Le label Robinsongs vient de rééditer les trois premiers albums solos du guitariste et chanteur, auteur, compositeur et producteur Jesse Johnson, connu pour sa participation à The Time, le légendaire groupe de Minneapolis. Attention, événement !
Par Doc Sillon
“Jesse Johnson Revue” (1985), “Shockaledica” (1986), “Every Shade Of Love” (1988) : nous les avions d’abord achetés en 33-tours ces trois concentrés brûlants d’invention funk emblématiques de ce Minneapolis Sound qui était la bande son officielle de nos soirées dansantes des glorieuses années 1980 (celles qu’on organisait entre amis ou dans nos têtes). Puis on se jeta sur les CD, qu’on agrémenta de la compilation de quatorze titres parue en 2000 dans la série Ultimate Collection, qui valait pour ses cinq raretés et/ou inédits (Free World, Vibe, la version 12” Mix de Baby Let’s Kiss…). En 1996, le très blues-rock “Bare My Naked Soul” combla une longue attente, qui allait durer encore plus longtemps puisqu’il fallut patienter treize ans (!) pour découvrir le double CD “Verbal Penetration”, dont le successeur se fait depuis désirer…
C’est dire que Jesse Johnson est un artiste rare – d’aucuns l’ont certes vu sur scène aux côtés de D’Angelo au mitan de années 2010 –, et que la reparution des trois opus cultes cités en ouverture de ce papier est un petit événement pour celles et ceux qui n’auraient pas encore eu l’occasion de se les procurer en disque “physique”.
Le double CD Robinsongs a la mérite de les regrouper avec cinq bonus tracks différentes de celles de la compile Ultimate Collection de 2000 : Heart Too Hot To Hold, extrait de la BO de The Breakfast Club, le film de John Hughes, Drive Yo Cadillac et des versions remix de She (I Can’t Resist), Crazay, son funkyssime duo avec Sly Stone, et Love Struck.
Près de quarante ans plus tard, le funk selon le jeune Jesse sonne toujours à la perfection, manière de monde parallèle à celui de The Time et de Prince, traduction personnelle et créative des percées soniques de ce dernier. Groove monstrueux, synthés en cascade, chant habité, mon tout arrosé de fantastiques soli de guitare hantés par l’esprit de Jimi Hendrix – celui de Love Struck est légendaire
CD Jesse Johnson : “Jesse Johnson Revue / Shockaledica / Every Shade Of Love” (Robinsongs / Cherry Red, déjà dans les bacs).
Le coffret “Anno Domini 1989-1995” qui vient de paraître remet à l’honneur quatre albums du groupe de Tony Iommi.
Par Julien Ferté
« I’ve never had trouble coming up with riffs. »
Tony Iommi
Il arrive presque toujours un temps où après avoir aimé un groupe passionnément, on finit parfois par s’en éloigner. Lassitude, rejet, intérêt grandissant pour d’autres genres : les raisons d’un désamour passager ou définitif sont nombreuses.
Prenons Black Sabbath par exemple.
En 1980, la sortie de “Heaven And Hell” fut pour beaucoup l’occasion de se rapprocher d’un groupe dont, ado, on avait appris par cœur les albums enregistrés entre 1970 et 1975 – malgré leur impressionnantes pochettes signées Hipgnosis, “Technical Ecstasy” (1976) et “Never Say Die” (1978) n’ont jamais été très populaires. L’arrivée d’un chanteur du “camp adverse”, celui de la Deep Purple Family et plus précisément de Rainbow, fut une nouvelle d’importance. Appartenir à tel ou tel groupe avait quelque chose d’un peu sacré pour les (jeunes) fans que nous étions encore, et qu’une figure aussi importante que celle de Ronnie James Dio passe, comme ça, de Rainbow à Black Sabbath nous avait un rien perturbés. Mais dès les premières mesures de Neon Knights, l’affaire était pliée : le Sab’ était de retour, et leur nouveau 33-tours était puissant. Et grand.
