Jazz in Arles commence (pour moi) avec le trio de Sylvie Courvoisier
Jazz au Méjan du 3 au 13 mai
L’aventure du jazz au Méjan continue en 2017 pour la 22ème édition, sur les bords du Rhône, dans la chapelle baroque du XVII ème, sur les terres d’Actes Sud, formidable acteur culturel de la ville.
Ce festival singulier a su faire du lieu qui accueille expositions, lectures et concerts classiques toute l’année, le point d’ancrage d’une manifestation thématique, en mai, célébrant le jazz et le piano. Cette année les concerts se dérouleront en creux des esquisses et autres travaux préparatoires intitulés «Ceux de la poésie vécue» du pionnier de l’art urbain qu’est Ernest Pignon Ernest.
J’y reviendrai car ceci n’est pas tout à fait sans rapport avec le jazz. Incidemment, Louis Sclavis, fasciné par le travail de ce « justicier du street art » a travaillé sur les dessins charbonneux placardés sur les murs de Naples, ces images « caravagesques » qui lui inspirèrent le Napoli’s Walls de 2003 .
Mais en ce mercredi soir, les programmateurs du festival Nathalie Basson et Jean Paul Ricard attendent Sylvie Courvoisier et son « trio jazz ». En 2014, elle était venue en duo avec son violoniste de mari, Mark Feldman. Cette fois, elle attaque avec Arles, une tournée de six dates en Europe, et ce sera le seul concert en France.
La vaillante équipe de l’association du Méjan n’en mène pas large car la pianiste et le contrebassiste sont bloqués en route…et l’heure du concert approche. Tout finira heureusement par s’arranger. La formation qui a pris le temps de s’ajuster, malgré la fatigue du voyage, le retard engendré par une correspondance ratée, l’arrivée tardive à l’aéroport de Marignane, investit à son tour l’architecture de la chapelle pour un concert qui démarre tambour battant : dès le premier titre, cela fonctionne et « la cigale » achève la préparation intensive, prolongeant la balance retardée mais non bâclée, le trio se chauffant comme le feraient des chanteurs, tentant ainsi de trouver ses marques.
Il faut vous dire que, si le contrebassiste Drew Gress assure sa part avec vigueur, retrouvant une complicité immédiate avec la pianiste, le batteur Kenny Wollesen, obligé de rentrer en Californie pour des raisons familiales, a dû être remplacé au pied levé, en moins d’une semaine. C’est le jeune batteur franco-japonais américain Tomas Fujiwara qui se glisse donc dans ce rôle peu confortable : arrivé de son côté, en avance ou du moins à temps, il s’est mis au travail avec acharnement. Ce qui fait dire au nîmois Guillaume Séguron, qui a prêté fort amicalement sa contrebasse à Drew Gress que, voilà bien un batteur américain, véritable force en mouvement qui se préoccupe moins du son et des couleurs que du rythme…
Tous déploient un jeu puissant et ouvert, à l’enthousiasme non feint. Sylvie Courvoisier, fidèle à ses habitudes, se retourne souvent vers sa section rythmique pour suivre les impulsions données. Les morceaux choisis s’enchaînent aisément : après le titre éponyme de leur précédent album « Double Windsor », viennent des compositions nouvelles où s’intercalent des passages brièvement tendres, plus rêveurs-tentation romantique?
L’ensemble a une cohérence organique, comme un système où la musique gronde et roule comme un torrent : les énergies libérées se déploient généreusement, et puisque personne ne veut prendre le pouvoir, la musique se développe à perte d’ouïe.
Sylvie Courvoisier fait preuve d’invention sur son clavier qu’elle parcourt dans toute sa largeur, percussive dans les «fonds de sons», « (Cecil) Taylorienne » jusque dans les profondeurs. Elle modifie aussi à dessein la texture du son en préparant son instrument, en usant d’adhésifs ou d’autres objets. Mais tous ses effets et ses transformations dont elle n’abuse pas, entrent à dessein dans la construction de « sa » musique.
