festivals de jazz » : « Vous savez je suis passé l’an dernier à Marciac pour la première fois histoire d’y célébrer Nougaro. Marciac, un festival haut du panier si j’en crois ce que des gens laudateurs m’ont dit là bas. Beaucoup ne savaient pas pour autant que moi ça fait 40 ans que je suis sur scène à Uzeste, petit village gaulois de l’impro… » Sourire coquin sous la moustache. Chez Minvielle, mine de rien le verbe triomphe toujours en tchatche pure comme en musique.

Quelques couplets signifiants ensuite : « J’en parle comme ça en passant parce que c’est dans l’ai du temps: Nino, mon pote bassiste a fait Betharram. Puis le service militaire ici dans les paras à Pau. D’après lui, chez les bérets rouges c’était comme des vacances par rapport à l’institution catho… » Ou encore « Croyez moi ou pas, je suis passé par le Brésil pour mettre du béarnais sur mes musiques de coeur » Il enchaine aussitôt, démonstration en rythme de samba sur le « Bet ceu de Pau » ( le beau ciel de Pau ), chanson iconique, hymne de la cité du bon Roi Henri et de l’actuel premier ministre de France et de Navarre. Et de poursuivre aaussitôt « Donnez moi un do. Je règle ma tôle pour une chanson que je dédie à Nino » Il désigne ainsi un instrument de percussion singulier sur lequel il frappe à main nues ou avec des ballets de batterie. Minvielle explique alors qu’il a récupéré un plateau de service de bar « Le café a fermé à cause de la pandémie de Covid. En souvenir j’ai gardé ce plateau… » Entre ses mains expertes et facétieuses, le métal mute en cymbale ou tambourin. Fort de cette arme spéciale, il développe un groove certain. André Minvielle garde le secret de son jeu, expose sa manière personnelle de faire swinguer les syllabes. Sa fille Juliette l’appuie sur des accords répétitifs donnés au piano électrique. Puis à la demande de son père entonne, langue béarnaise en résonance évidemment, un « branle », chant autant que danse traditionnelle de la vallée d’Ossau, couloir pyrénéen, passage entre les Pyrénées Atlantiques et Hautes, ancrage du fromage de brebis et de l’étape montagnarde du Tour de France des cols Aubisque-Tourmalet. Une fois encore, la voix du « père » fait chœur au chant de sa fille. Comme dans cette dite « Cumbia campesina » elle aussi apte à déclencher des pas de danse à l’image des versions originelles « latino » de cette musique ancrée dans la côte caraïbe colombienne. Juliette et André de Nay (cité béarnaise natale du premier ministre, encore lui) échangent en duettistes phrases et figures rythmiques, source commune d’un feeling show chaud.

« Midnight Sun » de Lionel Hampton source d’échanges vocaux avec Charlotte Planchou. « Le verbier » également, composition de son ami accordéoniste Marc Perrone lui aussi fidèle parmi les fidèles uzestois. Un bout de maloya réunionnais enfin, pris plein swing plein chant avec Juliette, sa fille. Et dans le fil d’un concert forcément original questions couleurs Mark Priore en adaptations successives, en improvisations pianistiques appropriées tire lui aussi son épingle du jeu ….

S’impose ainsi chez Minvielle en permanence dans son exercice particulier un savoir faire nourri, polymorphe, pluriel, une façon unique d’improviser sans cesse sur le fil du rythme comme sur les jets d’onomatopées. Toutes ces cartes offrent en joker à André Minvielle les recettes d’une musique très libre. Sans doute ce qui se cache derrière la simple formulation de l’injection « de l’Oc dans mon jazz »
Robert Latxague