Nous ne sommes certes pas ici pour vous raconter la saga à mille rebondissements de Ronnie James Dio avec Black Sabbath, mais il nous semblait utile de rappeler que c’est à l’orée de ces années 1980 que les Cassandre prédisaient maudites pour Black Sabbath et tous les groupes de hard-rock qui régnaient sur la décennie précédente que commença le grand bal des allers-retours incessants de tous les titulaires de poste.
Ainsi, après le départ de Dio et avant la sortie, en 1989, de “Headless Cross”, premier album que l’on retrouve dans le coffret qui nous intéresse aujourd’hui (patience, on y vient), deux autres membres de la Deep Purple Family – Ian Gillan et Glenn Hughes – s’étaient succédés au micro puis, encore plus brièvement, Ray Gillen. Et, la faute à cette trop rapide succession de chanteurs, Tony Iommi et son vaisseau amiral se retrouvèrent à peu près là où ils étaient à la fin des années 1970 : loin des yeux, des oreilles et du cœur.
Mais l’arrivée de Tony Martin, pour remplacer au pied levé Ray Gillen dans “The Ertenal Idol” en 1987, puis s’installer durablement jusqu’en 1995 – hormis la parenthèse “Dehumanizer” en 1992, qui marqua le retour de Dio… –, changea à nouveau la donne. Le Sab’ ne revint au sommet des sommets en termes de popularité – la concurrence des nouveau groupes d’alors était sans doute trop forte –, mais retrouva une certaine cohésion musicale, une énergie créative que l’on pensait perdue à jamais.
Le coffret “Anno Domini 1989-1995” qui vient de sortir regroupe donc “Headless Cross”, “Tyr” (1990), “Cross Purposes” (1994) et “Forbidden” (1995), et Tony Martin en est en quelque sorte la révélation. Car il faut bien avouer une chose : on avait un peu oublié ces quatre albums du Sab’, mal distribués en leur temps, rapidement devenus introuvables, absents des plateformes de streaming…
Mais les revoilà, et avec eux leur cortège de riffs mémorables dont Tony Iommi n’avait certainement pas perdu le secret (Anno Mundi, Get A Grip, Headless Cross, Shaking Off The Chains, Evil Eye, Illusion Of Power…), leurs fresques épiques et métalliques, leurs grooves et leurs breaks de batterie incomparables – derrière les fûts dans trois albums sur quatre, le formidable et regretté Cozy Powell, également très impliqué dans la production et le songwriting, faisait trembler le sol –, leurs lignes de basse bourdonnantes (Laurence Cottle, entendu par aillerus sur des disques du label Nato, Neil Murray, ex de National Health et Whitesnake, entre autres).
“Headless Cross” et “Tyr”, classiques oubliés s’il en est, sont à (re)découvrir d’urgence, et sonnent mieux que jamais – on applaudit les personnes responsables du remastering. (Et oui, Feels Good To Me, dans “Tyr”, est un “plaisirs coupables”, au même que No Stranger To Love dans “Seventh Star”, le vrai-faux album du Sab’ avec Glenn Hughes.) “Cross Purposes” et “Forbidden” fautent un peu parfois, mais “Forbidden” en étonnera plus d’un.e grâce au remix de Tony Iommi – produit et mixé à l’origine par Ernie C, le producteur de Body Count (d’où la présence du rappeur Ice T dans Illusion Of Power… rappelez-vous, le nu metal et ses fortes influences hip hop était à la mode…), cet album presque maudit sonnait terriblement mal.
“Anno Domini 1989-1995”, que vous pourrez ranger à côté des précédents coffrets Super Deluxe du Sab’ puisqu’il est au même format (façon petite boîte à chaussure) contient un chouette livret, un poster de “Headless Cross” (pour votre chambre d’ado et la chambe de votre ado) et un fac similé du tour book de 1989 ; assez peu de bonus tracks, pas de live, mais l’idée était avant tout de remettre en valeur les quatre albums originaux qu’il contient (qu’il serait élégant de finir par publier un par un pour les moins fortunés). Mission accomplie !
