JAZZ à La VILLETTE : ROBERTO NEGRO, piano futuriste
Hors les murs de la Cité de la Musique et de la Philharmonie de Paris, le festival Jazz à La Villette essaime, notamment avec sa programmation ‘Under The Radar’.
Ce 4 septembre, c’est au Studio de l’Ermitage, avec Roberto Negro et son nouvel objet pianistique : Kings & Bastards.
ROBERTO NEGRO «Kings & Bastards»
Roberto Negro (piano, clavier numérique, ordinateur), Mathieu Pion (son), Allessandro Vuillermin (mise en lumière, scénographie)
Paris, Studio de l’Ermitage, 4 septembre 2018, 21h45
Sans forcer sur l’analogie en raison de ses origines transalpines, c’est au mouvement futuriste italien des années 1910 que me fait penser ce projet du pianiste.
Le titre fait peut-être plus référence au passage du pur à l’impur entre le son ‘naturel’ du piano et le son ‘traité’ par l’ordinateur (lequel est le pur ? lequel est l’impur ?) qu’aux lignées princières et royales abâtardies.
Belle surprise : la cohérence du concert ne tente pas de restituer le déroulement du disque («Kings & Bastards», à paraître début octobre chez Cam Jazz/Harmonia Mundi). Il y a déjà eu un filage à Musiques au Comptoir, à Fontenay-sous-Bois : un peu plus de trente minutes. Ici la musique se développera sur trois quarts d’heure : l’improvisation se libère, dans un cadre formel et technologique plus maîtrisé que contraignant. Mais avant le concert, de la bière a coulé sur l’ordinateur, compromettant l’intégrité du dispositif. Le pianiste annonce que l’on a sorti le sèche-cheveux pour effacer les dommages. Le public, nombreux, patiente avec humour.
Et le piano patiente aussi, avec résignation
Vers 21h45 les dégâts sont réparés. Le concert peut commencer. C’est d’abord très rythmique. Les rythmes et les hauteurs semblent piloter la lumière par quoi sporadiquement le pianiste sort de la pénombre.
Puis deux cercles lumineux saluent la naissance d’un son feutré, progressivement habité par le rythme.
Ici se croisent des boucles de sons traités, des envolées de piano naturel, et des incursions dans les cordes pincées ou caressées par les mains du pianiste.
Sur des arpèges graves de la main gauche, la dextre se fait chantante. Le piano rhapsodise un peu tandis que le pianiste s’emballe dans un doux fredon. Vient alors un festival de syncopes, où le jazz croiserait Bartók et Stravinski.
Retour du son traité qui fait chanter les aigus avant qu’une valse romantique ne nous ramène -en nous prenant littéralement par la main- vers le piano naturel. Fondu au noir et applaudissements chaleureux.
Cet objet musical et scénique convainc dès l’abord et recèle je crois, en puissance (merci Aristote !), bien des développements prometteurs. C’est une corde supplémentaire à l’arc, déjà largement fourni, de Roberto Negro. Le musicien nous a entraînés, une fois de plus, dans un territoire d’inattendu, de surprise(s), et d’audace réelle, sans surenchère ostentatoire. Belle leçon de musique, en somme.
Xavier Prévost