En 1994, Bryan Ferry revenait avec son neuvième opus, “Mamouna”, ciselé pendant six ans. Il ressort en coffret Deluxe agrémenté de l’album inédit “Horoscope” et de quelques raretés.
Par Julien Ferté
En 1982, “Avalon” de Roxy Music fut un succès énorme qui, tensions internes (dés)obligent, provoqua la rupture du groupe dont Bryan Ferry était peu à peu devenu la figure centrale. Parallèlement, le chanteur à la voix suave avait toujours vogué en solo – “These Foolish Things”, son premier opus perso, était sorti un an seulement après le premier Roxy Music – mais cette fois un boulevard était ouvert, qu’il emprunta dès 1985 avec le somptueux “Boys And Girls”, auréolé par l’inoubliable Slave To Love.
Suivirent “Bête Noire” en 1987, riche d’un casting de musiciens aussi impressionnant que celui de “Boys And Girls” (David Gilmour, Johnny Marr, Marcus Miller, Courtney Pine, Vinnie Colaiuta, Abraham Laboriel, Andy Newmark…), puis “Taxi” en 1992, quasi exclusivement composé de reprises.
CLASSE FOLLE
Deux ans plus tard, toujours dans la même esthétique léchée et sophistiquée, “Mamouna” était à nouveau composé de chansons originales, dix au total, portées par cette pulsation singulière, sensuelle et funky, magnifiés par le timbre et le phrasé uniques de Bryan Ferry. Pas de classiques instantanés comme Slave To Love, Don’t Stop The Dance ou Kiss And Tell, mais un album d’une classe folle, tout en retenue, caressant, crépusculaire, qui se love lentement mais sûrement autour des tympans. Là encore, les musiciens font la différence, Nile Rodgers et Maceo Parker (dans l’irrésistible N.Y.C.), Steve Ferrone et Pino Palladino, Robin Trower et Guy Pratt, sans oublier deux “ex” de Roxy Music, Phil Manzanera et Brian Eno (qui cosigne Wildcat Days avec Ferry).
BOÎTIER CHIC
Pour la réédition du presque 30ème anniversaire, Bryan Ferry a mis les petits plats dans les grands : boîtier chic, livret sur papier glacé, l’album original plus l’inédit “Horoscope”, passionnante version de “travail” de “Mamouna”, avec quelques chansons en commun et d’autres inédites, comme Raga et la reprise du classique de Roxy Music, Mother Of Pearl. Spécial bonus, un troisième CD avec pas mal d’instrumentaux.
Coffret Bryan Ferry : “Mamouna 3 CD Deluxe Reissue” (BMG / Warner).
Photos : © Gavin Evans (BMG).
Le coffret Deluxe Who’s Next / Life House retrace en 155 titres, un livre relié et un roman graphique le projet fou mais visionnaire de Pete Townshend.
Par Jacques Trémolin
“Tommy”, l’opéra-rock des Who paru en 1969, est sans conteste l’album le plus populaire du quatuor londonien. Dès sa sortie, l’histoire d’un dieu du flipper sourd, muet et aveugle (le fameux Pinball Wizard) imaginée par Pete Townshend attire les scénaristes hollywoodiens. Lors d’un dîner copieusement arrosé en compagnie de Kit Lambert, le manager du groupe, et de son assistant Chris Stamp, un script suggéré par des pontes d’Universal est soumis à Townshend. Dubitatif, le maître d’œuvre des Who donne néanmoins son feu vert à une entreprise qui n’aboutira que six ans plus tard sous la caméra fantasque de Ken Russell. Pour Townshend, “Tommy” est déjà un chapitre clos relayé par un nouveau projet : un ambitieux nouveau concept-album intitulé “Life House”.
EDEN MUSICAL
Le scénario futuriste de “Life House”mêle préoccupations socio-politiques, technologiques et écologiques au travers du Grid, une combinaison individuelle immersive fournissant des divertissements à volonté contrôlés par un gouvernement autocratique, au moment où la pollution menace de bloquer le soleil, entrainant le refroidissement inéluctable de la planète. Avec plusieurs décennies d’avance, Pete Townshend anticipait l’arrivée de catastrophes climatiques et l’explosion du streaming. Interrogé par Muziq en 2006, Townshend précisait : « J’avais prévu l’arrivée d’Internet, que j’appelais « le Grid », dès 1971 dans mon projet Life House, ainsi que le téléchargement de musique que j’avais évoqué lors d’une conférence au Royal College of Art de Londres en 1985. Ce n’est pas aussi intelligent que ça en a l’air quand on sait qu’en 1961, mes professeurs de l’école d’art d’Ealing nous expliquaient déjà comment les ordinateurs allaient modifier le langage et les outils de création artistiques. » Viennent également se greffer à une intrigue complexe une « note de musique censée représenter le sens de la vie », les préceptes karmiques du gourou Meher Baba et des rebelles déjouant le Grid en se réfugiant dans un Eden musical – l’utopique “Life House”.
Comme c’était le cas avec “Tommy”, le script fumeux proposé par Pete Townshend va rapidement se heurter à l’incompréhension des membres du groupe et de son entourage. Malgré leurs interrogations, les premières répétitions du projet “Life House”ont lieu au Young Vic Theater de Londres, en janvier 1971, avec pour point d’ancrage les maquettes élaborées par Townshend dans son home-studio de Twickenham. Pete Townshend voit les choses en grand, et songe déjà à produire un documentaire montrant les Who sur scène, entouré d’un public invité à se mêler au groupe pendant les répétitions. Townshend a l’intention de filmer l’interaction entre le public et les musiciens, à la manière d’un huis-clos hippie illustrant l’esprit de partage et d’ouverture de la“Life House”. Il déchantera vite, contrarié par la tentative hasardeuse de mêler des bandes pré-enregistrées au son live du groupe et le manque d’intérêt d’une partie de l’auditoire : « dès le premier soir, les invités quittaient le théâtre pour rentrer dîner chez eux », se souviendra John Entwistle. Depuis New York, où il est en train de co-produire le premier album de LaBelle, Kit Lambert suggère alors au groupe de se rendre aux studios Record Plant afin d’enregistrer les titres de Life House.
NEW YORK-LONDRES
Les sessions New-yorkaises débutent dans l’allégresse. Les Who inaugurent le luxueux Studio A du Record Plant, récemment équipé d’un révolutionnaire système quadriphonique. Ils y gravent en mars 1971 les premières versions de Won’t Get Fooled Again, Love Ain’t For Keeping, Getting In Tune et Behind Blue Eyes en compagnie du guitariste Leslie West, venu passer une tête entre deux séances de Mountain dans le studio adjacent. Re-charpentées en compagnie de Roger Daltrey, Keith Moon et John Entwistle, les chansons acquièrent une nouvelle dimension, alors que le chaos règne en coulisses : Kit Lambert, pilier indéfectible du groupe depuis ses débuts, s’enfonce dans l’héroïne, tandis que Townshend calme ses angoisses par de vertigineuses doses de Brandy. Ivre, le guitariste se précipite un soir vers la fenêtre de sa chambre d’hôtel, située 18 étages au-dessus du bitume de Manhattan. Il sera retenu au dernier moment par Anja Butler, l’assistante de Kit Lambert. « Elle m’a sauvé la vie, il n’y a pas de doute là-dessus. J’étais un parfait imbécile à ce moment-là », écrira Townshend en 1995 dans son journal de bord.