Et maintenant, cher Tony Iommi, on attend avec impatience la version Super Deluxe de “Born Again”, car il est temps, aussi, de remixer cet album culte et zinzin, lesté du poids d’un de vos riffs les plus envoûtants, celui de Zero The Hero. À très vite.
COFFRET “Anno Domini 1989-1995” (BMG).
Photos : X/DR, Pete Cronin / IconicPix (BMG).
David Sanborn nous a quittés dimanche dernier. Dans cette interview réalisée à Londres en 2005 pour Jazz Magazine, il se racontait comme rarement. La voici rééditée pour la première fois.
Par Fred Goaty
Londres, quartier de Portobello, vendredi 1er juillet. David Sanborn nous reçoit avec l’élégance un rien fébrile qui le caractérise dans la maison du défunt compositeur Michael Kamen, qui avait composé en 1990 un concerto-écrin pour notre hôte – les deux hommes avaient aussi travaillé ensemble sur la bande originale du blockbuster hollywoodien, L’Arme fatale (marquée dans son opus 3 par le tube planétaire It’s Probably Me, avec Eric Clapton et Sting). Le décor de la pièce où l’on s’installe pour dialoguer est furieusement baroque : tableaux, tapis, statuettes, bustes, paravents, vaisselle et vases en vrac.
Magnéto branché. Touche record…
FRED GOATY Dans votre dernier album, “Closer”, mes deux morceaux préférés, Another Time Another Place et Sofia, ont été composés par vous. Étrangement, vous n’avez jamais publié de disque entièrement basé sur vos propres morceaux…
DAVID SANBORN Je ne suis pas un compositeur très prolifique. Je publie un nouvel album à peu près tous les dix-huit mois, et je n’ai jamais trouvé que les chansons que j’avais à ma disposition suffisaient à remplir un disque entier. Et puis je fais attention à ce que mes disques soient bien équilibrés. Je porte un soin particulier aux ambiances, à la forme du disque lui-même. Mes propres morceaux ont tendance à être du genre introspectif, ils sont souvent dans la même veine. Certaines personnes savent écrire des morceaux très variés, qui expriment toutes sortes d’émotions, pas moi.
Vous en êtes vraiment sûr ?
Hmm, non, mais c’est ma perception. Le tempo intérieur de mes disques limite mes prétentions de compositeur à deux ou trois morceaux. C’est comme ça. Pour “Closer”, par exemple, c’est tout ce que j’avais de fort. Le reste ne faisait pas l’affaire.
« J’ai une aspiration à la spiritualité. Le gospel était très présent à Saint-Louis, j’ai grandi avec. Sa puissance émotionnelle est absolument irrésistible. »
“Closer” est proche de votre album “Pearls” de 1994 : on y retrouve plusieurs standards et autres classiques soul/jazz embellis par votre “voix”…
C’est vrai, même si je pense que “Closer” est plus une continuation de mon précédent disque, “Time Again” : l’approche est la même et les musiciens aussi. Mais, tout bien réfléchi, oui, « Closer » renvoie à « Pearls » : ces vieux standards et ces chansons pas tout à fa considérées comme des standards mais qui signifient quelque chose pour moi, j’ai essayé de les mettre dans un autre contexte. Il y aussi deux reprises d’Horace Silver dans “Closer”. Horace Silver a toujours été un de mes compositeurs favoris. Ses morceaux sont si lyriques, si faciles à mémoriser et surtout si funky ! Et il en a écrit tellement… Franchement, je crois qu’on peut faire carrière rien qu’en interprétant des compositions d’Horace Silver ! Opus De Funk, Song For My Father, etc., etc. Et il écrit des paroles en plus ! Si je le connais ? Un tout petit peu, je l’ai rencontré deux ou trois fois. Bien sûr, je sais que les frères Brecker ont joué avec lui : vous savez, les groupes d’Horace Silver et d’Art Blakey sont les deux références en or de la musique hard-bop-funk. Nous avons tous été inspirés par ça. Mais moi je ne suis pas assez fort pour travailler dans ce genre de contexte. Cela dit, l’un des premiers concerts auxquels j’ai assisté – j’avais 15 ans et je vivais à Saint-Louis –, c’était un concert de Silver en club, à l’époque où “Doin’ The Thing At The Village Gate” [Blue Note, 1961] venait de sortir, avec le célèbre Filthy McNasty, un morceau génial [il scatte la mélodie]. Je jouais du sax depuis quatre ans environ, je n’étais qu’un petit débutant. J’ai été assommé : il y avait Junior Cook, Blue Mitchell, Gene Taylor et Roy Brooks. La musique était si géniale que je me suis dit : « Si je pouvais avoir le même job qu’eux, ce serait vraiment fantastique. » Faire ça pour gagner sa vie, c’était le truc ultime.
