Jazz à Luz 2022 2/4
Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, Jeudi 14 juillet 2022, 9h00, Maison de la vallée
Nuits
Émilie Škrijelj (acc, électroniques), Stéphane Clor (vlle, électroniques), Armand Leseq (életroniques), Tom Malmendier (dr)
La thématique nocturne signifiée par le nom de la formation annonce la couleur. Leur proposition interroge les nuances douces, les développements de textures souvent portés vers la granulosité du son, sous forme de drones, de frétillements, de tremblements (trémolos) et/ou de craquements. Pour une fois, les crissements des sièges s’intègrent sans dommage au paysage sonore. Des sons fantômes – autrement dit de sons « acousmatique », dont l’œil ne peut définir la source – traversent incessamment l’ensemble, lancés via l’ordinateur d’Armand Leseq (qui, par sa discrétion, évoque Gilbert Nouno) ou les pédales d’Émilie Škrijelj et de Stéphane Clor. Pour ceux pas tout à fait encore bien réveillés, une musique du matin parfaite qui fit entrer en douceur les spectateurs dans une longue journée de musiques aventureuses.
Gèdre (65), Jazz à Luz, Mercredi 14 juillet 2022, 14h30, Hameau d’Ayrues
Christiane Bopp (tb), Núria Andorrà (perc)
Contrairement aux autres années, pas de déambulation musicale cette fois au festival. Une bonne initiative tant la chaleur caniculaire aurait pu rendre une telle pratique pénible. Les lois du dérèglement climatique s’imposent peu à peu…
Après un pique-nique champêtre collectif pris dans un pré planté au milieu des sommets pyrénéens, les festivaliers furent invités à entrer dans la grange d’une bergerie pour écouter un duo d’improvisation libre, rencontre inédite entre la tromboniste Christiane Bopp et la percussionniste Núria Andorrà. Je le rappelais déjà hier, il n’est pas possible de dégager d’une musique instrumentale un sens précis et particulier, de surcroît lorsqu’il s’agit d’improvisation. On peut certes s’orienter vers la pure contemplation esthétique du son pour lui-même et se laisser porter d’instant en instant. Il est aussi possible de donner libre cours à son imagination, démarche recommandable voire recommandée dans certaines situations. Alors, le cadre influe. Ce d’autant plus si, comme ce fut le cas au début du concert, les musiciennes nous portent vers une approche fondée sur l’association d’images. De manière un peu convenue, elles commencèrent ainsi par produire des sons de cloches et clochettes renvoyant aux occupants habituels du lieu. Par la suite, l’auditeur « figuraliste » put entrevoir des insectes, le passage d’un orage, le souffle du vent… Notre machine à associer les images peut aussi bien s’emballer : une machine aux rouages manifestement déréglés morphe en joueur de cor des alpes zen performant dans le suraigu ; un éléphant bavard enrhumé se voit interrompu par un avion lointain. Et lorsqu’un bébé se manifeste dans le public, est-ce bien l’incipit de « fais dodo, Colas mon p’tit frère » qui est joué par Christiane Bopp (qui termina sa prestation par quelques accents blues) ?
Gèdre (65), Jazz à Luz, Jeudi 14 juillet 2022, 16h30, Patinoire
Vasco Trilla (dr, perc)
Après une descente – pour certains pédestre – jusqu’au village de Gèdre, les festivaliers se retrouvèrent à la patinoire de ce village pour une performance solo du batteur-percussionniste Vasco Trilla. Si la fraîcheur de l’endroit fut appréciable, certains commentaires soulignèrent son incongruité du lieu choisi : entretenir la glace d’une patinoire en pleine canicule et période de dérèglement climatique, était-ce bien raisonnable ?
Positionné au milieu de l’espace de glisse, l’Espagnol dévoila d’abord son art du frottement et des phénomènes vibratoires sur peaux et métaux. Peu à peu, il accumula les vibreurs au point d’en faire un véritable petit orchestre. Bientôt, des métronomes furent ajoutés à l’ensemble agrémenté de hiératiques coups de plaques de métal suspendues. La multiplicité des tempos exprimés associée au hors temps des coups ponctuels généra une délicieuse suspension, un temps amorphe qui aurait mérité d’être écouté allongé. Le monde singulier de Vasco Trilla fut ainsi l’une des révélations de la 31e édition de Jazz à Luz.
Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, Jeudi 14 juillet 2022, 18h00, Bar de l’Europe
Fanfare Olaïtan
Calliste Houannou, Elie Tocbenon (tp), Christophe Takpa (tb), Edmond Tossou (tu), Cyprien Assinou, Jules Cnanmassou, Simon Yambode (perc)
Le temps de se rafraîchir et de redescendre à Luz, il était déjà l’heure d’aller écouter la fanfare béninoise. Installée au milieu de la rue, face au Bar de l’Europe, elle présenta une musique allègre, franchement engagée et joyeuse. Cette jubilation venait en particulier de leur art du rythme. Le sourire jusqu’aux oreilles, le trompettiste Calliste Houannou anima l’ensemble de chants, d’harangues, de pas de danse d’un investissement qui rayonnèrent sur la foule de plus en plus nombreuse à mesure que la performance se développait – ce qui me rappela la réflexion de Debussy, il y plus d’un siècle, sur les vertus de la musique populaire face à la musique « qu’on écoute entre ses mains ».
Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, Jeudi 14 juillet 2022, 21h00, Chapiteau
The Archetypal Syndicate
Karsten Hochapfel (elg, g portugaise), Paul Wacrenier (kalimba, mbira, likembe, guembri, perc, effets), Sven Clerx (dr, perc)
En prélude aux concerts du soir, une table ronde animée par Anne Montaron se tint à 19h près du Parc Massoure avec pour thématique l’égalité femme-homme dans la musique en 2022. Plus proche de la discussion à bâtons rompus que du débat d’idées, les invités soulignèrent d’une manière générale que la situation a vraiment commencé à changer pour les femmes dans le milieu de la musique improvisée depuis cinq ans. Même s’il reste du chemin à faire, le mouvement est lancé. On peut écouter les échanges via le site de la radio Fréquence Luz.
Deux heures plus tard commençait le concert de The Archetypal Syndicate autour de Paul Wacrenier, le pianiste ayant délaissé son clavier au profit d’instruments africains. Musique de transe, de mises en boucle, ce principe s’articula sur une base le plus souvent maintenue par Paul Wacrenir au piano à pouce ou au guembri (qu’il domine parfaitement) alors que les deux autres musiciens improvisèrent leurs propres cycles mis en circuit fermé. Parfois l’excellent Karsten Hochapfel lâcha un solo, mais toujours contenu, loin de l’attitude du guitar heroe. Lorsqu’il s’empara de sa guitare portugaise (à cordes doubles), je songeais à Pat Metheny ! Leur système musical s’appuya sur un son d’ensemble homogène et chaleureux qui emporta l’auditoire. Sur des rythmiques parfois entre Afrique et rock et des métriques souvent en 5/4 ou 7/8, les musiciens travaillèrent sur des cycles longs, parfois dissymétriques entre eux. Pour ma part, si j’appréciais l’imagination et l’investissement de Sven Clerx, je regrettais un sens du groove que j’aurais aimé encore plus affuté. À l’issue du concert, les auditeurs firent une ovation méritée à cet ensemble qu’il faudra réentendre.
Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, Jeudi 14 juillet 2022, 23h30, Chapiteau
Tust
Caroline Dufau (vx, perc, elb), Lila Fraysse (vx, perc), Jules Ribis (elb, vx), Xavier Tabard (dr, vx), Sandz Grosclaude (son)
Tust, c’est la réunion de deux duos : Cocanha, un binôme féminin de chant traditionnel occitan, et Sec, un tandem basse/batterie rock underground. Jazz à Luz fut à l’origine de cette réunion improbable, leur octroyant une résidence d’une semaine dont il s’agissait là de la restitution. Excellente idée qui est peut-être survenue à la suite du constat que cela bouge beaucoup du côté de la musique traditionnelle, qu’il ne faut pas confondre avec la musique traditionnaliste arcboutée sur l’immuabilité d’une musique qui, en vérité, n’a cessé d’évoluer. Rencontre de la polyphonie et des mélodies occitanes avec l’énergie du rock, des morceaux assez brefs s’enchaînèrent, toujours bien arrangés et avec des idées intéressantes et variées : là, une musique répétitive, ici, reprise a cappella d’une chanson de Brigitte Fontaine dont l’harmonisation évoqua le Moyen-Âge (accords parallèles), plus tard un morceau tout en ruptures qui pourrait indiquer une influence zornienne, et en bis un slam occitan revendicatif (« revolucion ») sur une rythmique salement proche du rock. De nouveau, par l’énergie investie plus que par la prise de risque de l’ensemble, la foule debout pour danser salua de la plus belle des manières la création de cette jeune formation au devenir prometteur.
Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, Vendredi 15 juillet 2022, 1h30, Club de la Maison de la vallée
Nout
Delphine Joussein (fl, electroniques), Rafaelle Rinaudo (harpe électrique), Blanche Lafuente (dr)
Les noctambules se réunirent au bout de la soirée sous les voûtes de la Maison de la vallée pour l’unique concert de cette édition en ce lieu. S’appuyant sur une image peut-être un peu trop facile, on peut dire que ce trio féminin déploie une musique mi-ange, mi-démon. En front line, le duo flûte et harpe n’hésite d’abord pas à employer leur instrument de manière traditionnelle avant de littéralement en faire exploser les attributs habituels de douceur et d’intimité dès l’arrivée de la puissante batterie de Blanche Lafuente. De la musique de salon, ou quasi, on passait ainsi au punk le plus hardcore. Musique de fragments frénétiques, la saturation, les effets électroniques, le « boostage » des basses de la harpe firent sauter et battre de la tête une partie du public, et pas seulement la plus jeune. Aux arpèges angéliques répondirent donc des déferlements dignes du Hellfest, et aux accents de musiques du monde de la flûte de rudes stop-and-go frontaux. Pour que la nuit soit plus belle, le trio invita les deux vocalistes de Cocanha puis les musiciens béninois de la fanfare Olaïtan. Mais à cette heure-là, la fatigue de votre rapporteur avait vaincu son appétit de découverte.
Ludovic Florin