Au bout d’une semaine, le groupe plie bagages et rentre à Londres. Townsend fait écouter les maquettes enregistrées à New York et celles de son home-studio à Glyn Johns. Impressionné par la qualité des chansons, le producteur/ingénieur du son ayant collaboré avec les Beatles, Led Zeppelin et les Rolling Stones invite Townshend a ré-enregistrer les titres de Life House, tout en faisant abstraction de son fil thématique. Place à Who’s Next. Sorti le 14 juillet 1971 et co-produit par Glyn Johns, le successeur de Tommy est un disque novateur à plus d’un titre, en particulier grâce à son utilisation pionnière du synthétiseur EMS VCS3. « Won’t Get Fooled Again » en est le meilleur exemple : pour l’enregistrement d’un des monuments de la discographie des Who, le guitariste a passé des heures à explorer les possibilités du synthétiseur, jusqu’à s’en imprégner pour finalement créer des fugues hypnotiques. « Je n’écris pas la musique, je la suis », commente Townshend. Inspiré par Maher Baba, « Baba O’Riley » démarre sur un autre motif hypnotique joué à l’orgue, auquel vient s’ajouter en fin de parcours un acrobatique solo de violon signé Dave Arbus. Le pianiste Nicky Hopkins, vieil ami du groupe et joker incontournable de la période dorée des Rolling Stones, applique ses glissandos virtuoses sur Getting In Tune et Song Is Over.
WHO’S NEXT / LIFE HOUSE, LE COFFRET 2023
Le coffret “Who’s Next / Life House” retrace en dix disques (plus un blu-ray audio, un roman graphique, de la mémorabilia et un livre relié riche en commentaires et informations) l’évolution d’un projet à l’autre ainsi que la création des singles suivants, parmi lesquels The Seeker, Water et Join Together. Des Eel Pie Studios de Twickenham, le laboratoire de Pete Townshend, jusqu’aux cabines d’Olympic en passant par le Record Plant de New York (avec les parties de Leslie West absentes de la version finale de l’album), ses 155 titres circonscrits entre 1970 et 1972 illustrent un récit au long cours. On retrouvera des traces de “Life House” dans “Who Came First”, le premier album solo de Pete Townshend paru en 1972, puis dans la compilation des Who “Odds & Sods” (1974). En 2000, le coffret “Life House Chronicles” compile sur six disques les maquettes de Townshend, à la veille de multiples expériences multimédia (sites Internet, applications, performances…).
Aux côtés de l’intégralité du concert du Young Vic du 26 avril 1971 (les extraits de “Tommy” étaient absents de la réédition Deluxe parue en 2003) et d’un concert inédit enregistré au Civic Center de San Francisco le 12 décembre de la même année, les deux disques passionnants consacrés aux maquettes de Pete Townshend constituent le cœur d’une somme qui, pour un fois, justifie sa taille XXL. On y découvre les prototypes plus qu’aboutis du projet Life House, parmi lesquels un développement instrumental de « Baba O’Riley » de plus de 13 minutes et une version alternative de « Pure and Easy » absents des compilations Scoop et de la discographie parallèle de Townshend. Dans le livret du coffret, l’intéressé commente en évoquant ses démos : « Je pourrais ressayer de faire un disque comme j’avais l’habitude de le faire. J’aurais besoin d’un petit studio avec tout le matériel à portée de main. Je possède encore presque tout mon équipement d’origine. Tout ce qui me manque, c’est une idée folle comme celle de “Life House” pour me guider. »
Nous avons lu l’autobiographie de Sly Stone. Compte-rendu d’un livre essentiel.
Par Fred Goaty
Ainsi, Sly Stone, l’un des derniers génies (sur)vivants sur cette terre, vient de publier son autobiographie. Elle porte le même titre que l’une de ses plus célèbres chansons, celle qui entre Papa’s Got A Brand New Bag de James Brown et Kiss de Prince forme un triangle parfait, aux pointes éternellement vives : Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin).
Pour l’instant, elle n’est disponible qu’en anglais. Sera-t-elle traduite en français dans un avenir proche ? On en doute, hélas. (On compte cependant sur les Éditions Allia, qui en 2000 avaient publié Sly Stone : le mythe de Staggerlee de Greil Marcus.)
Alors n’attendez pas, plongez-vous à cœur perdu – il n’en battra que plus fort – dans ces 300 pages qui reflètent parfaitement l’homme et la musique de Sylvester Stewart, alias Sly, Sly Stone : elles sont tour à tour poétiques, brumeuses, édifiantes, touchantes, psychotropes, sardoniques, mystérieuses, et pour tout dire fascinantes. Et magnifiquement écrites, avec l’aide, qu’on imagine aussi précieuse que décisive, de Ben Greeman.
« Life is a record. But where do you drop the needle ? »
Si vous espérez moult détails sur l’enregistrement des chefs-d’œuvre qui font l’inaltérable richesse de la discographie de Sly et de sa Family Stone, optez plutôt pour Sly And The Family Stone, A Oral History de Joel Selvin (Avon Music, 1998). Mais, malgré tout, ne passez pas, surtout pas à côté de ce livre, souvent très proche, dans le ton, de l’autobiographie de Miles Davis (que Sly, vu son amour du jazz, évoque plus d’une fois). Sly ? Humble mais determiné, habité vingt-quatre heures sur vingt-quatre par la musique, sûr de son influence : « Norman Whitfield had moved on from Classic Motown to what people were calling “psychedelic soul”. It sounded familiar : cloud mine. »
Sa vision du monde était définitivement en Noirs & Blancs, c’était non négociable, n’en déplut aux Black Panthers : « Music didn’t have a color. All I could see was notes, styles, and ideas » (ça, c’était Sly le DJ de la radio KSOL qui parlait : le leader de la Family Stone porta le même message, celui d’un créateur hors norme, d’un musicien philosophe, tranquillement rebelle. Merci pour tout, Sly.
Le 1er octobre 1991, Prince sortait son treizième album, “Diamonds And Pearls”, majoritairement enregistré avec son nouveau groupe, The New Power Generation. Le voici réédité pour la première fois, en version “Super Deluxe” notamment. Visite guidée.
Par Fred Goaty
Breaking news ! Le génial cri primal en ouverture de Gett Off n’était pas poussé par Prince mais par Rosie Gaines !
« Woooaaat ?! »
Moi qui depuis tout ce temps croyais que c’était le natif de Minneapolis, eh bien non !
C’est de la bouche de la native de Pittsburg qu’il était sorti, tandis, d’après l’ingénieur du son Steve Noonan, « qu’elle improvisait à la fin de la chanson, et je crois que c’a été pitché, un peu plus bas ou plus haut, je ne sais plus, j’ai oublié. Je ne crois pas que ç’aurait dérangé Prince que je vous dise ça. Je pense qu’il aurait été disposé de rendre à César ce qui appartient à César ». [Hmm, rien n’est moins sûr, mais passons.]
Si notre visite guidée de la réédition “Super Deluxe” de “Diamonds And Pearls” de Prince & The N.P.G. commence par cette petite révélation (j’imagine que quelques harcdore fanatics le savaient déjà…), c’est pour souligner la richesse éditoriale du livret de plus de 100 pages qui accompagne le coffret “Super Deluxe”. En huit chapitres, on replonge dans cette énième nouvelle période créative de Prince marquée, comme chacun sait, par l’avènement officiel de The N.P.G., le groupe flambant new de Prince, majoritairement constitué de musiciens de Minneapolis : le batteur Michael Bland, le claviériste Tommy Barbarella, les danseurs Tony Mosley, Damon Dickson, Kirk Johnson et son ami d’enfance le bassiste Sonny Thompson. Le guitariste Levi Seacer, Jr., seul rescapé du groupe précédent, et la claviériste et chanteuse Rosie Gaines étant quant à eux originaires de la Bay Area.
