Camille Bertault au Petit Duc d’Aix en Provence, la féline!
Camille Bertault au Petit Duc d’Aix en Provence, la féline!
Camille Bertault jazz singer – Official web site
Camille Bertault, compositions et voix / Fady Farah, piano/Christophe Minck, contrebasse, voix/Minino Garay : batterie et percussions
Si Le Petit Duc à Aix en Provence https://www.lepetitduc.net/ encourage la découverte de jeunes talents, favorisant la création qui à son tour influencera sa programmation à venir, la chanson a toujours été l’un de ses terrains de prédilection. Quoi de plus naturel dès lors que de réunir chanson et jazz (Jazz et chanson copains, ça doit pouvoir se faire ) en invitant, ce vendredi 19 novembre, la jeune Camille Bertault pour un concert (en live et en retransmission en direct sur la web télé) inspiré de son troisième album Le Tigre, sorti en 2020 chez Masterworks ( Sony)?
Repérée pour son scat admirablement maîtrisé sur le “Giant Steps” de Coltrane (d’où son précédent album Pas de Géant en 2018 chez Okeh), la chanteuse a décidé désormais de chanter en français ses propres compositions. Musicienne accomplie (quinze ans de piano classique), elle a grandi dans la musique (un père ingénieur du son et pianiste amateur) mais elle aime aussi le théâtre qui aurait pu être son premier choix de carrière. Et cela se sent, dès son entrée sur scène, dans une lumière bleutée. De l’assurance, du charme et de la fantaisie, de la maîtrise également. Magnétique, elle occupe déjà le plateau par sa seule présence sans trop envahir l’espace sonore, laissant l’interaction jouer avec ses complices. La musique circule, respire entre eux. Elle a su s’entourer de musiciens experts qu’elle a choisis soigneusement, l’ Argentin Minino Garay aux percussions et à la batterie, le pianiste libanais Fady Farah rencontré au Conservatoire.
Quant à Christophe Minck, harpiste à l’origine, il sait chanter, joue à présent de la basse et compose des musiques de films, ceux de Cedric Clapisch (« Peut-être » (1999), « Ni pour, ni contre (bien au contraire) » (2003), « Les poupées russes » (2005), « Paris » (2008), « Ma part du gâteau » (2011), « Casse-tête chinois » (2013) au dernier « Ce qui nous lie » (2017)).
Cette collaboration fructueuse s’établit sur des échanges construits. Cette formation n’est pas un trio pour une chanteuse qui s’expose, voix et corps, selon le vieux cliché, alors que les musiciens organisent la création. C’est un authentique quartet de jazz, d’autant que Camille Bertault se comporte plus en instrumentiste qu’en diva, dans une mise en avant efficace mais sobre qui use des ressources de sa voix, flexible et rayonnante dans un registre medium, sans acrobatie particulière sauf quand elle scate.
Elle semble avoir trouvé sa voie et ce qu’elle a d’attachant, cette voie c’est qu’elle ne refuse pas une certaine forme de spectacle total : elle interprète ses textes, les anime en dessinant une chorégraphie plaisante qui swingue le long des mots. Si le swing est ce « je ne sais quoi » qui pousse à se remuer, à se balancer ( c’est le sens du mot), elle est totalement « dedans », bras et pieds suivent la pulse, elle sautille même dans ses mots chantés.
Plutôt à l’aise avec sa génération, est-elle un pur produit de l’époque? Pas sûr même si ses influences tendent à s’effacer, elle s’efforce de mettre à distance les figures trop prégnantes de son panthéon personnel qu’elle a repris dans ses albums précédents qu’ils soient jazzmen ( Bill Evans, John Coltrane), compositeurs classiques (Ravel, Chopin…) ou chanteurs comme Brassens, Gainsbourg.
Est-ce pour autant un virage vers la pop? Oublions les classifications trop rigides d’autant que le jazz a souvent puisé son inspiration dans la chanson. Camille Bertault pose des mots qui sonnent juste sur ses musiques qui, sur scène, se déroulent avec aisance et fluidité. Elle égrène une dizaine de chansons dont on se souvient, d’autant qu’elles ont souvent été mises en clips, comme “le Tigre” au graphisme accrocheur. Ce titre peut paraître mystérieux, c’est un hommage explicite au poème de Rimbaud, le Dormeur du Val, se servant de l’image finale pour explorer l’illusion des apparences.