Et puis ça danse aussi dans l’hommage à son père pianiste de jazz, «Swinging joker», membre de l’ « After shave » band ! Elle en swinguerait presque elle aussi, si ce terme ne dérangeait pas quelque peu dans son cas. Dans « Eclats » dédié à Ornette Coleman, peu après sa disparition, on retrouve le sens d’un mouvement, joyeux et libéré, une véritable mise en jeu du corps et de l’esprit qui ne s’obtient que par un travail et une concentration acharnés. Sans oublier le talent.
Vive et lumineuse dans son jeu comme dans sa personne, elle invite à entrer dans un monde qu’elle s’est créé : partie prenante de cette avant-garde, de la scène « downtown » de New York, cette frange de musiciens actuels qui, tout en étant redevables de la tradition (autant chambriste que pop et jazz), s’appliquent à faire autrement.
La musique comme la poésie ou la peinture gardent trace des risques pris, des expérimentations tentées. Œuvre éphémère, dans l’instant, quand il s’agit d’improvisation spontanée en concert, ou soumise aux aléas climatiques et au passage du temps, quand il s’agit des affiches de Pignon Ernest qui « font parler les murs» et révèlent la réalité des lieux. On découvre donc le processus de travail exposé, au fur et à mesure, une démarche novatrice, sensible, en prise avec le réel puisque la pianiste et son trio sont sur le qui-vive.
On peut continuer avec l’association du Méjan à parier sur la qualité de la musique d’aujourdhui.
Calme et exaltation est l’exposition actuelle de la Fondation Van Gogh toute proche, qui accueille des œuvres d’un «pays» de Sylvie Courvoisier, le collectionneur Suisse Emil Brühle, montrant le toucher vivace et les couleurs franches de Van Gogh, la progression stylistique de l’artiste dans son parcours. Ces deux substantifs me semblent caractériser assez bien Sylvie Courvoisier et je ne peux m’empêcher d’y voir un parallèle avec la technique brillante au service de la vive imagination de la pianiste, cette maîtrise de la structure qui commence à nous apparaître lentement quand on y repense sérieusement…
(A suivre)
Sophie Chambon|Jazz au Méjan du 3 au 13 mai
L’aventure du jazz au Méjan continue en 2017 pour la 22ème édition, sur les bords du Rhône, dans la chapelle baroque du XVII ème, sur les terres d’Actes Sud, formidable acteur culturel de la ville.
Ce festival singulier a su faire du lieu qui accueille expositions, lectures et concerts classiques toute l’année, le point d’ancrage d’une manifestation thématique, en mai, célébrant le jazz et le piano. Cette année les concerts se dérouleront en creux des esquisses et autres travaux préparatoires intitulés «Ceux de la poésie vécue» du pionnier de l’art urbain qu’est Ernest Pignon Ernest.
J’y reviendrai car ceci n’est pas tout à fait sans rapport avec le jazz. Incidemment, Louis Sclavis, fasciné par le travail de ce « justicier du street art » a travaillé sur les dessins charbonneux placardés sur les murs de Naples, ces images « caravagesques » qui lui inspirèrent le Napoli’s Walls de 2003 .
Mais en ce mercredi soir, les programmateurs du festival Nathalie Basson et Jean Paul Ricard attendent Sylvie Courvoisier et son « trio jazz ». En 2014, elle était venue en duo avec son violoniste de mari, Mark Feldman. Cette fois, elle attaque avec Arles, une tournée de six dates en Europe, et ce sera le seul concert en France.
La vaillante équipe de l’association du Méjan n’en mène pas large car la pianiste et le contrebassiste sont bloqués en route…et l’heure du concert approche. Tout finira heureusement par s’arranger. La formation qui a pris le temps de s’ajuster, malgré la fatigue du voyage, le retard engendré par une correspondance ratée, l’arrivée tardive à l’aéroport de Marignane, investit à son tour l’architecture de la chapelle pour un concert qui démarre tambour battant : dès le premier titre, cela fonctionne et « la cigale » achève la préparation intensive, prolongeant la balance retardée mais non bâclée, le trio se chauffant comme le feraient des chanteurs, tentant ainsi de trouver ses marques.