Quand avez-vous senti venir le succès ?
Quand je travaillais avec Gil Evans et David Bowie en même temps. Je me souviens avoir joué avec David Bowie au Madison Square Garden. À peine le concert terminé, je prenais un vol de nuit pour Florence, avec une escale à Rome. Arrivé à Florence, j’ai pris la route pour Pérouse pour retrouver Gil Evans. Je me souviens avoir pensé : « Ouaah, ce qui m’arrive est vraiment incroyable… » C’est à cette époque [1975] que John Court, un producteur qui avait travaillé avec le Paul Butterfield Blues Band, a fait parvenir quelques-unes de mes démos à Warner Bros. Records, qui signait alors beaucoup d’instrumentistes. Je crois qu’ils ont aimé le fait que j’aie un pied dans deux mondes différents. Court a produit mon premier album, “Takin’ Off”…
…celui avec l’avion sur la pochette, comme un symbole de vos allers-retours entre Bowie et Evans…
Oui, je n’y avais jamais pensé ! En 1976, j’ai enregistré mon deuxième album, produit par Phil Ramone. Parallèlement, je jouais avec le chanteur James Taylor, qui m’avait proposé que je puisse me produire avec mon groupe – Hiram Bullock à la guitare, Roalinda De Leon aux claviers, Herb Bushler à la basse, Victor Lewis à la batterie, Juma Santos aux percussions – en première partie de son show. J’ai alors commencé à me constituer un public de fidèles. J’avais mon groupe, je pouvais jouer ma musique… Dès la fin des années 1970, j’ai considérablement ralenti mes séances de studio, je partais beaucoup plus souvent en tournée, avec divers artistes. Précision : je n’avais jamais vraiment été un musicien de studio, je ne “doublais” pas – je ne joue pas de flûte ni de clarinette… Michael Brecker et Steve Gadd ont fait mille fois plus de séances que moi ! Quand les gens disent que je suis un “musicien de studio”, je sens quelque vague condescendance, une certaine méfiance…
Mais personne ne peut nier que vous avez un son unique…
Je suis très orienté “son”. Le son, c’est votre personnalité, votre identité. Et puis le saxophone, c’est une histoire de son, non ?
Votre jeu est si “vocal” que l’on pourrait presque dire : « Sanborn est un de mes chanteurs préférés… »
Je prends ça comme un compliment ! J’ai souvent été attaqué parce que je n’exprime pas l’intégralité du vocabulaire jazz. Je comprends ces critiques : je n’ai pas ce niveau de sophistication dans mon jeu, et une partie de la communauté jazz m’en veut pour ça – c’est une histoire de territoire… Je ne suis pas là pour convaincre mes détracteurs, ni les forcer à m’aimer. Nous ne sommes que le produit de nos limites : les miennes sont notamment physiques, ma main gauche n’est pas très bonne, et si j’articule certaines choses les chromatismes me donnent parfois du souci. Tout ce que joue est relié au blues, même si j’apprécie des musiciens au discours harmonique complexe, comme Lee Konitz, et Charlie Parker évidemment – comment ne pas être influencé par Parker qui était, soit dit en passant, un immense joueur de blues ? J’aime aussi Gene Ammons, Jimmy Forrest, Cannonball Adderley et Jackie McLean, sans oublier Phil Woods – quel son, quel phrasé !