THE GOOD BOOK
Attardons-nous d’abord sur “He taught everyone you can never make too much music”, la préface de Chuck D, le leader de Public Enemy, qui souligne avec des mots simples et forts l’entrée réussie de Prince dans le monde du hip-hop – quelle meilleure caution que la sienne ? –, pourtant critiquée, voire sévèrement bashée en son temps. On vous laisse découvrir ses arguments.
Page 10, dans le passionnant chapitre “If it ain’t from Minneapolis, it ain’t shit”, Andrea Swensson revient façon histoire orale sur la manière dont chaque musicien fit son entrée au sein du N.P.G. [Note personnelle : on n’est pas peu fier que Michael Bland nous ait confié dès 2021 en exclusivité pour Jazz Magazine quelques anecdotes sur la façon dont Prince travaillait, sans parler de la belle histoire de son embauche, confiée en off à votre humble serviteur il y a plus de vingt ans à Minneapolis, mais pardon, je m’égare.]
Dans le chapitre suivant, “Prince worked his ass off to make this happen. And it’s happening. What could be better ?”, Jason Draper, qui avait pourtant méchamment dézingué “Diamonds And Pearls” dans son livre Prince Life & Times paru en 2008 (le Prince Estate n’est pas rancunier !), a ravalé sa bile et revient en mode enquête sur tout ce qui du côté artistique, marketing et promotion avait précédé et accompagné la sortie du disque. Les anecdotes liées à la sortie en catimini du désormais rarissime maxi 45-tours de Gett Off pressé à 1500 exemplaires (bientôt réédité ! ne manquez pas le prochain Record Store Day !) et du making of de la fameuse pochette hologramme (la première rencontre avec le directeur artistique Jeff Gold est un grand moment) sont savoureuses, sans oublier ce concert dans le patio des bureaux de Warner Bros. à Burbank, digne, dit-on, de la perf’ mythique des Beatles sur le toit d’Apple Corps à Savile Row.
Le chapitre que les fans vont dévorer est évidemment la “sessionography” rédigée par le grand expert Duane Tudahl, “I’ve got grooves and grooves up on the shelf”, qui détaille une à une les treize chansons de l’album original et, bien sûr, tous les inédits. Il commence par une citation de Prince : « All my last records… have been connected to films. This is just my music. » Là encore, les anecdotes et les détails qui laissent rêveur ne manquent pas. Nous vous laissons le soin de les découvrir, non sans modestement donner notre avis, plus bas, sur cette profusion de diamants et de perles. Le bref chapitre “Did U ever stop 2 wonder”, signé KaNisa Williams, animatrice des sites muse2thepharaoh.com et darlinnisi.net (« My mission is to be a purple signal boost as it relates to self-reflection through the legacy of Prince Rogers Nelson ») n’échappe pas à quelques clichés (« All works of Prince can be read on multiple levels ») et captivera sans doute un peu moins ceux qui ne maîtrisent pas parfaitement la langue de Shakespeare.
Dans “Make the rules, then break them all cuz u are the best” (les paroles de Prince sont décidément bien pratiques pour titrer), Duane Tudahl revient raconter la génèse du concert exceptionnel – inclus dans le blu-ray du coffret – donné par Prince le 11 janvier 1992 dans son club, le Glam Slam de Minneapolis. Deux pages plus loin, dans “Dearly beloved, we are gathering here today to get through this thing called soundcheck”, il en fait de même pour le show Special Olympics donné au Metrodome le 20 juillet 1991, sans oublier le soundcheck, donc, la veille (les deux figurent aussi dans le blu-ray, qui contient aussi l’intégralité du DVD “Diamonds And Pearls Video Collection avec, notamment, les clips de Cream, Diamonds And Pearls, Gett Off, Willing And Able…).
Enfin, avec “Everything U’ll look 4, U’ll find”, l’universitaire De Angela L. Duff signe un dernier chapitre qui n’apporte rien en regard des précédents, revenant sans qu’on sache vraiment pourquoi sur ses chansons préférées de “Diamonds And Pearls” et, surtout, sans rien dire de bien original ni de bien passionnant.
PARTY LIKE IT’S 1991
Et la musique dans tout ça ? Elle est comme de coutume au cœur du coffret “Super Deluxe”, est c’est pour elle que depuis la mort de Prince on attend fébrilement ces objets-disques. Nous vous autorisons à nous quitter dès maintenant si vous souhaitez ne rien savoir et attendre tranquillement la date fatidique du 27 octobre. (Cela nous ferait cependant beaucoup de peine si vous décidiez de vraiment le faire.)
Sinon, commençons notre petite visite en rééditant l’entrée “Diamonds And Pearls” que nous avions rédigée pour Prince, le dictionnaire, ouvrage d’avant le 21 avril 2016 coécrit avec Christophe Geudin. Voilà ce que nous disions :
« Bien qu’il figure parmi les plus grands succès commerciaux de Prince, “Diamonds And Pearls” fait souvent office d’album mal-aimé dans sa pléthorique discographie. Considéré comme « trop accessible », voire « très commercial » par celles et ceux qui firent de Prince leur héros dès le milieu des années 1980, cet album est pourtant plus riche et profond qu’il n’y paraît. Si les Prince lovers de la première heure éprouvent quelque réticence à s’identifier à “Diamonds And Pearls”, c’est certainement parce que Prince y scelle d’un côté sa rupture – temporaire – avec l’univers sonore singulier et bigarré qui fit le sel de ses magnum opus des années 1980, et de l’autre son union, plus ou moins contre-nature, avec le hip-hop, qui commence à truster le sommet des hit-parades. Avec ce disque plus formaté, au son globalement plus poli, Prince change en quelque sorte de maquillage. D’aucuns ne le reconnaissent plus. Ses nouvelles chansons – enfin, pas toutes… – sonnent à la fois plus nature et plus mature, et cherchent peut-être à séduire un auditoire qui n’aurait pas forcément appris par cœur ses disques précédents. Ainsi la chanson titre, ballade rococo aux charmants atours mélodiques ; mais aussi Cream, habile démarquage du Bang a Gong (Get it on) de T-Rex propulsé par une simplissime et maousse partie de batterie de Michael Bland ; ou encore Money Don’t Matter 2 Night, bel hybride pop soul mélodique qui se fait l’écho de la première guerre du Golfe, sont à même de toucher le plus grand nombre.
Prince n’est évidemment plus aussi novateur que dans les années 1982-1987, et l’on pourrait même dire qu’il s’embourgeoise un peu avec sa nouvelle collection de diamants. Ce serait oublier quelques perles noires qui bruissent de toutes ses racines afro-américaines. Gett Off d’abord, plan d’invasion sexuelle mené à coups de beats impudiques et précédé d’un cri suraigu désormais entré dans l’histoire. Le chant lubrique de Prince, le contrechant puissant de Rosie Gaines et le rap macho de Tony Mosley tournent comme un sacré manège à trois. En prime : la flûte volage d’Eric Leeds, des crissements synthétiques et dissonants comme on entendait alors dans les disques de Public Enemy, et le premier sample* ostentatoire de Prince, Mother Popcorn de James Brown. Daddy Pop ensuite, magnifique exercice de style à la Sly & The Family Stone. Et n’oublions pasWilling And Able et Walk Don’t Walk : la première bénéficie de la participation des Steeles, groupe vocal, familial et gospel de Minneapolis dont l’une des sœurs, Jevetta, est connue pour avoir interprété Calling You, la chanson du film Bagdad Café. [La version de Willing And Able qui figure sur “Diamonds And Pearls” est très réussie, mais celle du DVD du même nom, plus acoustique, l’est encore davantage, et Prince y chante et danse comme un demi-Dieu.] La seconde, non moins gospellisante et positive, évoque encore l’héritage de Sly & The Family Stone. Son refain « Sha-na-na-na-naaaa » sur fond d’embouteillage et de klaxons est assez irrésistible. Enfin, Live 4 Love, rock groovy et sombre, cinématique, incarné par un Prince habité : dans son chant et ses cris, l’inquiétude le dispute à la colère, et c’est impressionnant. Tout autant que le bref chorus rappé de Tony Mosley, auquel Prince laisse d’ailleurs beaucoup – trop ? – d’espace tout au long du disque.
