Daniel Zimmermann et Eric Séva au Patio de La Roche
La Rochefoucauld. Petite ville à une vingtaine de kilomètres d’Angoulême en direction de Limoges, célèbre pour son château renaissance qui fut la demeure des Ducs du même nom. Parmi eux, François VI se fit connaître par ses Maximes, délicieuse gourmandise de la littérature du XVII ème siècle. Jean Héraud de Gourville, issu de la petite bourgeoisie locale, fut son ami, son confident puis son intendant avant une ascension sociale fulgurante. Habile négociateur, Louis XIV en fit l’un de ses conseillers financiers et l’un de ses meilleurs diplomates et il devint l’intime du Prince de Condé, de Madame de Sévigné et de Boileau.
C’est dans sa maison natale que Valérie Mauge, bien connue dans le milieu du jazz pour ses activités d’attachée de presse, et son compagnon Dominique, ont créé un lieu unique. Café-culture, boutique livres et disques, salon avec un joli Pleyel demi queue, de très belles chambres d’hôtes, c’est un endroit superbe qu’il faut découvrir. Mais la “pièce” qui nous intéresse aujourd’hui est la cour, aménagée en patio (trois côtés avec arcades) comme on en fit souvent à l’époque pour célébrer le mariage du roi avec l’infante d’Espagne. De fin juin à début septembre, c’est le lieu idéal pour accueillir de petits concerts devant une centaine de personnes et Valérie y concocte une programmation aux petits oignons. Henri Texier, Louis Winsberg, Titi Robin et d’autres y ont déjà enchanté un public qui commence à être fidèle au lieu et en ce samedi 16 juillet c’est un duo entre Daniel Zimmermann et Eric Séva qui était proposé.
J’étais très curieux d’entendre cette formule sans rythmique et sans instrument harmonique, me demandant si le talent personnel de chacun des musiciens serait suffisant pour éviter une démonstration technique qui pourrait, pour tout un concert, paraître fastidieuse à un public qui était loin de n’être constitué que d’initiés. Mais il n’en fut rien et on eut droit à deux sets d’une heure aussi passionnants l’un que l’autre. Plutôt que de montrer sa dextérité sur tous les saxophones, Eric Séva eut le bon goût de ne jouer que du baryton ce qui donna d’emblée, allié au trombone majestueux de Daniel Zimmermann, un son aussi original que charmeur. Si on se rappelle la rencontre savoureuse de Gerry Mulligan avec Bob Brookmeyer sur les mêmes instruments (toutefois le trombone de Brookmeyer était à pistons), on sait aussi que leur quartette comprenait une rythmique et je ne connais pas de duo semblable dans l’histoire du jazz. Très vite on fut sous le charme d’arrangements élégamment conçus et on imaginait le travail que ce duo nécessitait bien que la fluidité de la musique ne le montra à aucun moment. Unissons, contrechants, contrepoints, rôle rythmique en alternance pour chacun, les deux musiciens eurent recours à toute une panoplie pour varier les plaisirs. Leur programme fut savamment composé, alternant des compositions personnelles (Mademoiselle de Zimmermann ou A pied dans Paris de Séva) avec des classiques de Piazzola (Libertango), de Grappelli (Les Valseuses) ou d’Hermeto Pascoal, avant de terminer le deuxième set par un extraordinaire Caravan qui aurait fait applaudir Ellington dans sa tombe puis de revenir pour un bis triomphal avec Indifférence, la merveilleuse valse de Tony Murena.
On l’aura compris, tenir en haleine le public avec un duo d’instruments mélodiques ne fut pas le moindre des mérites de ces deux musiciens aussi doués qu’inspirés. Et, par cette soirée en pleine canicule, ce splendide concert fit dresser les poils sur les bras dénudés et fit chavirer plus d’un cœur. Un coup d’essai qui se transforma vite en coup de maître. Pour ceux qui ne purent être là, les musiciens nous ont promis un disque pour l’automne et, en attendant, séance de rattrapage le 6 août au festival Kind of Belou à Treignac (Corrèze). Et pour les habitués du Patio de La Roche, ne manquez pas un autre duo hors normes le 30 juillet, celui d’Emilie Calmé (flûte) et de Laurent Maur (harmonica).
Philippe Vincent (photo © Philippe Marzat)