Jazz live
Publié le 20 Oct 2018

DAVID CHEVALLIER ‘Emotional Landscapes’, Reims Sunnyside Festival

Un voyage à Reims pour découvrir, dans un festival sans œillères, une entreprise singulière du ‘Sonart’ de David Chevallier, qui relit/relie Björk avec les musiques anciennes et baroques.

 

Escapade rémoise bienvenue pour le chroniqueur, d’extraction axonienne (selon le gentilé qui désigne ceux qui sont nés, ou vivent, dans la département de l’Aisne). Je suis ravi de (re)venir dans la grande ville du département voisin de mes racines, où sont ancrés tant de souvenirs de jeunesse. En déjeunant avec l’une de mes sœurs dans une brasserie du centre, j’ai la surprise de découvrir, exposée là, une lithographie de Daniel Humair : signe que les circonstances m’entraînent vers le vif du sujet ?

En début d’après-midi, mi-curiosité, mi-nostalgie, je fais une balade sous le chaud soleil d’octobre, et sur les traces d’un court épisode (à peine plus d’un an) de ma vie lycénne pérégrinante.

Place des Six Cadrans, le Café Français s’appelle désormais ‘Au Sans Souci’. Il y a toujours un flipper, mais ce n’est plus le Gottlieb Sunset sur lequel mes amis et moi étions presque imbattables ; il y avait alors un juke-box où l’on pouvait contourner Beatles et Rolling Stones pour écouter les Animals, et leurs reprises de John Lee Hooker, Ray Charles, Screamin’ Jay Hawkins, Muddy Waters…. Dans la rue qui mène vers Rethel, Charleville ou le Luxembourg, le Café Ardennais n’est pas ouvert à cette heure : nous y écoutions, en 1965-66, les nouvelles chanson de Nougaro de cette période : Splaouch, Chanson pour le maçon, Sing Sing Song, Armstrong….

Un petit tour au Centre Saint Ex, spécialisé dans la culture numérique, où mes amis de France Musique seront le jour d’après pour deux heures de direct autour des orchestres de la fédération Grands Formats (lien de réécoute), et l’enregistrement de deux émissions ‘Jazz Club’. Le lieu ravive à ma mémoire son ancêtre, le Foyer Saint Exupéry, installé naguère près des avenues résidentielles du champagne. Lycéen dilettante, je consacrais alors plus de temps à dévorer les nouveautés littéraires pour le comité de lecture de la bibliothèque de Saint Ex qu’à suivre les cours et leur cortège de travaux imposés. Dans le Saint Ex d’aujourd’hui, j’étais venu voici quelques années enregistrer pour France Musique un beau concert en trio du pianiste Eric Watson.

Près du Lycée Cémenceau, où je fis une trimestre de seconde et huit mois de première (avant d’être exclu pour mes persévérantes indisciplines !), je passe devant le petit café où j’étais plus assidu qu’aux cours…. Son existence, à 50 mètres à peine du lycée, tenait du miracle administratif : antérieur à l’établissement scolaire édifié au milieu des années cinquante, il était intouchable. C’est aujourd’hui un club Techno du nom de Wave. Naguère on y jouait au flipper (un Flying Chariot, dont mes copains et moi bloquions souvent le compteur des parties gratuites à son maximum). Et en arrivant chaque matin, je mettais 20 centimes dans le juke-box (20 centimes de franc : un paquet de Gauloises coûtait moins d’un franc cinquante….), pour écouter France Gall et son Jazz à Gogo, seule trace de cette musique en ce lieu. Ma venue aujourd’hui à Reims me fait croiser, au Temple protestant où se tient la répétition du concert, des lycéen(ne)s de terminale de Clémenceau, venu(e)s dans le cadre d’une action culturelle découvrir le travail de David Chevallier autour de la musique de Björk.

Au cours de la répétition David Chevallier et les membres de son groupe dialoguent avec les lycéens, leur expliquent la démarche musicale, présentent les instruments et répondent à leurs questions. Le guitariste-arrangeur-chef d’orchestre expose la teneur du projet : donner de l’univers très singulier de la chanteuse-compositrice islandaise, qui mêle électronique et hyper-production de studio, une version totalement acoustique, avec des instruments anciens venus de la musique du moyen-âge, de la renaissance et de l’âge baroque.