Il faut vous dire que, si le contrebassiste Drew Gress assure sa part avec vigueur, retrouvant une complicité immédiate avec la pianiste, le batteur Kenny Wollesen, obligé de rentrer en Californie pour des raisons familiales, a dû être remplacé au pied levé, en moins d’une semaine. C’est le jeune batteur franco-japonais américain Tomas Fujiwara qui se glisse donc dans ce rôle peu confortable : arrivé de son côté, en avance ou du moins à temps, il s’est mis au travail avec acharnement. Ce qui fait dire au nîmois Guillaume Séguron, qui a prêté fort amicalement sa contrebasse à Drew Gress que, voilà bien un batteur américain, véritable force en mouvement qui se préoccupe moins du son et des couleurs que du rythme…
Tous déploient un jeu puissant et ouvert, à l’enthousiasme non feint. Sylvie Courvoisier, fidèle à ses habitudes, se retourne souvent vers sa section rythmique pour suivre les impulsions données. Les morceaux choisis s’enchaînent aisément : après le titre éponyme de leur précédent album « Double Windsor », viennent des compositions nouvelles où s’intercalent des passages brièvement tendres, plus rêveurs-tentation romantique?
L’ensemble a une cohérence organique, comme un système où la musique gronde et roule comme un torrent : les énergies libérées se déploient généreusement, et puisque personne ne veut prendre le pouvoir, la musique se développe à perte d’ouïe.
Sylvie Courvoisier fait preuve d’invention sur son clavier qu’elle parcourt dans toute sa largeur, percussive dans les «fonds de sons», « (Cecil) Taylorienne » jusque dans les profondeurs. Elle modifie aussi à dessein la texture du son en préparant son instrument, en usant d’adhésifs ou d’autres objets. Mais tous ses effets et ses transformations dont elle n’abuse pas, entrent à dessein dans la construction de « sa » musique.
Et puis ça danse aussi dans l’hommage à son père pianiste de jazz, «Swinging joker», membre de l’ « After shave » band ! Elle en swinguerait presque elle aussi, si ce terme ne dérangeait pas quelque peu dans son cas. Dans « Eclats » dédié à Ornette Coleman, peu après sa disparition, on retrouve le sens d’un mouvement, joyeux et libéré, une véritable mise en jeu du corps et de l’esprit qui ne s’obtient que par un travail et une concentration acharnés. Sans oublier le talent.
Vive et lumineuse dans son jeu comme dans sa personne, elle invite à entrer dans un monde qu’elle s’est créé : partie prenante de cette avant-garde, de la scène « downtown » de New York, cette frange de musiciens actuels qui, tout en étant redevables de la tradition (autant chambriste que pop et jazz), s’appliquent à faire autrement.
La musique comme la poésie ou la peinture gardent trace des risques pris, des expérimentations tentées. Œuvre éphémère, dans l’instant, quand il s’agit d’improvisation spontanée en concert, ou soumise aux aléas climatiques et au passage du temps, quand il s’agit des affiches de Pignon Ernest qui « font parler les murs» et révèlent la réalité des lieux. On découvre donc le processus de travail exposé, au fur et à mesure, une démarche novatrice, sensible, en prise avec le réel puisque la pianiste et son trio sont sur le qui-vive.
On peut continuer avec l’association du Méjan à parier sur la qualité de la musique d’aujourdhui.
Calme et exaltation est l’exposition actuelle de la Fondation Van Gogh toute proche, qui accueille des œuvres d’un «pays» de Sylvie Courvoisier, le collectionneur Suisse Emil Brühle, montrant le toucher vivace et les couleurs franches de Van Gogh, la progression stylistique de l’artiste dans son parcours. Ces deux substantifs me semblent caractériser assez bien Sylvie Courvoisier et je ne peux m’empêcher d’y voir un parallèle avec la technique brillante au service de la vive imagination de la pianiste, cette maîtrise de la structure qui commence à nous apparaître lentement quand on y repense sérieusement…
(A suivre)
Sophie Chambon|Jazz au Méjan du 3 au 13 mai
L’aventure du jazz au Méjan continue en 2017 pour la 22ème édition, sur les bords du Rhône, dans la chapelle baroque du XVII ème, sur les terres d’Actes Sud, formidable acteur culturel de la ville.