En revanche, on se serait bien passé du jazzy nunuche Strollin’, remake maladroit du Oh Lori des Alessi Brothers. Quant à Thunder, Push et Insatiable, elles n’auraient dû faire office que d’excellentes faces B, et Jughead rester un inédit qui aurait bien fini par être piraté. Mais les CD singles avaient depuis déjà longtemps pris la place des 45 tours, et comportaient plus souvent des remixes que des inédits… Pour autant, malgré ses quelques longueurs et autres semi-ratages, “Diamonds And Pearls” est un disque essentiel qui mérite qu’on s’y attarde, car il célèbre la tranquille créativité d’un leader qui, pour la première fois, joue sur disque la carte collective, laissant son N.P.G. s’exprimer to the max. Peut-être avait-il déjà songé au slogan qu’il allait utiliser lors de sa tournée Musicology, en 2004 : “Real music for real music lovers*.” » [*Le slogan était en réalité “Real music by real musicians”… Lapsus !]
Comme, j’espère, Jason Draper quand il rouvre son livre de 2008, je ne suis plus tout à fait d’accord avec mon alter ego(aty) de 2010 quand je me relis. Rien à redire ni à retrancher sur ce que j’aime, mais je regrette le terme « nunuche » pour Strollin’ (que j’avais comparé à Oh Lori des Alessi Brothers pour le simple plaisir de mentionner ce duo haï par la Police du Rock) ; quant à Insatiable et Push, elles sonnent bien mieux à mes oreilles, aujourd’hui, que d’« excellentes face B ». Passons. Car j’imagine que si vous êtes toujours en train de lire cet article, vous n’avez pas besoin qu’on revienne sur les treize chansons originales de “Diamonds And Pearls”, ni même sur les remixes et les faces b d’époque (Horny Pony, Call The Law…), mais bien sur les trente-trois vault tracksinédites distillées en trois temps (Part 1, 2 et 3) que nous avons pris la liberté de réorganiser à notre guise pour vous livrer quelques impressions, après moult écoutes répétées.
DITES 33
Commençons d’abord par les vault tracks qu’on dira intimement liées à l’album original puisque ce sont des mix, des prises alternatives ou des versions longues destinées à des maxi 45-tours ou des CD singles jamais parus. J’ai nommé :
Diamonds And Pearls (Long Version)
Insatiable (Early Mix)
Live 4 Love (Early Version)
Cream (Take 2)
Daddy Pop (12 Mix)
Horny Pony (Version 2)
Thunder Ballet
Si je ne suis plus d’accord avec mon moi de 2010 (cf. plus haut) à propos d’Insatiable, c’est à cause, ou plutôt grâce à ce Early Mix enfin révélé officiellement (soyons honnêtes : une bonne partie des trente-trois inédits circulent “sous le manteau” depuis des lustres…) et qui surpasse allégrement la VO. Diamonds And Pearls (Long Version), Daddy Pop (12 Mix), Horny Pony (Version 2) et Thunder Ballet (qui n’est pas un nouveau modèle d’aspirateur Dyson mais la BO d’une cassette VHS de 1994) ne passeront sans doute pas en boucle chez la majeure partie des prinçolâtres. En revanche, la Take 2heavy pop de Cream vaut son pesant de fat groove, et Live 4 Love (Early Version) devrait probablement vous captiver (pour une raison précise, voir plus bas).
Dans ce coffret “Super Deluxe” dont nous continuons la visite guidée – vous êtes encore là ? – se cache aussi le sequel d’un des premiers projets post-mortem supervisés par le Prince Estate, “Originals”. Car en regroupant les treize chansons suivantes…
Pain
My Tender Heart
Trouble
Skip To My You My Darling
Open Book
Hold Me
Martika’s Kitchen
Spirit
Don’t Say You Love Me
Get Blue
Tip O’ My Tongue
The Voice
Standing At The Altar
…on pourrait assembler un “Originals 2” d’excellent facture, car Pain a été créée par Chaka Khan, My Tender Heart et Trouble par Rosie Gaines, Skip To My You My Darling, Open Book et Hold Me par Jevetta Steele, Martika’s Kitchen, Spirit et Don’t Say You Love Me par Martika, Get Blue par Louie Louie, Tip O’ My Tongue par El De Barge, The Voice par Mavis Staples et Standing At The Altar par Margie Cox – oui, Prince écrivait et composait beaucoup pour les autres, mais prenait soin, la plupart du temps, d’enregistrer sa propre version. Trois chansons de notre “Originals 2” imaginaire figurent dans mon Top 10 de ce coffret qui vous sera révélé à la fin de cet article. Patience.
Continuons en piochant façon random dans notre coffret à diamants et à perles. Si vous viviez à Minneapolis au début des années 1990, vous aviez peut-être entendu Glam Slam ’91 à la radio ou dans la boîte de nuit princière du même nom. Glam Slam ’91 préfigure certains passages de Gett Off dans sa version Houstyle. Dans le même esprit, le sympathique The Last Dance (Bang Pow Zoom And The Whole Nine) est une sorte de prequel de Jughead (et de Horny Pony aussi) ; c’est soir de fête, ou plus précisément de bloc party à MPLS, hip-hop à tous les étages, avec la touche ludico-princière de rigueur. Idem pour Something Funky (This House Comes) [Band Version] et pour l’amusant, quoique moyennement subtil Work That Fat, sorte d’exercice de style basé sur l’insurpassable The Humpty Dance de Digital Underground – ne manquez pas dans le chapitre “If it ain’t from Minneapolis, it ain’t shit” l’anecdote narrée par Tony M. à ce propos. La version de Work That Fat est exactement la même version qui circule depuis plus de vingt ans sur des CD bootlegs et ne constituera donc pas une grande surprise pour les fans qui fréquentaient le Marché aux Puces de Saint-Ouen dans les années 1990 et avaient leurs habitudes au stand de Daniel.
Comment ça, « Ah non, Schoolyard et Letter 4 Miles on les connaît par cœur aussi ! » Tss, tss, pas tout à fait. La version de Schoolyard est plus longue que celle qui circule depuis des années. Quant à l’instrumental Letter 4 Miles enregistré par Prince en duo avec Michael Bland le 30 septembre 199, deux jours après la mort de Miles Davis, il sonne bien différemment (voir plus bas).
