JAZZ SUR LE VIF : Joe Lovano/Wasilewski Trio, Flash Pig
Soirée plus qu’intense au studio 104 de la Maison de la Radio (et de la Musique) : deux quartettes de deux générations différentes, deux approches de jazz, et un même investissement total dans l’urgence de la musique
FLASH PIG
Adrien Sanchez (saxophone ténor), Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie)
Paris, Maison de la Radio, 5 novembre 2022, 19h30
Le quartette, treize années d’existence déjà, et une réputation solidement établie, joue le répertoire de son récent disque («Le Plus longtemps possible», label Astérie), et commence comme sur le CD par un classique de la musique populaire du temps présent : Get Busy, de Sean Paul. Changement de climat ensuite avec un très belle composition du batteur, La Traversée, un festival d’infinies nuances, qui vont ensuite s’épanouir dans un lyrisme exacerbé, un concentré de pure beauté. Puis vient un moment échevelé, mi-biguine, mi-calypso, avant un autre thème, lent et presque processionnel. Dans toute la palette, d’un thème à l’autre, chaque membre du groupe excelle dans l’imagination, la pertinence et la musicalité. Puis ce sera une sorte d’incantation qui résonne dans la mémoire du vieil amateur comme un souvenir de A Love Supreme : une sorte de tournerie qui va s’interrompre soudainement pour laisser place au piano dans un grand moment de liberté tonale, qui débouchera sur une sorte de mantra, avant une montée en puissance, et un bref solo de batterie en guise de coda furtive. Nous sommes embarqués par ces quatre aventuriers de la musique. Et après un thème qui respire comme une ballade à l’ancienne, un rappel qui combine groove et lignes rêveuses finit de nous rendre captifs : captivité consentie, ce groupe est vraiment l’une des perles de l’époque.
JOE LOVANO & MARCIN WASILEWSKI TRIO
Joe Lovano (saxophone ténor), Marcin Wasilewski (piano), Slawomir Kurkiewicz (contrebasse), Michal Miskiewicz (batterie)
Paris, Maison de la Radio, 5 novembre 2022, 20h50
Le groupe est celui du disque «Arctic Riff», enregistré en 2019 pour ECM, et le répertoire du CD est largement mis à contribution. Ça commence dans un registre de jazz presque classique, velouté du saxophone, confort de la rythmique. Mais très vite l’intensité va croître, les échanges qui se glissent en permanence dans le déroulement des phrases nous disent qu’il y a une très forte écoute mutuelle, en même temps qu’une autonomie de chacun fondée sur le respect et la joie de jouer. Puis c’est Vashkar, énigmatique et sublime composition de Carla Bley, dont le leitmotiv ressurgit dans les improvisations, comme un manifeste du temps présent. Et la suite du concert confirme que l’on ne décrochera pas des hautes sphères, c’est comme un récit où l’expressivité convoque un mélange d’humanité profonde et d’exaltation des forces telluriques, sans quitter pourtant le caractère diaphane, presque immatériel, de la musique. Magie en somme. Et cela se poursuivra, de nuance retenue en folle cavalcade, avec dans le dernier titre des unissons véhéments, des dialogues transversaux et la parole donnée à la basse et à la batterie. Public aux anges. Le chroniqueur est conquis, mais il est 22h21, le dernier RER pour sa banlieue part dans 37 minutes, et il faut avant cela traverser Paris d’Ouest en Est, et en métro. Je manquerai donc le rappel….
Ouf, le RER part dans 2 minutes. J’évite la galère mais j’écume encore de rage en pensant à toute ces années où, jusqu’en 2020, et même en semaine, le dernier RER ‘E’ quittait la Gare Saint-Lazare vers une heure du matin. La Banlieue Est est décidément sinistrée par défaut de politique publique des transports. On dirait que les hiérarques se soucient peu de l’enclavement culturel auquel sont soumises les banlieues populaires. Le concert était magnifique, mais je vais encore garder le poing levé, en ruminant la frustration du jazzophile noctambule !
Xavier Prévost