le groupe ‘Emotional Landscapes’, Extended Play, pendant la répétition

DAVID CHEVALLIER « Emotional Landscapes » Extended Play

David Chevallier (théorbe, guitare baroque, adaptation), Anne Magouët (soprano, violon alto), Atsushi Sakaï (viole de gambe), Judith Pacquier (cornet à bouquin, flûte à bec), Abel Rohrbach (saqueboute basse), Volny Hostiou (serpent, basse de cornet), Keyvan Chemirani (zarb, daf)

Reims, Temple de l’Église Réformée, 17 octobre 2018, 20h30

 

Ce concert marque la deuxième des trois journées autour de la fédération Grands Formats, qui se poursuivront le lendemain avec deux autres concerts, et des rencontres professionnelles. À l’origine, cette relecture de Björk s’est faite en trio, avec le théorbe, la voix soprano et une basse de viole, et en quatuor, avec ténor de viole et basse de viole. La nouvelle nomenclature est un septuor (on est tenté de dire en septette, car si l’on n’est pas dans le champ du jazz, l’esprit de cette musique règne sur ce projet). La musique de Björk se prêt admirablement à cette transfiguration : la saqueboute, le cornet à bouquin, le serpent, le théorbe et la viole de gambe semblent être les médiateurs naturels de cette musique. Les percussions de Keyvan Chemirani sont exactement dans la couleur qui, du moyen âge à l’ère baroque, scanda les rythmes des musique savantes autant que populaires. Et la voix d’Anne Magouët réalise ce miracle de parvenir au maximum d’expression sans forcer sur les artifices, par la seule présence pertinente du timbre, de l’attaque et de la nuance qui conviennent à chaque mesure. Dans ce nouveau contexte (on serait tenté de dire dans cet écrin), ces musiques et ces textes semblent livrer leur vérité foncière. Monteverdi et Purcell sont de la partie, en introduction, postlude, alternance ou tuilage, et c’est par une sorte de magie que s’opère la métamorphose. À un moment du concert, un épisode intrumental, qui associe la viole de gambe (tenue et jouée comme une guitare), la percussion et la guitare baroque, se lance dans une de ces envolées cursives dont le jazz a le secret, comme pour nous rappeler que ce programme avait pleinement sa place dans ce festival. Ce trio, rejoint par la voix, va nous offrir un des nombreux temps forts du concert, qui va soudain se fondre dans Monteverdi et se dissoudre dans une coda à tiroirs jusqu’à une résolution différée. Un autre moment paroxystique, qui m’a beaucoup frappé fut un chant très sombre qui fit ressurgir en moi le souvenir du mouvement lent de la Troisième symphonie de Mahler, quand une voix de contralto chante un texte du Zarathoustra de Nietzsche : «Humain, écoute ! / Que dit minuit de sa voix grave ? / J’étais plongé dans le sommeil / J’émergeai d’un rêve profond / L’univers est profond, profond / Plus que le jour ne l’imagine…». Qu’on me pardonne ces anachronismes musicaux et culturels, mais c’est cette analogie qui, en cet instant, a surgi dans mon esprit. Bref, vous l’aurez compris, d’une chanson de Björk à une autre, au travers des escapades baroques, et surtout de la métamorphose musicale opérée par David Chevallier dans ce qu’il désigne modestement comme une adaptation (une re-création, en fait), j’ai été transporté. En rentrant dans mes pénates, et en réécoutant quelques chansons de Björk (ce que je n’avais pas eu l’occasion de faire depuis plusieurs années) je me suis rendu compte à quel point l’intuition de David Chevallier était féconde : oui cette musique se prête magnifiquement à cette relecture, et le résultat est plus que convaincant !

 

Décidément, cette escapade rémoise d’un peu plus de 24 heures fut un total bonheur, conclu par un déjeuner avec un ami de longue date, Nordiste devenu Champenois, compagnon lillois d’études littéraires et philosophiques, et surtout de l’agitprop culturel qui nous occupait au tournant des années 60 et 70, entre cinéma d’avant garde et grands films classiques. Ce polygraphe émérite et impénitent publie d’abondance sur le site http://www.pileface.com/, et nous avons poursuivi, comme si de rien n’était, les conversations qui nous occupent depuis une cinquantaine d’année….

Xavier Prévost

 

Le ‘Jazz Club’ de France Musique diffusera le concert de l’Orchestre Franck Tortiller ‘Collectiv’ le 3 novembre à 19h, et celui d’Alban Darche ‘Atomic Flonflons’ le 22 décembre, à la même heure.

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Tous les événements, et les concerts de la rentrée des Grands Formats jusqu’à la fin de novembre en suivant ce lien

http://www.grandsformats.com/rentree-grands-formats-2018/