Pendant longtemps, justement, j’ai cru que c’était vous qui jouiez le solo d’alto dans Just The Way You Are de Billy Joel, alors qu’en fait c’est Phil Woods…
C’est parce que j’ai toujours essayé de sonner comme lui ! Il est si hip… Je viens d’enregistrer avec lui une émission de télévision à Chicago. Il a 74 ans, il est malade, a survécu à un cancer, et il joue encore comme un fou ! Nous avons joué un titre ensemble et, franchement, j’aurais préféré jouer mon chorus avant lui… Jouer doit l’aider à vivre – c’est comme moi, le sax m’a sauvé la vie !
Qu’est-ce que vous préférez dans votre façon de jouer ?
Je ne pense jamais à ça, et je suis mon plus sévère critique. Parfois, par accident, je peux jouer un solo bien construit, avec un début et une fin, et plutôt sur scène, parce qu’il y a moins de pression.
Vous êtes l’un des saxophonistes les plus pastichés…
Oui, plus ou moins… Enfin pas tant que ça.
Vous réagissez comme Michael Brecker, qui réfute poliment cette évidence : depuis vingt ans, son influence est énorme sur nombre de saxophonistes…
Concernant Michael, c’est vrai !
Avez-vous déjà croisé la route du “prochain” David Sanborn ?
Non, et j’espère que je ne le rencontrerai jamais ! Ce ne serait pas placer la barre très haut que de vouloir me ressembler…
Allez, pas de fausse modestie…
Non, non, ça n’a rien à voir ! Franchement : qui voudrait être le prochain David Sanborn ?
Vous avez joué avec Stevie Wonder, B.B. King, Gil Evans… Tourné et enregistré avec tant de grands artistes…
Certes. Et ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a plus beaucoup de musiciens qui tiennent vraiment à jouer dans des contextes différents. Ils préfèrent se consacrer entièrement à leur musique, et je respecte ça. Certains n’attendent même pas de faire leurs classes. Il y a sans doute une préoccupation obsessionnelle, de nos jours, de la reconnaissance et même de la gloire, au détriment du reste. J’aime la musique, c’est à elle que je me consacre, plus qu’à moi. Ce que j’espérais plus que tout quand j’ai commencé à jouer ce n’était pas de gagner le plus d’argent possible mais simplement d’avoir un bon groupe. Tout est arrivé parce que j’ai travaillé. Je ne sais pas tricher. Bon, je ne vais pas vous mentir, j’ai aussi enregistré des trucs pour des raisons strictement économiques, mais pas tant que ça – en tout cas moins que ce que mes en tout cas moins que ce que mes détracteurs prétendent… Je n’ai aucun compte à rendre à qui que ce soit ! Je me souviens que les gens sont devenus fous quand Sonny Rollins a enregistré avec les Rolling Stones. Et pourquoi pas ? Certains ont dit qu’il s’était “vendu” ? À qui ?! À quoi ?! Foutaises ! Pourquoi mettre en doute ses motivations ? Je respecte le travail des critiques, mais il ne faut jamais oublier qu’être musicien c’est très difficile ! Maintenir un niveau de créativité, c’est énormément de travail ! Merde ! On passe tous par des périodes dures. Depuis toujours, je lis partout la même phrase : « Je préférais ce qu’il faisait avant. » Que ce soit Miles Davis, Pablo Picasso ou Sonny Rollins ! En revanche, dès qu’ils meurent, là tout est bon ! Quand vous atteignez un sommet artistique, comme Miles dans les sixties avec Herbie Hancock et Wayne Shorter par exemple, c’est une chose, mais ça ne veut pas dire que votre vie s’arrête là ! “Live/Evil” [1971] est un disque monstrueux !
