Marciac: Niño del Elche flamenco hors champ

Niño del Elche (voc), Emilio Carcafé (g, voc), Nasrine Rahmani (perc)
La Strada, Marciac ( 32230), 12 avril
Si l’on ne craignait pas de parcourir les musiques du monde à feeling fort au risque de côtoyer quelques clichés, on pourrait par raccourci facile rapprocher les voies du flamenco de celles des terres du blues. À cet horizon l’ “arte” particulier du Niño del Elche le ferait figurer aux côtés de feelings bruts d’un Screamin’ Jay Hawkins voire Doctor John ou Captain Beefheart question organe vocal dominant et prestations scéniques saisissantes…

En attendant, mise en scène cash pour une mise en action choc question image, le chanteur né voici 40 ans dans la province d’Alicante entame son spectacle dans une pénombre totale. Et carrément de dos comme avant lui, Miles Davis ou Dylan. Chant accroché rude dans les graves. Et immobilité totale du corps doublé de l’accompagnement minimum d’une guitare discrète à ses côtés Il célèbre ainsi sa « Fiesta gitana »

La lumière se fat jour. On distingue un costume tissé de (supposés) fils d’or luisants sous les spots . Mais on entend surtout cette voix d’outre tombe éclater toute en modulations. Elle chante des histoires d’hommes et de femmes, de leur quotidien, de leur terre ancrée au sud de la péninsule, entre rudesse des climats de montagne et douceurs des limons du Guadalquivir. D’un fleuve à un autre, d’un final commun en delta, on pourrait songer aux rives du Mississipi, avec toujours des échos de blues qui sait…La langue chez le Niño, moins créolisée gitane que d’autres à Séville ou Jerez donne dans une poésie simple. On y perçoit de la douleur et du rire à la fois ( Bulerias Cortas, Taranrtas gitanans) Avant que le scénariio du concert ne se bloque à nouveau: Niño del Elche sous son couvre chef brodé doré campe alors un corps Immobile, figé dans une posture avec main tendue. Comme le font ces personnages statuaires, anonymes, muets en costumes sombres dans la rue, cherchant leur dime sur le pavé. Et puis, revirement lorsque la lumière éclabousse les planches soudain, venant de nulle part, retentissent une trompette et un tambour, de celles et ceux sonnants l’assaut sur le champ de bataille ( Saetas de los Golpes) Le chant alors se fait discours.

Autre moment, autre climax lorsque la guitare, seul soutien en matière d’harmonie et mélodie se fait petite, presque discrète dans les notes distillées une à une en résonance pure de ses cordes nylons. La voix, carte maîtresse domine le jeu de rôles, toute de présence, suspendue en fil rouge aux différents scénarios de chacune des histoires contées. Ainsi en va-t-il du « cante » flamenco, sa force brute, ses couleurs contrastées, sa magie d’expression. Un cri terrible déchire l’air sous le dôme de l’Astrada ! .La voix peut surgir ainsi, tout à coup violente, tranchante tel in coup de poignard. ( Malagueña del Canario apuñalado) Ou venant de nulle part en onomatopées sur un fond d’échos d’une bande en insert numérisé, enregistrement de cornemuses évoquant une symphonie improbable de musique baroque. Niño del Elche s’aventure en toute connaissance de cause en terres inconnues de la doxa flamenca. Ce qui lui a déjà valu excommunication de la part des tenants de l’orthodoxie « pura » et dure du genre.

Hors les algorithmes de vraie intelligence innervant ses cordes vocales, peu d’improvisation il est vrai pour jalonner un parcours scénique original. En revanche on y sent un gros travail effectué en amont sur les images, les éclairages, la gamme des sonorités produites. Soit la mise en place de sa musique, sa mise en scène. Tell ce final où, assis torse nu au bord de la scène, la percussioniste vient lui placer une à une autour du cou une dizaine de grosses chaines imitation or tandis qu’explose en fond sonore une obsédante session de rythmes répétitifs façon « house music »…Cinq minutes chronos non stop. Et rideau .

Niño del Elche dans son être profond, en toutes occasions, demeure « flamenco »

Robert Latxague