Ce festival singulier a su faire du lieu qui accueille expositions, lectures et concerts classiques toute l’année, le point d’ancrage d’une manifestation thématique, en mai, célébrant le jazz et le piano. Cette année les concerts se dérouleront en creux des esquisses et autres travaux préparatoires intitulés «Ceux de la poésie vécue» du pionnier de l’art urbain qu’est Ernest Pignon Ernest.
J’y reviendrai car ceci n’est pas tout à fait sans rapport avec le jazz. Incidemment, Louis Sclavis, fasciné par le travail de ce « justicier du street art » a travaillé sur les dessins charbonneux placardés sur les murs de Naples, ces images « caravagesques » qui lui inspirèrent le Napoli’s Walls de 2003 .
Mais en ce mercredi soir, les programmateurs du festival Nathalie Basson et Jean Paul Ricard attendent Sylvie Courvoisier et son « trio jazz ». En 2014, elle était venue en duo avec son violoniste de mari, Mark Feldman. Cette fois, elle attaque avec Arles, une tournée de six dates en Europe, et ce sera le seul concert en France.
La vaillante équipe de l’association du Méjan n’en mène pas large car la pianiste et le contrebassiste sont bloqués en route…et l’heure du concert approche. Tout finira heureusement par s’arranger. La formation qui a pris le temps de s’ajuster, malgré la fatigue du voyage, le retard engendré par une correspondance ratée, l’arrivée tardive à l’aéroport de Marignane, investit à son tour l’architecture de la chapelle pour un concert qui démarre tambour battant : dès le premier titre, cela fonctionne et « la cigale » achève la préparation intensive, prolongeant la balance retardée mais non bâclée, le trio se chauffant comme le feraient des chanteurs, tentant ainsi de trouver ses marques.
Il faut vous dire que, si le contrebassiste Drew Gress assure sa part avec vigueur, retrouvant une complicité immédiate avec la pianiste, le batteur Kenny Wollesen, obligé de rentrer en Californie pour des raisons familiales, a dû être remplacé au pied levé, en moins d’une semaine. C’est le jeune batteur franco-japonais américain Tomas Fujiwara qui se glisse donc dans ce rôle peu confortable : arrivé de son côté, en avance ou du moins à temps, il s’est mis au travail avec acharnement. Ce qui fait dire au nîmois Guillaume Séguron, qui a prêté fort amicalement sa contrebasse à Drew Gress que, voilà bien un batteur américain, véritable force en mouvement qui se préoccupe moins du son et des couleurs que du rythme…
Tous déploient un jeu puissant et ouvert, à l’enthousiasme non feint. Sylvie Courvoisier, fidèle à ses habitudes, se retourne souvent vers sa section rythmique pour suivre les impulsions données. Les morceaux choisis s’enchaînent aisément : après le titre éponyme de leur précédent album « Double Windsor », viennent des compositions nouvelles où s’intercalent des passages brièvement tendres, plus rêveurs-tentation romantique?
L’ensemble a une cohérence organique, comme un système où la musique gronde et roule comme un torrent : les énergies libérées se déploient généreusement, et puisque personne ne veut prendre le pouvoir, la musique se développe à perte d’ouïe.
Sylvie Courvoisier fait preuve d’invention sur son clavier qu’elle parcourt dans toute sa largeur, percussive dans les «fonds de sons», « (Cecil) Taylorienne » jusque dans les profondeurs. Elle modifie aussi à dessein la texture du son en préparant son instrument, en usant d’adhésifs ou d’autres objets. Mais tous ses effets et ses transformations dont elle n’abuse pas, entrent à dessein dans la construction de « sa » musique.
