Jazz à Luz 2021 : jour 2
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Chapiteau, 11h
Kepler
Julien Pontvianne (ts, cl), Adrien Sanchez (ts, kb), Maxime Sanchez (p, kb)
Assez loin de Flash Pig, les frères Adrien et Maxime Sanchez s’associent à Julien Pontvianne pour proposer avec Kepler une musique de l’émergence, faite d’espace et de souffle, une musique conçue par touches de sons, d’effets d’apparition et de disparition. Parfois une mélodie s’installe, au lieu de s’imposer. Le piano en prolonge alors certaines notes par résonance ; d’autres fois l’orgue soutient dans toute leurs puretés ces lignes diaphanes. Ce temps long, étale, invite à l’introspection, dispose au lâcher prise. Si l’on ne peut s’empêcher d’inscrire Kepler dans le prolongement des Música Callada de Mompou ou de partitions de Morton Feldman, Satie s’impose à l’occasion d’une réappropriation d’une de ses Gymnopédies. Une composition d’Adrien Sanchez, introduite par une sorte de bicinium à deux saxophones, voit se recroqueviller dans le grave un choral qui évoque le « Silence » de Charlie Haden.
Dans un premier mouvement – et à l’encontre de ce qu’avance Adrien Sanchez lors de sa présentation – on se dit que cette musique n’est pas faite pour le plein air, que l’intimité d’une salle de spectacle permettrait une meilleure perception des sons infinitésimaux du trio. Pourtant, lorsqu’à la fin du concert des cris de martinets prolongent les petits sons de vibrations des anches d’un des deux saxophonistes, un surcroît de magie opère alors.
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Colline Solférino
Le Un
Sophie Agnel (fl à bec), Claire Bergerault (vx, acc), Soizic Lebrat, Aude Romary (vlle), Camille Emaille, Benoît Kilian (perc), Amanda Gardone, Rozemarie Heggen, David Chiesa (cb), Anouck Genthon, Mathieu Werchoswski (vl), Natacha Muslera (vx), Pascal Battus (surfaces rotatives), Benjamin Bondonneau (cl), Patrick Charbonnier (tb), Michel Doneda (ss), Bertrand Gauguet (as), Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger (électroacoustique), Jean-Luc Petit (ss, ts), Michel Mathieu (action).
Le grand ensemble Un investit l’espace et l’environnement de la colline de Solférino, qui surplombe Luz. Sur place, et grâce à la présence de ses musiciens, on prend soudain conscience qu’au fond on perçoit là avant tout des sons humains. La nature occupe le lieu certes, mais le bruissement de la vie naturelle demeure ténu : des insectes, quelques oiseaux. Jérôme Noetinger palie à cette quasi-absence en diffusant quelques chants que seule l’électricité peut créer ou en projettant des sons concrets d’oiseaux exotiques ou de singes. Soudain Michel Mathieu surgit et rappelle par son action la folie des hommes, en se flagellant quasiment, en invoquant quelque dieu obscur. Les musiciens répartis dans l’espace somment les échos de leur répondre, créent leurs propres dimensions acoustiques mouvantes.
Des textures s’inventent ; la matière se densifie plus ou moins avec de rares moments d’acmés. Certains spectateurs préfèrent déambuler pour mieux profiter de cette immersion en « 3-D ». D’autres restent allonger et voient auditivement aller et venir des sons venus de toutes les directions. Les plans sonores se superposent, s’affrontent. Une violoniste s’acharne sur ses cordes quand un autre fait une cadence parfaite. Jean-Luc Petit joue comme Pharaoh Sanders alors qu’un autre saxophoniste, caché, tire de son soprano quelques sons inavoués. Une chanteuse crie, un percussionniste gratte des objets qu’il fracasse ensuite en les projetant dans une boîte. De l’électronique disperse ses leçons électriques pendant qu’un bruitiste expérimente les sons produits par sa cymbale au contact de l’eau. Un quintette, puis sextette de soufflants lance des incantations aux sommets.
Plusieurs randonneurs arrivaient là par hasard font des yeux ronds ; l’une d’entre eux se laisse tenter par l’expérience. Yseuline tombe soudain dans la mare de la petite fontaine. La performance s’achève par un dialogue entre Natacha Muslera et Camille Emaille, finalement investit par le chien d’une spectatrice.
Trois heures durant, les vagues se sont ainsi succédées en un paysage sonore diffracté. Il est temps de redescendre sur terre.
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, place des templiers, 17h30
Compagnie Rêvolution « Groupe d’intervention chorégraphique »
Antoine Boulges, Simon Dimouro, Manuel Guillaud, Maxim Thach, Aurélien Vaudey (danse)
Sur la place de l’église, court intermède dansé. Sur fond de musique électro, quatre garçons et une fille proposent leur vision de la danse hip hop. Grand succès populaire pour ces chorégraphies qui donnent la place à des solos improvisés. Certains mouvements collectifs pourraient renvoyer au célèbre Thriller de Michael Jackson. Sans doute les jeunes générations auront-elles vu d’autres choses… !