Camille Bertault – Le tigre (Official Video) – YouTube
Camille Bertault serait elle autre qu’elle n’apparaît? A contre-courant, à contrepied même, dans le pertinent “A quoi bon?” qui ne la transforme pas pour autant en « aquaboniste » à la Gainsbourg. Ce serait plutôt son credo qu’elle nous délivre :
“A quoi bon aimer si tu peux collectionner?.. A quoi bon aimer si tu peux simuler? …A quoi bon inventer si tu peux imiter? … A quoi bon changer si tu peux te répéter?
Elle compose des textes tissés dans son vécu, emballés avec style, une sorte de journal intime, somme de ses réflexions, regrets (déjà) de trentenaire. Mutine et réfléchie, elle s’interroge sur ce passage du temps, dans ce petit bijou “Je vieillis”, exprimant avec justesse ce que l’on ressent: “ Je vieillis mais ça fait sourire quand je le dis… mes copains blanchissent, mes copines pondent…
Ses phrases accrochent sans que domine l’inévitable part d’ombre, “ gémir ne sert à rien” dit-elle. Plutôt revigorants, ses textes n’ont aucune fausse candeur, ne racontent pas d’histoire d’amour. Les ballades sensuelles, les envolées romantiques ne semblent pas être son genre, elle est trop tonique pour cela : sa seule déclaration d’amour, elle la fait, dans “Ma muse”, à la musique. Mais quand elle partage l’émerveillement de sa découverte de la Grosse Pomme dans “Nouvelle York”-où elle réagit sans trop rugir, imitant les sirènes, plane sans conteste l’ombre de Nougaro. On se souvient du retour inattendu du Toulousain, en 1987, avec le saisissant NougaYork, sur rythmique funk: “Dès l’aérogare, j’ai senti le choc, un souffle barbare, un remous hard rock… j’ai changé d’époque , comment ça démarre sur les starting blocks”…“C’est pas du Ronsard c’est de l’amerloc” . On en aura confirmation quand elle avouera à Gérard Dahan dans la désormais rituelle interview du Quart d’heure aixois, que, si elle est flattée de ce rapprochement trop évident, elle tente de s’en dégager, de s’échapper de toutes ses “petites boîtes” dans lesquelles on nous range.
Avec les chansons de Tigre, elle ne s’appuie pas sur le terreau de reprises fertiles, mais continue à s’inspirer des grands, Boris Vian et de son tube acide “Je suis snob” dans un “Tous egos” très actuel. Elle exhume aussi le “Blue Bird” de Charles Bukowski :“There is a bird in my heart that wants to get out” qui commence en anglais mais se poursuit en français, faute d’avoir pu obtenir les droits : “J’arrose ses plaintes de bourbon et d’absinthe, souffle sur son plumage du tabac en nuage”. Que dire de son “Dream, Dream” flottant, présenté comme psychédélique, qui bascule dans un climat résolument rétro, en duo avec son contrebassiste qui chante et siffle de bon coeur.
Après tout, elle n’est peut être pas tout à fait de son temps.
Sa voix douce et grave, au grain chaleureux charme sans chercher à enjamber des intervalles périlleux. Son énonciation distincte sculpte les détails, son phrasé original suit un tempo ajusté qui étire ses phrases ou les scande plus intensément. Elle ne tord pas le sens de ce qu’elle dit, mais nous donne une récitation poétique mise en musique. Pour une fois, le français sert son interprète, en jazz.
Chanteuse attachante, simple dans sa décontraction, on la sent généreuse et drôle. Elle aime se produire en club, cela se sent, et la jauge du Petit Duc est propice à ce rapprochement avec le public. D’où le rappel plus qu’entraînant, avec ce virevoltant “Forro Brasil” d’Hermeto Pascual, en portugais et avec un scat endiablé, renforcé de l’enthousiasme de Minino Garay aux percus et au triangle.
Si elle est jeune, Camille Bertault connaît déjà le métier. Elle ne tient pas à se laisser enfermer dans un style : en trois albums, elle a déjà changé d’univers. Le style de la chanson reste prédominant mais une évidente maturité, des goûts très sûrs la font s’orienter vers des projets aussi intéressants que diversifiés. Elle n’hésitera pas à puiser, comme le font depuis toujours les Américains, dans le répertoire populaire de la “bonne” chanson, avec un hommage orchestral à Gainsbourg, génial créateur d’une pop française mélodique, ouverte à tous les emprunts. Sans compter un futur album avec un pianiste sur le label allemand ACT et un autre duo très prometteur avec le contrebassiste danois Thomas Fonnesbaek qui sait accompagner à merveille les chanteuses comme Sinne Eeg.
Sophie Chambon
NB : rappelons le travail formidable de l’équipe technique qui oeuvre en salle et pour la retransmission en direct sur la chaîne du Petit Duc, au son Eric Hadzinikitas et aux lumières Jérôme Bouvène.