Jazz live
Publié le 22 Avr 2019

JAZZ SUR LE VIF : ROBERTO NEGRO solo et SCLAVIS quartet

Pour le huitième concert de la saison ‘Jazz sur le Vif’ , Arnaud Merlin a choisi de mettre en perspective deux apôtres de la singularité, issus de deux générations distinctes, et distantes : quand Roberto Negro est né, le jeune Louis Sclavis avait déjà quelques années de carrière, et commençait de s’imposer comme une figure incontournable. L’un comme l’autre possèdent, chevillée au corps, l’exigence de conjuguer le présent et l’avenir.

Roberto Negro pendant la balance

 

ROBERTO NEGRO solo

Roberto Negro (piano, piano préparé & électronique)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 20 avril 2019, 20h30

 

Un souvenir, une fois de plus, pour commencer : un concert solo du pianiste, en septembre dernier au festival Jazz à la Villette, hors les murs au studio de l’Ermitage. Le pianiste donnait en solo un programme proche de son disque, à paraître le mois suivant, «Kings and Bastards». Le programme était plus ou moins le même qu’aujourd’hui, mais le concert était alors aussi un spectacle, avec le piano inséré dans une sorte de cage symbolique d’arcs et de lumière, un dôme cintré dont les structures réagissaient par la lumière à la musique, à la dynamique…. (Compte rendu sur le site de Jazz Magazine en cliquant ici).

Réentendre en concert ce programme, dans sa seule composante sonore et musicale, c’est une nouvelle expérience, aussi riche et non frustrante. Tout commence par un long silence. Le pianiste ajuste la hauteur de son tabouret, palpe ses mains, pose la droite sur le clavier, respire profondément et attend cette sorte de paix intérieure pétrie d’énergie qui rendra le concert possible. Et ça commence avec force et netteté. Le piano, un demi-queue Steinway modèle ‘B’ est sur le proscenium, devant l’autre piano, un modèle ‘D’ de concert, qui servira l’heure d’après pour le quartette de Louis Sclavis. Le son traité se mêle au son direct et naturel, quelques artifices concrets (objets dans les cordes) jouent avec les timbres. Une cloche à deux tons, posée sur le piano, sert de ponctuation. Le jazz et la musique électronique jouent à cache-cache, Stravinski et Bartók dansent avec Ligeti, on navigue d’écho en rebond, de surprise en réminiscence, c’est la fête du piano, grave et ludique tout à la fois. Tout va s’enchaîner, d’une traite, durant près de 45 minutes, jusqu’à une petite valse romantique et conclusive, proche de celle que j’avais entendue en septembre 2018 : public surpris, enthousiaste, qui rappelle le musicien, lequel prend congé avec humour et élégance, en prenant le micro et suggérant… «un petit verre de blanc avant d’écouter Louis Sclavis»

LOUIS SCLAVIS quartet «Characters on a wall»

Louis Sclavis (clarinette, clarinette basse), Benjamin Moussay (piano), Sarah Murcia (contrebasse), Christophe Lavergne (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 20 avril 2019, 21h45

Louis Sclavis quartet pendant la balance

Louis Sclavis propose le répertoire qu’il présente sur scène depuis quelques mois. Après ‘Napoli’s Walls’, déjà inspiré par les œuvres du plasticien Ernest Pignon-Ernest, le musicien évoque des personnages que son ami a fait vivre et revivre sur des peintures murales : Pasolini, Mahmoud Darwich, Jean Genet, Arthur Rimbaud…. Le concert commence, à la clarinette basse, par une très intense pérégrination modale inspirée par Genet à Brest, et très vite cela tourne à la danse orientale mâtinée de grondements rituels issus d’un autre monde. Le piano s’envole en trio, puis c’est un retour à la danse. Vient la clarinette : après une intro-mystère qui peuple mon esprit de crépuscules angoissants, surgissent des unissons virtuoses, avant retour à la danse, cette fois plutôt balkanique. Un solo de contrebasse respire comme un récit en épisodes tuilés, puis après un dialogue avec piano et batterie, la clarinette revient, un peu dans un esprit klezmer, depuis des sons graves boisés jusqu’à un vent de folie soufflé par les aigus. Puis le piano dialogue avec la batterie sur des modes ibériques à teintes arabo-andalouses, avant tutti et retour aux unissons de vertige. Le concert se poursuit en délicate mélopée avec La Dame de Martigues : Louis Sclavis fléchit les genoux au fil de l’expressivité de ses phrases, on escalade les tonalités en douceur nostalgique, le piano chante et les tambours (les toms) posent des couleurs sur chaque respiration. Et le concert se poursuit, cette fois avec une composition du pianiste : unissons sinueux, homorythmie, échappée en trio, ça chauffe et ça raconte, puis la clarinette basse reprend en douceur avant de monter au paroxysme tandis que le trio joue facétieusement de l’accelerandodecelerando : un régal ! Vient le voyage de Rimbaud de Charleville à Paris, puis jusqu’à l’horizon d’Aden, et le chemin de vie de Paolini. Et le concert se poursuit, de mélodies distendues et mystérieuses en épisodes aussi sombres que lyriques. Un instant, mon phantasme d’auditeur croit entendre le souvenir de My Funny Valentine, plus tard ça respire en majesté mélancolique comme Lonely Woman, puis ça danse à nouveau, avant de chanter collectivement (mais instrumentalement) avec ferveur. Public conquis et comblé, rappel chaleureux qui nous vaudra une mélodie lente à pulsation tenace, comme une aria de Purcell : belle conclusion pour une très belle soirée.

Xavier Prévost

 

Un aperçu de ce répertoire présenté par Louis Sclavis sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=ViGx8e9Fjcc

On attend toujours, avec patience, espoir et ferveur, les dates de diffusion de ces concerts (l’été prochain ?) sur France Musique. À signaler : le concert de Fred Hersch, enregistré le 9 mars 2019, sera diffusé dans l’émission le ‘Jazz Club’ d’Yvan Amar le samedi 4 mai à19h

https://www.francemusique.fr/emissions/jazz-club

http://www.jazzmagazine.com/jazzlive/jazz-sur-le-vif-mark-turner-quartet-et-fred-hersch-solo/