Sachez enfin que Streetwalker a été écrit et composé par Rosie Gaines, qu’Alice Through The Looking Glass (dont il existe une version chantée par Sheila E.) vous est sans doute presque familière puisqu’elle tourne sur les plateformes de streaming depuis plusieurs semaines, que Lauriann a été enregistrée à Tokyo en septembre 1990, qu’Hey U était destinée à Margie Cox (qui a enregistré sa propre version, inédite à ce jour) ; qu’I Pledge Allegiance To Your Love est un blues qui n’aurait pas été de trop dans “The Vault… Old Friends For Sale”, et que Darkside et Blood On The Sheets sont indissociables – vous allez bientôt comprendre pourquoi.
VRAIMENT TOP
Et voici donc pour terminer cette visite guidée nos douze morceaux favoris de la réédition “Super Deluxe” de “Diamonds And Pearls”. [ATTENTION SPOILER]
Schoolyard
Pourquoi Schoolyard ? Parce qu’on peut regretter que cette chanson aux paroles amusantes, coquines et, fait rare, très personnelles (la « Cari » de « seulement 14 ans » qui en est l’héroïne est mentionnée dans l’autobiographie inachevée de Prince, The Beautiful Ones) n’ait pas figuré dans “Diamonds And Pearls”, comme c’était prévu au départ. Enregistrée en juillet 1990, elle dégage quelque de joyeux, de jubilatoire même, bien calée sur son groove pétillant, illuminée par ses chœurs tout en allégresse churchy, les contrechants de Rosie Gaines et cet orgue, aaah, cet orgue. Bref, Schoolyard est une grande outtake de Prince.
Pain
La VO princière n’a que peu à voir avec celle – magnifique – enregistrée par Chaka Khan pour “Dare You To Love Me”, l’album jamais paru auquel Meshell Ndegeocello avait activement participé. Pain façon Chaka Khan fut cependant publiée dans le CD de la série TV “Living Single” en 1997 (avec Meshell à la basse, Joshua Redman au saxophone, Gene Lake à la batterie…). Celle de Prince est une sacrée révélation, un bijou à l’orient rare, avec un riff de piano à la Roy Ayers que vous n’êtes pas prêt d’oublier, un groove souple et puissant prodigué par Michael Bland, la voix prégnante de Rosie Gaines en effet miroir de celle de Prince. Diamant ou perle ? Les deux !
Live 4 Love (Early Version)
Pourquoi cette Early Version de Live 4 Love ? Parce que d’emblée, on se dit qu’on la connaissait déjà, cette version un rien plus gloomy de la dernière chanson de “Diamonds And Pearls”. Mais non. Le mix est différent, et Tony M. n’est pas là ; Prince chante avec plus de retenue, de fragilité, et c’est lui-même qui rappe le texte écrit par le rappeur (« C’est le jour et la nuit », précise ce dernier dans le livret). Chaque nouvelle écoute de cette version de Live 4 Love la rend toujours plus touchante.[Bon, on est entre nous, pas un mot à l’Estate, mais je me demande quand même si je n’aime pas encore plus la version non-autorisée du bootleg de 1999, “H2O”…]
Cream (Take 2)
Pourquoi cette Take 2 de Cream ? Parce que ces coffrets “Super Deluxe” sont aussi faits pour ça : se retrouver au cœur de la création, assister au work in progress. Cette version de Cream enregistrée le même jour – le 3 décembre 1990 – que celle que le monde entier, ou presque, connaît par cœur, est plus brute de décoffrage, plus rough ; sans les contrechants de la VO, elle sonne comme Peach avant l’heure, et le son énormissime de la batterie de Michael B., qui dans l’intro donne l’impression d’écraser la cloche jouée par Kirk Johnson sur une boîte à rythme (une TR-808 si vous voulez tout savoir) – ne laisse pas d’impressionner. Tout autant que cette fausse fin… « 1, 2, 3, come on ! »
Open Book
Pourquoi Open Book ? Parce que même si l’on connaît depuis trente ans la version de Jevetta Steele (produite par Levi Seacer, Jr.) de ce mid tempo soul coécrit par Prince, Martika et Levi Seacer, Jr., Prince arrive à nous vamper avec la sienne, via ses chœurs façon voix démultipliées, ce beat simple et accrocheur, ces accords de synthés brumeux et cette partie de piano lumineuse. Pas de NPG ici, Prince en mode one man band. Et cette voix…
Something Funky (This House Comes) [Band Version]
Cette Band Version de Something Funky (This House Comes) aurait tout à fait pu figurer dans le légendaire CD du New Power Generation, “Gold Nigga” : Tony M., encensé par Chuck D. dans sa préface, est en feu ! (Nous aussi on aime bien Tony M., on trouve qu’il a injustement été vilipendé par ceux qu’on n’appelait pas encore les haters ou les trolls au début des nineties.) Et puis plus de sept minutes de New Power Generation « in max attack », ça ne refuse pas. Et on attendait une bonne version studio de Something Funky (This House Comes) depuis qu’on l’avait découverte en intro d’un des concerts donnés par Prince à Rock In Rio II… [Quel dommage, cela dit, que le coffret ne contienne pas la délirante et puissante outtake de plus de huit minutes rappée par Tony M., avec des contrechants incendiaires de Rosie Gaines, The Flow…]
Darkside / Blood On The Sheets
Pour la première fois, un peu à la manière des coffrets consacrés à certains musiciens de jazz, les spéléologues en chef du Vault princier ont exhumé deux versions différentes du même morceau, mettant ainsi en lumière la manière dont Prince travaillait en studio. Darkside a été enregistré le 4 septembre 1990, Blood On The Sheets le 31 janvier 1991 le même jour que Something Funky (This House Comes) et Hold Me. Ces « jams sous contrôle » (dixit Levi Seacer, Jr.) ont donc donné naissance à deux instrumentaux. Le premier sonnant effectivement comme une jam où l’on entend Prince diriger ses musiciens en donnant des consignes (et nous revoilà au cœur de la création), dont la plus amusante est la première, adressée à Michael Bland (surprise). Darkside est très rock et préfigure What’s My Name. Blood On The Sheets (quel étrange titre…) sonne en revanche moins comme une jam que comme une chanson sans paroles. À en croire les liner notes de Duane Tudahl, Prince avait essayé de poser son chant, mais laissa finalement tomber l’affaire. Blood On The Sheets est donc une magnifique chanson sans paroles, inachevée, sertie d’un solo de guitare incendiaire.
Get Blue
On vous entend déjà les ami.e.s : « Quoi, Get Blue, que Prince avait filée à Louie Louie ?! Sérieux Fred, c’est vraiment bien ? »Oh que oui c’est vraiment bien. C’est même tout à fait magnifique. « Bi, elle, iou, aïe, blou » (on vous la fait phonétique). Prince chante comme un demi-Dieu (demi, car heureusement pour nous il reste à hauteur d’homme), comme si cette love song triste et bleue n’était destinée à nul autre que lui. D’ailleurs, pourquoi, mais pourquoi ne l’a-t-il pas gardée pour lui ?! Quant à ce solo de piano improvisé au beau milieu de la nuit (Prince a terminé Get Blue à pas d’heure…), c’est une leçon de savoir-faire mélodique.
Trouble
On n’ira pas jusqu’à dire que Trouble aurait dû figurer dans le track listing final de “Diamonds And Pears” – quoique –, mais ce funk spectaculaire, puissant et so nineties composé par Rosie Gaines aurait largement mérité le privilège d’être une bonus track de CD single, ou une face b de maxi 45-tours si vous préférez. Au chant, Prince donne tout, passe en revue ses gimmicks favoris, falsetto gospellisant, chantés-parlés, interjections funky, petits cris et tutti quanti – « Donnez-moi un autre micro, j’ai fini le mien », aurait-il dit à la fin de la première prise (on plisante). En tout cas : « Never give up, never give up once U got troubles, who oh oh oooh », ok ?