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, place des templiers, 19h00
Derinëgolem
Megi Xexo (vl), Lambert Plauzolles (dr)
De nature fort différente, le second intermède donna à entendre un duo violon/batterie. Tout commencera et finira par un bourdon. En plus des ritournelles incessamment relancées, la violoniste entonne des mélodies sans doute d’origine albanaise, du moins avec des ornementations propres à cette région du monde. Le duo vaut précisément par le croisement entre cette musique d’ascendance populaire et des rythmes bien plantés, plantureux même, venus du rock, de la techno voire du punk. Musique à danser, musique de transe, voilà de nouveau une musique répétitive pour ce cru 2021 du festival, mais d’un genre tout à fait différent de celles entendues la veille, ce que les titres des morceaux joués par Derinëgolem illustrent à leur manière : autoroute, cowboy, cocktail et piscine, etc.
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, chapiteau, 21h30
Pang! (The Bridge #2.5)
Sophie Agnel (p), Ben Lamar Gay (cnt, perc, vx), Pascal Niggenkemper (cb), Sam Pluta (électronique)
The Bridge consiste en une alliance de musiciens hexagonaux avec d’autres issus de la scène chicagoans et alentours (jusqu’au middle west des États Unis). En temps normal, les groupes constitués dans ce cadre ne tournent pas l’été. Mais l’occasion fait le larron, et à la fin du dernier confinement en date, une tournée a pu se mettre en place en moins de trois mois. Après sept dates un peu partout en France, ce Bridge 2.5, finalement renommé Pang!, concluait sa tournée à Jazz à Luz.
Peu de répétitions et de mises en boucle avec ces quatre improvisateurs, pour au contraire une musique à la morphologie constamment changeante, mouvante, indescriptible au sens propre comme littéral du terme. Des moments se succèdent où chacun cherche (et parvient) à se montrer à la hauteur du kaïros, ce graal de l’improvisateur, ce « moment opportun » où le son émis est celui qu’il fallait à cet instant précis, à la faveur de l’espoir d’un surgissement. Les sensations produites relèvent de l’étrangeté, de l’attente périlleuse, d’une latence qui se mue tout à coup en explosion d’intensités, bref tout ce qui fait le plaisir de l’improvisation totale.
Des ensembles se font et se défont au sein de la formation, tel le duo Sophie Agnel-Ben Lamar Gay, subitement consonant.
Si l’on connaît bien Pascal Niggenkemper à Luz, les festivaliers les plus fidèles purent découvrir Sam Pluta à l’occasion de ce Bridge. Il donna une prestation remarquable, faisant virevolter des sons électroniques improbables, réfléchissant certains traits lancés par ses partenaires en les faisant passer par différents filtres, proposant, suggérant, imaginant sans cesse.
Après une heure d’improvisation totale avec quelques sacres de l’instant, le public exigea un rappel. Plus court, celui-ci ne donna pas autant de fruits murs, ce qui est fréquent dans ce type de configuration, le temps long préparant souvent mieux (quoique pas toujours) l’advenue de félicités éphémères.
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, place des templiers, 22h30
Michel Deltruc & Alfred Spirli
Michel Deltruc, Alfred Spirli (dr, perc)
Entre les deux concerts du soir, le public s’installait face à une scène extérieure pour assister au duo Michel Deltruc-Alfred Spirli. Le ton change d’entrée : les deux batteurs se lancent en effet dans un échange pulsé et emporté. Passant outre la perfection du groove, le duo se concentre sur l’énergie et la joie communicative projetée vers le public. La joie se transforme ensuite en sourire lorsqu’Alfred Spirli déploie une panoplie d’objets insolites, fait grincer les barrières du jardin ou tourbillonner et donc siffler divers ustensiles au-dessus du public. Si les enfants ont adoré, le duo réussit aussi à réveiller l’âme enfantine de leurs spectateurs !
Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, place des templiers, 17h30
Edredon sensible
Jean Lacarrière (ts), Tristan Charles-Alfred (bs), Mathias Bayle, Antoine Perdriolle (dr)
Quoi de mieux que de finir la soirée qu’un Edredon sensible ? Attention toutefois : les noms de groupe correspondent parfois à de véritables antiphrases, comme c’est ici le cas. Avec ce quartette tout, ou presque, n’est en effet que puissance sonore, énergie inextinguible, volonté de dépasser ses limites physiques. Avec eux, la répétition absente de The Bridge retrouve son droit de cité. D’une certaine manière on pourrait résumer leur musique à de la polyrythmie avec une ligne de basse mise en boucle complétée par une autre ligne elle aussi reprise à l’infini, mélodique ou non. Les rythmes révèlent souvent de la batucada, s’épicent de saveurs orientales ou africaines. Le public, jeune et vieux, heureux de se retrouver en groupe, fête comme il se doit l’ivresse bachique de la vie retrouvée.
Ludovic Florin