Et puis ça danse aussi dans l’hommage à son père pianiste de jazz, «Swinging joker», membre de l’ « After shave » band ! Elle en swinguerait presque elle aussi, si ce terme ne dérangeait pas quelque peu dans son cas. Dans « Eclats » dédié à Ornette Coleman, peu après sa disparition, on retrouve le sens d’un mouvement, joyeux et libéré, une véritable mise en jeu du corps et de l’esprit qui ne s’obtient que par un travail et une concentration acharnés. Sans oublier le talent.
Vive et lumineuse dans son jeu comme dans sa personne, elle invite à entrer dans un monde qu’elle s’est créé : partie prenante de cette avant-garde, de la scène « downtown » de New York, cette frange de musiciens actuels qui, tout en étant redevables de la tradition (autant chambriste que pop et jazz), s’appliquent à faire autrement.
La musique comme la poésie ou la peinture gardent trace des risques pris, des expérimentations tentées. Œuvre éphémère, dans l’instant, quand il s’agit d’improvisation spontanée en concert, ou soumise aux aléas climatiques et au passage du temps, quand il s’agit des affiches de Pignon Ernest qui « font parler les murs» et révèlent la réalité des lieux. On découvre donc le processus de travail exposé, au fur et à mesure, une démarche novatrice, sensible, en prise avec le réel puisque la pianiste et son trio sont sur le qui-vive.
On peut continuer avec l’association du Méjan à parier sur la qualité de la musique d’aujourdhui.
Calme et exaltation est l’exposition actuelle de la Fondation Van Gogh toute proche, qui accueille des œuvres d’un «pays» de Sylvie Courvoisier, le collectionneur Suisse Emil Brühle, montrant le toucher vivace et les couleurs franches de Van Gogh, la progression stylistique de l’artiste dans son parcours. Ces deux substantifs me semblent caractériser assez bien Sylvie Courvoisier et je ne peux m’empêcher d’y voir un parallèle avec la technique brillante au service de la vive imagination de la pianiste, cette maîtrise de la structure qui commence à nous apparaître lentement quand on y repense sérieusement…
(A suivre)
Sophie Chambon|Jazz au Méjan du 3 au 13 mai
L’aventure du jazz au Méjan continue en 2017 pour la 22ème édition, sur les bords du Rhône, dans la chapelle baroque du XVII ème, sur les terres d’Actes Sud, formidable acteur culturel de la ville.
Ce festival singulier a su faire du lieu qui accueille expositions, lectures et concerts classiques toute l’année, le point d’ancrage d’une manifestation thématique, en mai, célébrant le jazz et le piano. Cette année les concerts se dérouleront en creux des esquisses et autres travaux préparatoires intitulés «Ceux de la poésie vécue» du pionnier de l’art urbain qu’est Ernest Pignon Ernest.
J’y reviendrai car ceci n’est pas tout à fait sans rapport avec le jazz. Incidemment, Louis Sclavis, fasciné par le travail de ce « justicier du street art » a travaillé sur les dessins charbonneux placardés sur les murs de Naples, ces images « caravagesques » qui lui inspirèrent le Napoli’s Walls de 2003 .
Mais en ce mercredi soir, les programmateurs du festival Nathalie Basson et Jean Paul Ricard attendent Sylvie Courvoisier et son « trio jazz ». En 2014, elle était venue en duo avec son violoniste de mari, Mark Feldman. Cette fois, elle attaque avec Arles, une tournée de six dates en Europe, et ce sera le seul concert en France.
La vaillante équipe de l’association du Méjan n’en mène pas large car la pianiste et le contrebassiste sont bloqués en route…et l’heure du concert approche. Tout finira heureusement par s’arranger. La formation qui a pris le temps de s’ajuster, malgré la fatigue du voyage, le retard engendré par une correspondance ratée, l’arrivée tardive à l’aéroport de Marignane, investit à son tour l’architecture de la chapelle pour un concert qui démarre tambour battant : dès le premier titre, cela fonctionne et « la cigale » achève la préparation intensive, prolongeant la balance retardée mais non bâclée, le trio se chauffant comme le feraient des chanteurs, tentant ainsi de trouver ses marques.