Standing At The Altar
Vous connaissez forcément la version chantée par Margie Cox dans la compilation “1-800 New Funk” parue en 1994 – mais si, vous vous souvenez, à l’époque où la question récurrente des moins-fans-que-vous posaient toujours la mêmes questions narquoises : « Il fait toujours des disques Prince ? Et c’est vrai qu’il s’appelle plus Prince, comme le France, ah ah ah ? ». Tel que je vous connais, vous avez même le CD single de Standing At The Altar avec l’Extended Version, pas vrai ? Si vous aimiez cette chanson, vous l’aimerez encore plus – no offense dear Misses Cox – interprétée par Prince. Standing At The Altar, d’après Steve Noonan, « n’allait pas vraiment à Prince, à sa marque ». Ah bon ?! Il nous semble bien présomptueux ce Steve (avait-il branché quelque sonde dans le cerveau du génie de Minneapolis à l’insu de son plein gré ?), car à l’entendre habiter cette chanson gravée le 23 juin 1991 comme s’il était chez lui, on se dit qu’il l’avait bien fait sienne avant, finalement, de l’abandonner.
Letter 4 Miles
Miles Davis, l’homme en mouvement perpétuel, nous a laissés figés le 28 septembre 1991, et d’aucun.e.s ne s’en sont toujours pas remis. Deux jours plus tard – la veille de la sortie de “Diamonds And Pearls”… –, pour honorer sa mémoire, Prince grava à Paisley Park un instrumental mélancolique et bleu qu’il baptisa spontanément Miles Is Not Dead, puis, après réflexion, Letter 4 Miles. Michael Bland était à la batterie, le boss aux claviers. Letter 4 Miles, c’est du jazz façon Prince ; on songe à certains morceaux enregistrés quelques années plus tôt avec Madhouse, en duo avec le saxophoniste Eric Leeds. On croyait connaître par cœur Letter 4 Miles depuis des lustres puisqu’il figurait déjà dans divers CD pirates des années 1990, tel le “Volume 4” de la légendaire série “The Work”, pour ne pas la nommer. Erreur ! La version du coffret est sertie d’arrangements de cuivres “henrymanciniesqques” signés… Michael Bland (avec l’aide de Mike Nelson des Horn Heads) et calqués sur ses relances et ses pêches. Émotion.
I Pledge Allegiance To Your Love
Quittons-nous – momentanément, car d’autres morceaux frappent déjà à la porte de notre Top 12 – avec ce blues classieux à la B.B. King enregistré le même jour que Sweet Baby, le 1er octobre 1991, le jour de la sortie de “Diamonds And Pearls”. Nul doute, donc, qu’il pensait déjà au successeur de l’album qui vient de se faire coffret, l’innommable “O+>” dont on ne savait pas encore que, paradoxalement, il portait le nouveau nom de Prince. Mais c’est une autre histoire…
ÉPILOGUE 1
1991, c’était l’année, entre autres, de “Nevermind” de Nirvana, “Laughing Stock” de Talk Talk, “The Best Band You Never Heard In Your Life” et “Make A Jazz Noise Here” de Frank Zappa, “Blue Lines” de Massive Attack, “Loveless” de My Bloody Valentine, “The Low End Theory” de A Tribe Called Quest, “De La Soul Is Dead” de De La Soul, “Black Science” de Steve Coleman And Five Elements et, last but not least, de “Dangerous” de Michael Jackson, sorti à peine deux mois après “Diamonds And Pearls”. Les places étaient chères dans le Discman, mais “Diamonds And Pearls” avait la sienne – de choix évidemment.
“Diamonds And Pearls” est un disque important, attachant, moderne, accessible et sophistiqué à la fois, mainstream, certes – cela dit, comparé à celui de 2023, le mainstream de 1991 paraît presque avant-gardiste ! –, mais bien plus osé qu’il n’y paraît. Ce magnifique coffret “Super Deluxe” permet de mesurer à quel point ce créateur insatiable ne se reposait décidément jamais sur ses lauriers.
ÉPILOGUE 2
Et là vous vous dites : « Mais pourquoi ne parle-t-il pas du concert filmé au Glam Slam en janvier 1992 figurant aussi dans le coffret “Super Deluxe” ?! » Le son étant déjà disponible depuis plusieurs jours sur les plateformes de streaming au moment où j’écris ces lignes, j’imagine que, comme moi, vous l’écoutez déjà en boucle. Vivement les images !
ÉPILOGUE 3
J’avais oublié, dans le clip de Cream, cette scène amusante où l’on voit un reporter s’approcher de Prince et lui poser cette question : « Prince, vous considérez-vous comme un Mozart des temps modernes ? » Et l’intéressé de répondre sans hésiter : « Oui. »
Photos : © Paisley Park Enterprises / Randee St. Nicholas.
Dans les bacs depuis quelques semaines, “Joni Mitchell Archives, Vol. 3 : The Asylum Years (1972-1975)” de la géniale auteure, compositrice, chanteuse et guitariste canadienne est un must.
On ne mesure peut-être pas assez la chance que l’on a qu’une artiste aussi géniale et éprise de liberté que Joni Mitchell puisse superviser elle-même la réédition de ses albums, et de puiser dans ses archives – en anglais, son vault – pour y assembler des coffrets qui sont des ajouts essentiels à sa discographie déjà si riches et variée.
Ainsi, “Joni Mitchell Archives, Vol. 3 : The Asylum Years (1972-1975)” contient comme d’habitude son lot de démos inédites, maquettes et versions alternatives, performances d’époque, ainsi qu’un livre de 40 pages contenant notamment un entretien avec celui qui est désormais son porte-voix, et le signataire de ses liner notes : le cinéaste Cameron Crowe.
On retrouve dans ce troisième volume des enregistrements avec James Taylor, Graham Nash, Neil Young et le fameux L.A. Express du saxophoniste Tom Scott, souvent près d’elle lors de cette grande période créative durant laquelle “For The Roses”, “ Court And Spark” et “The Hissing Of Summer Lawns” avaient fait leur apparition sur les facings des disquaires.
Au programme, outre les inédits extraits des séances de “For The Roses”, “Court And Spark” et “The Hissing Of Summer Lawns”, des enregistrements live, dont celui de son retour triomphal au Carnegie Hall en 1972, et un concert avec Tom Scott & The L.A. Express (Robben Ford, Larry Nash, Max Bennett et John Guerin).
PS : Si le rythme de parution des archives jonimitchelliennes est respecté, 2024 devrait marquer la sortie d’un coffret contenant “Hejira”, “Don Juan’s Reckless Daughter”, “Mingus” et “Shadows And Light” en versions remasterisées puis, l’année suivante, celle du coffret “Joni Mitchell Archives, Vol. 4 : The Asylum Years (1976-1980)”, avec, croisons les doigts, moult inédits featuring John McLaughlin, Jan Hammer, Tony Williams, Jaco Pastorius, Phil Woods, Wayne Shorter, Michael Brecker, Eddie Gomez, Herbie Hancock…
Photos : © Joel Bernstein (JMA / Rhino).
Bousculés par le Covid, puis mis entre parenthèse par les travaux effectués dans leur cocon du XXe arrondissement, le fameux Pavillon Carré de Baudouin, flambant neuf et plus beau que jamais, Les Samedis Musique du C2B sont de retour onze ans après leur création !
C’est donc avec une grande émotion que nous vous annonçons le programme à venir, avec trois conférences, chaque samedi à de 14h30 à 16h entre les mois de décembre et mars prochains.