Et puis la musique, même fixée sur disque, change avec le temps qui passe…
Robbie Robertson m’a raconté un jour que quand il jouait avec Bob Dylan, ils étaient hués, simplement parce que Dylan jouait électrique [avec The Hawks, qui deviendront The Band]. Mais après quelque temps, et bien qu’ils n’aient absolument rien changé à leur musique, les sifflets se sont tus, les gens ont fini par accepter… Quelque chose autour de la musique avait changé. Tout le monde peut se tromper, mais enfin, relisez les critiques d’époque des disques de John Coltrane ! Et celles de “Kind Of Blue”, quand certains prétendaient que Bill Evans n’avait rien à faire là ! La vie des musiciens peut être affectée par des propos pareils… Les journalistes ne prennent pas toujours leur boulot au sérieux. Ils savent très souvent ce qu’ils vont dire avant même d’écouter le disque qu’ils doivent critiquer ! Ils écrivent souvent plus sur eux que sur la musique. Mais ne parlons plus de ça.
« Être aux côtés de Stevie, c’était vraiment fantastique. Il m’a énormément inspiré. Il peut exprimer tant d’émotions à travers sa voix. »
Parfois, j’ai l’impression que vous jouez comme un prêcheur qui, paradoxalement, ne croirait pas vraiment en Dieu…
Hmm, je crois comprendre ce que vous voulez dire. C’est encore un compliment, non ?
Oui…
J’ai une aspiration à la spiritualité. Le gospel était très présent à Saint-Louis, j’ai grandi avec. Sa puissance émotionnelle est absolument irrésistible. Gospel, jazz, rhythm’n’blues : c’est de ce tronc commun que proviennent Ray Charles et ses saxophonistes, David Newman et Hank Crawford – Hank est mon influence principale. Ce mélange, pour moi, c’est LA musique.
Pause. Début de l’acte II, où l’on propose à notre interlocuteur d’écouter un peu de musique, et plus précisément une sélection de morceaux extraits de ses propres albums ou de ceux auxquels il a contribué depuis la fin des années 1960, afin de se remémorer les moments forts d’une carrière riche en émotions polystyles, de Paul Butterfield à Tim Berne en passant par Gil Evans, BB King, Stevie Wonder et David Bowie. Touche “play” …
PAUL BUTTERFIELD BLUES BAND
Last Hope’s Gone
In My Own Dream (Elektra) 1968
Butterfield ! Mes grosses moustaches sur la photo ? Jolies, non ? C’est avec Paul que je suis devenu un vrai musicien professionnel. [Il écoute Butterfield chanter.] Sacré Paul… Je me souviens bien du studio où nous avons enregistré, c’était à New York. [Son chorus débute.] Ah, ça, c’est bien moi au saxophone, oui…
B.B. KING
Five Long Years
Guess Who (MCA) 1972
B.B. King. Je ne fais pas de solo sur celle-là je crois. [Il a raison.] Je suis au baryton, non ? Faites-moi voir la pochette. Ah non… Cela dit, je n’ai jamais pris de solo au baryton sur un disque. Je me souviens en avoir joué sur “Born To Run” de Bruce Sprinsteen, en 1975, et sur des disques de Paul Butterfield. Mais qui joue du baryton ici ? Howard Johnson ?! C’est grâce à lui que j’ai eu le gig avec Gil Evans. Je lui dois beaucoup.
STEVIE WONDER
Tuesday Heartbreak
Talking Book (Motown) 1972
Tuesday Heartbreak, Stevie ! Comment l’ai-je rencontré ? Quand Paul Butterfield a souhaité changer son approche musicale, il a décidé de se passer de souffleurs. Comme je connaissais quelqu’un qui travaillait avec Stevie Wonder, je savais qu’il cherchait un saxophoniste. Je suis allé passer une audition à New York, à l’Electric Lady Studio. Stevie était en train de finir “Music Of My Mind” [Motown, 1971]. J’ai eu le gig, comme Buzzy Feiten, le guitariste du groupe de Paul. Être aux côtés de Stevie, c’était vraiment fantastique. Il m’a énormément inspiré. Sur scène, j’avais droit à deux trois solos, sur You And I par exemple, que je jouais en duo avec lui : voix, piano et sax. C’était merveilleux. Stevie peut exprimer tant d’émotions à travers sa voix. Chaque soir, il faisait porter son Clavinet, son Fender Rhodes et ses synthés dans sa chambre d’hôtel. Ainsi, 1l pouvait jouer toute la nuit. Chaque jour – je dis bien chaque jour – il venait à la balance avec un nouveau morceau à répéter ! Pas toujours exceptionnel, pas toujours terminé, mais toujours nouveau !