Il faut vous dire que, si le contrebassiste Drew Gress assure sa part avec vigueur, retrouvant une complicité immédiate avec la pianiste, le batteur Kenny Wollesen, obligé de rentrer en Californie pour des raisons familiales, a dû être remplacé au pied levé, en moins d’une semaine. C’est le jeune batteur franco-japonais américain Tomas Fujiwara qui se glisse donc dans ce rôle peu confortable : arrivé de son côté, en avance ou du moins à temps, il s’est mis au travail avec acharnement. Ce qui fait dire au nîmois Guillaume Séguron, qui a prêté fort amicalement sa contrebasse à Drew Gress que, voilà bien un batteur américain, véritable force en mouvement qui se préoccupe moins du son et des couleurs que du rythme…
Tous déploient un jeu puissant et ouvert, à l’enthousiasme non feint. Sylvie Courvoisier, fidèle à ses habitudes, se retourne souvent vers sa section rythmique pour suivre les impulsions données. Les morceaux choisis s’enchaînent aisément : après le titre éponyme de leur précédent album « Double Windsor », viennent des compositions nouvelles où s’intercalent des passages brièvement tendres, plus rêveurs-tentation romantique?
L’ensemble a une cohérence organique, comme un système où la musique gronde et roule comme un torrent : les énergies libérées se déploient généreusement, et puisque personne ne veut prendre le pouvoir, la musique se développe à perte d’ouïe.
Sylvie Courvoisier fait preuve d’invention sur son clavier qu’elle parcourt dans toute sa largeur, percussive dans les «fonds de sons», « (Cecil) Taylorienne » jusque dans les profondeurs. Elle modifie aussi à dessein la texture du son en préparant son instrument, en usant d’adhésifs ou d’autres objets. Mais tous ses effets et ses transformations dont elle n’abuse pas, entrent à dessein dans la construction de « sa » musique.
Et puis ça danse aussi dans l’hommage à son père pianiste de jazz, «Swinging joker», membre de l’ « After shave » band ! Elle en swinguerait presque elle aussi, si ce terme ne dérangeait pas quelque peu dans son cas. Dans « Eclats » dédié à Ornette Coleman, peu après sa disparition, on retrouve le sens d’un mouvement, joyeux et libéré, une véritable mise en jeu du corps et de l’esprit qui ne s’obtient que par un travail et une concentration acharnés. Sans oublier le talent.
Vive et lumineuse dans son jeu comme dans sa personne, elle invite à entrer dans un monde qu’elle s’est créé : partie prenante de cette avant-garde, de la scène « downtown » de New York, cette frange de musiciens actuels qui, tout en étant redevables de la tradition (autant chambriste que pop et jazz), s’appliquent à faire autrement.
La musique comme la poésie ou la peinture gardent trace des risques pris, des expérimentations tentées. Œuvre éphémère, dans l’instant, quand il s’agit d’improvisation spontanée en concert, ou soumise aux aléas climatiques et au passage du temps, quand il s’agit des affiches de Pignon Ernest qui « font parler les murs» et révèlent la réalité des lieux. On découvre donc le processus de travail exposé, au fur et à mesure, une démarche novatrice, sensible, en prise avec le réel puisque la pianiste et son trio sont sur le qui-vive.
On peut continuer avec l’association du Méjan à parier sur la qualité de la musique d’aujourdhui.
Calme et exaltation est l’exposition actuelle de la Fondation Van Gogh toute proche, qui accueille des œuvres d’un «pays» de Sylvie Courvoisier, le collectionneur Suisse Emil Brühle, montrant le toucher vivace et les couleurs franches de Van Gogh, la progression stylistique de l’artiste dans son parcours. Ces deux substantifs me semblent caractériser assez bien Sylvie Courvoisier et je ne peux m’empêcher d’y voir un parallèle avec la technique brillante au service de la vive imagination de la pianiste, cette maîtrise de la structure qui commence à nous apparaître lentement quand on y repense sérieusement…
(A suivre)
Sophie Chambon