Seule différence avec Les Samedis Musique du C2B d’“avant” : les conférences sont toujours gratuites, mais il faut impérativement réserver en appelant le 01 58 53 55 40, ou par e-mail à l’adresse suivante : carredebaudouin@paris.fr.
Et maintenant, place aux artistes, en espérant vous retrouver dès le 9 décembre au 121, rue de Ménilmontant :
Samedi 9 décembre
JONI MITCHELL & ALL THAT JAZZ
Joni Mitchell aime le jazz, le jazz aime Joni Mitchell : retour sur trente-cinq d’amours musicales hors du commun.
Samedi 13 janvier
JAZZ, RAP & POÉSIE, « FROM BEBOP TO HIP-HOP »
Langston Hughes, Nikki Giovanni, Jack Kerouac, The Last Poets, Gil Scott-Heron, Quincy Jones, A tribe Called Quest, J Dilla, Meshell Ndegeocello, Archie Shepp… : la liste est longue des artistes qui au fil des années ont rapproché la poésie, le jazz et rap, l’art du freestyle avec celui de l’improvisation.
Samedi 16 mars
BETTY DAVIS & MILES DAVIS
Betty Davis a non seulement contribué à changer radicalement la musique – et le look – de celui qui fut brièvement son mari, mais s’est ensuite lancée dans une carrière solo de chanteuse, autrice et compositrice entre funk incendiaire et rock brûlant.
PAVILLON CARRÉ DE BAUDOUIN
121, rue de Ménilmontant
75020 Paris
Métro Gambetta, Ménilmontant ou Pyrénées
Bus 96, arrêt Pyrénées-Ménilmontant
Conférences gratuites, sur réservation au 01 58 53 55 40 ou sur carredebaudouin@paris.fr.
Joie : “The Purple Album”, le meilleur album de Whitesnake depuis “Slip Of The Tongue” est réédité en “Special Gold Edition”, double CD + blu-ray ou double LP, au choix. « You know we had no time / We could not even try / You know we had no tiiiiime » : ça vous dit quelque chose n’est-ce pas ?
Si on nous avait dit en 1984, l’année de “Perfect Strangers” de Deep Purple et de “Slide It In” de Whitesnake, que trente-et-un plus tard le groupe de David Coverdale enregistrerait un album de reprises du groupe de Ritchie Blackmore & Co, on aurait levé les yeux au ciel et répondu quelque chose comme : « Improbable, impensable, impossible. » Il est vrai que l’idée est presque sacrilège : certes, tout le monde peut reprendre du Deep Purple, mais que Whitesnake le fasse a quelque chose d’un brin incestueux. Après tout, David Coverdale est un enfant de Deep Purple, et son combo l’est tout autant.
Et pourtant…
“The Purple Album”, né en 2015 d’une réunion tuée dans l’œuf entre David Coverdale et Ritchie Blackmore afin de rendre hommage à l’organiste de Deep Purple Jon Lord, était tout simplement le meilleur album de Whitesnake depuis “Slip Of The Tongue”. Pourquoi ? Parce que même si tous les disques qu’ils ont publiés ensuite sont dignes d’intérêt, aucun ne contient de classiques instantanés comparables à ceux de leur songbook des années 1978-1989. Quant aux chansons du Deep Purple Mark III, époque “Burn” et “Stormbringer”, et Mark IV (“Come Taste The Band”, sans Blackmore, remplacé par Tommy Bolin), elles sont encore plus profondément ancrées dans la mémoire des fans. Des deux groupes.
À ses débuts, pour étoffer sa set list, Whitesnake reprenait deux chansons de “Burn”, Mistreaded et Might Just Take Your Life. Par la suite, le groupe du natif de Saltburn-By-The-Sea avait su se bâtir un répertoire suffisamment fort pour remiser au rayon souvenir les classiques vintage de Deep Purple, aussi exceptionnels soient-ils.
Seulement voilà : le temps qui passe – en 2015, David Coverdale avait déjà 64 ans – donne parfois envie d’appuyer sur la touche rewind histoire de retrouver des émotions d’antan. Alors, quand la perspective de chanter à nouveau aux côtés de Ritchie Blackmore a fini par s’éloigner après quelques emails échangés entre managements, le flamboyant chanteur s’est approprié cette idée et a décidé de réenregistrer quinze chansons puisées dans les trois classic albums de Deep Purple cités plus haut.
Et ce qui ressemblait de prime abord à une idée incongrue s’est révélée être une excellente initiative. Car avec ses guitaristes Reb Beach et Joe Hoekstra, son bassiste Michael Delvin et son inamovible batteur Tommy Aldridge, Coverdale a réinjecté dans ces classiques old school l’“énergie du bel espoir” : celui de se dire que le hard-rock bluesy est le plus efficace des élixirs de jouvence, et que rechanter Burn, Lady Double Dealer, Love Child, Holy Man ou You Fool No One avec de nouveaux arrangements rétro-modernes valait sans doute le coup. Well done, lads : tout cela était magnifique en 2015, et l’est encore en 2023. Comme dirait Coverdale, ça valait le coup de les « snake ’em up » ces grandes chansons de Deep Purple.
Surtout que cette “Special Gold Edition” Revisited (l’ordre des chansons a été changé), Remixed et Remastered réserve de chouettes surprises, sous la forme de nombreux bonus : remixes (Stormbringer Punch In The Nuts Mix, tout un programme), versions live ou alternatives, telle le touchant remake de Soldier Of Fortune Featuring The Hook City String…
Autres pépites : la cassette retrouvée chez feue la maman de David C. avec les cinq morceaux que les lads de Purple avaient reçu en 1973 – après l’avoir écoutée, Ian Paice avait appelé son pote Ritchie pour lui dire qu’ils avaient peut-être trouvé le chanteur susceptible de remplacer Ian Gillan. D’autant plus qu’à cette cassette désormais légendaire avait été ajoutée une photo de David C. en… boy scout ! Avec la mention suivante : « Comme vous pouvez le voir, je suis toujours prêt. » Good Lord ! Quelques mois plus tard, Coverdale faisait cependant ses débuts fracassants dans l’album “Burn”, and the rest is history…
Quant au blu-ray, il déborde évidemment de vidéos et d’un documentaire Behind The Scenes. Spécial bonus : David Coverdale parle de chaque chanson et livre quelques savoureuses anecdotes.
Enfin, saluons l’élégance de David Coverdale, qui dédicace You Fool No One ainsi : « In loving memory of Jeff Beck. »
CD/BLU-RAY/LP Whitesnake : “The Purple Album” (Rhino / Warner).
Photos : X/DR (Rhino).
Pour la première fois, les quatre albums de Van Halen publiés entre 1986 et 1995 avec Sammy Hagar au micro sont remasterisés et réédités en coffret LP ou CD, avec un disque supplémentaire de huit titres.
Par Fred Goaty
Vous auriez vu nos têtes le jour où l’on apprit que David Lee Roth avait claqué la porte de Van Halen ! Cela dit, vu le succès phénoménal de son EP “Crazy From The Heat” en 1985, on la sentait venir cette séparation. La craignait-on ? Oui et non, car on savait le garçon capable de voguer solo, surtout s’il trouvait le guitar hero capable non pas de faire oublier Edward Van Halen – ça, c’était impossible – mais d’entrer en osmose avec lui. Ce fut le cas avec Steve Vai, qui avait déjà fait des miracles au sein d’Alcatrazz, aux côtés du chanteur Graham Bonnet.
Ainsi, le classique instantané “Eat ’Em And Smile” sortit en juillet 1986, sous nos applaudissements.
Mais c’était sans compter sans les ex-camarades du sémillant David qui, eux aussi, n’avaient pas tardé à s’inventer un avenir avec Sammy Hagar en publiant “5150” trois mois plus tôt, en mars de la même année. Pour la petite histoire, le producteur Ted Templeman, avait songé à embaucher Hagar peu de temps après avoir découvert Van Halen en 1977, guère convaincu par les capacités vocales de leur frontman. Mais le natif de Monterey attendra finalement huit ans – ce qui paraît bien peu aujourd’hui – avant de devenir officiellement le second chanteur de Van Halen, vite rebaptisé Van Hagar par ceux qui ne faisaient pas à l’idée de continuer à aimer leur groupe chéri avec un autre chanteur que Diamond Dave.
Michael Anthony (basse), Sammy Hagar (chant), Edward Halen (guitare) et Alex Van Halen (batterie), alias Van Halen, photographiés par Ieka Aoshima (Warner Music Group).
Tant que Steve Vai resta aux côtés de David Lee Roth, tout se passa très bien pour l’inénarrable showman au look bariolé ; mais dès que le guitariste plia bagage pour se consacrer à sa carrière solo – non sans accepter d’abord une petite pige sympa pour un disque et une tournée mondiale avec Whitesnake –, la machine se grippa, et D.L.R. ne retrouva jamais la formule magique, tandis que ses ex-compères alignaient les disques de platine : de “5150” à “Balance”, en 1995, en passant par “OU812” en 1988 et “For Unlawful Carnal Knowledge” en 1991, ce sont plus de seize millions d’albums qu’ils écoulèrent, sans compter des tournées toutes aussi sold out et lucratives les unes que les autres.
C’est donc cette période non moins faste que la première qui a les honneurs du coffret – cinq LP et/ou cinq CD pour la première fois remasterisés – “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” (Warner Records). Pour info, nous avons pu approcher, manipuler et écouter le coffret LP : l’objet est magnifique, les pressages de grande qualité, l’impression des pochettes itou. Ce qui n’enlève rien au coffret CD. Chacun son support, pas de jaloux ! [On vient de nous confirmer en revanche que “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” ne sortira pas en cassette, NDR.]
On le sait, les pro-Roth et les pro-Hagar se crêpent le chignon depuis trente-sept ans et mourront certainement avec leurs convictions. Alors essayons d’être un peu plus mesurés qu’eux. Le Van Halen featuring David Lee Roth est incontestablement le plus historique et culte. Les chansons, les instrumentaux, les reprises les plus populaires (Eruption, You Really Got Me, Dance The Night Away, Spanish Fly, Unchained, Pretty Woman, Jump, Hot For Teacher…) et les solos de guitare d’Edward Van Halen entrés dans la mémoire collective ont tous été gravés entre 1978 et 1984. Et il faut bien avouer que Van Halen sans David Lee Roth n’était plus tout à fait le vrai Van Halen, mais un autre Van Halen ; et c’est d’ailleurs ce qui pouvait arriver de mieux à Edward, son frère Alex et Michael Anthony : prendre une nouvelle direction avec un chanteur très différent du précédent.
Si le Van Halen featuring Sammy Hagar n’a jamais rallié tous les suffrages – du moins en Europe – et suscite beaucoup moins de nostalgie que sa première incarnation, c’est sans doute parce que Sammy Hagar était déjà très connu aux États-Unis, grâce au maousse premier album de Montrose paru en 1973 (et produit, tiens, tiens, par Ted Templeman), sa carrière solo, qui avait atteint des sommets en 1983 grâce à la chanson-manifeste I Can’t Drive 55, sans oublier l’éphémère super group HSAS avec Neal Schon à la guitare, Kenny Aronoff à la batterie et Michael Shrieve à la batterie. Ainsi, son arrivée dans Van Halen ressemblait pour beaucoup à un “coup” presque marketing ; nombre de fans se dirent : « Ça ne durera pas. » Résultat : neuf ans d’histoire commune et, donc, un tombereau de disques de platine à la clé.
Musicalement parlant, le Van Halen des années 1986-1995 perdit en fantaisie et en originalité ce qu’il gagna en redoutable efficacité. Sans rien renier de leur ADN hard-rock, Sammy, Edwar, Michael et Alex entrèrent dans une sorte de mainstream, et furent l’un des rares groupes des années 1970-1980 à ne pas souffrir de la déferlante grunge des années 1990.
Sammy Hagar n’est sans doute pas le chanteur le plus sensuel qui soit, et côté lyrics, on est loin de Bob Dylan, même si une certaine forme de poésie virile affleure parfois au détour de certaines paroles – si on plaisante ? Allez savoir… En revanche, sa puissance, sa technique, son énergie contagieuse et sa folie savamment canalisée allaient comme un gant aux hard-rock toujours plus heavy prodigué par ses collègues de travail. Quant au magicien de la six-cordes, si ses riffs n’avaient peut-être plus tout à fait l’implacable évidence de ceux distillés entre 1978 et 1984, il resta tout de même au top, et réécouter aujourd’hui avec le tout le recul nécessaire – doublé, hélas, d’un triste sentiment de manque – la manière dont son imagination était encore au pouvoir impose le respect.
Aux quatre classic albums cités plus haut a été ajouté “Studio Rarities 1989-2004”. Hmm, rarities, vraiment ? A Apolitical Blues de Lowell George (une reprise plutôt fidèle de Little Feat extraite de leur album de 1972, “Sailin” Shoes”, produit par, toujours lui, Ted Templeman) et l’instrumental Baluchitherium figuraient respectivement dans les versions CD de “OU812” et “Balance” (mais certes pas sur les versions LP…), Crossing Over dans le CD single de Can’t Stop Loving You, Humans Being et l’instrumental Respect The Wind dans le CD de la BO de Twister de Jan de Bont et, enfin, It’a About Time, Up For Breakfast et Learning To See dans la compilation “The Best Of Both Worlds” parue en 2004. Pas de vrais raretés et encore moins d’inédits donc, mais un simple regroupement de chansons et d’instrumentaux épars. Je sens que quelques hardcore fanatics vont ronchonner.
Espérons pour eux – et pour nous – que dans les prochaines années des versions “Super Deluxe” ou, qui sait, un mirifique coffret étancheront toutes les soifs d’unreleased tracks, outtakes et autres demos – sans oublier les non moins indispensables livrets truffés de liner notes, memorabillia et photos rares (on l’aura compris : il n’y a pas de livret non plus dans notre coffret du jour).
Reste que la (re)découverte de ces albums de Van Hag…, pardon, Van Halen, remasterisés avec un soin qu’on imagine maniaque par Bernie Grundman nous renvoie à une époque joyeusement décomplexée qui semblera certes lointaines aux moins de 40 ans, et nous rappelle si besoin était que Van Halen, depuis que l’âme du groupe s’est envolée le 6 octobre 2020 – trois ans déjà… –, est désormais dans l’incapacité absolue de se reformer, et ça, c’est bien triste. Pourvu, donc, que les ayants-droit du regretté guitariste – Wolgang, si tu nous lis… – entretiennent la mémoire et fassent intelligemment fructifier l’héritage en puisant dans les archives du home studio d’Edward, le fameux 5150, qu’on sait riches en trésors. En attendant, “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” entretient la flamme.
COFFRET “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” (LP ou CD, Warner Records, dans les bacs le 6 octobre).