DAVID BOWIE
Right
Young Americans (EMI) 1975
[Il hésite.] Je ne reconnais pas… C’est Bowie ?! Je ne me souviens pas de ce morceau. [Il regarde la pochette.] Si j’ai apporté une touche soul ? Je ne sais pas… J’espère ! Mais c’est drôle que j’aie complètement oublié ce morceau, contrairement à Fascination, une super chanson. Tiens, Luther Vandross était dans les chœurs… [Ni Sanborn ni votre serviteur ne pouvaient alors le savoir : pendant que nous parlions Luther Vandross était en train de mourir aux Etats-Unis. Son décès allait être annoncé le lendemain…] Bowie était très généreux, il nous laissait beaucoup d’espace, de liberté, tout en contrôlant parfaitement son affaire.
GIL EVANS
King Porter Stomp
There Comes A Time (RCA) 1975
Oh! Je me déteste dans ce morceau ! C’est un des pires moments de ma discographie ! Je suis nul quand je joue dans cette tonalité ! Stop !
DAVID SANBORN
Short Visit
Heart To Heart (Warner Bros. Records) 1978
Ah, là, oui, je suis fier. Le groupe sonne très bien, mon son est parfait, et l’arrangement, merveilleux et qu’on entend très bien, a été écrit par Gil. Et Don Grolnick est au piano – Don est un si grand compositeur. Il m’a écrit Lotus Blossom, une très belle chanson.
DAVID SANBORN BAND
Stranger’s Arms
Promised Me The Moon (Warner Bros. Records) 1977
Oh, mon Dieu, arrêtez ça !!! [Rires] Ce morceau est une des raisons qui m’ont poussé à arrêter de boire ! Ceux qui pensent que c’est le guitariste Danny Kortchmar [l’auteur de la chanson] qui m’a poussé à chanter se trompent : c’était bien mon idée, et une énorme erreur aussi ! J’étais si ivre quand j’ai fait ça… Si défoncé… Et en plus j’étais content de moi, je me souviens qu’après la prise, j’ai beuglé un horrible « Yeaaah ! » : c’est ça le pire ! Cette période de ma vie, hmm, difficile de la décrire… Tout ce que je peux vous dire c’est que ce n’était pas très… sain. Je n’avais pas une attitude rationnelle. Voilà. Heureusement, ce disque est épuisé depuis longtemps. [On l’informe qu’il vient d’être réédité en CD.] Oh, noon, ne me dites pas ça, quel cauchemar… [Long soupir.]
IAN HUNTER
All American Alien Boy
All American Alien Boy (Columbia) 1976
Je ne vois pas… Mais c’est Jaco Pastorius à la basse : donc c’est Ian Hunter, qui fait son Bob Dylan… [Jaco prend un bref solo.] Mon Jaco favori, c’est celui qui joue avec Joni Mitchell dans “Hejira” [Asylum, 1976]. Je joue sur son premier disque, et c’est lors de cet enregistrement que j’ai fait sa connaissance. Il était très doux, c’était un jeune type inconnu, qui débarquait de Floride, qui avait une femme et des enfants. Quelques semaines plus tard, il jouait avec Weather Report et tout a changé : il est très vite devenu totalement incontrôlable. Jaco était un grand musicien, un grand compositeur et un vrai fou – mais si fragile… Croyez-moi : évitez toute tentation chimique, si vous voyez ce que je veux dire…
TIM BERNE
Rites
Diminutive Mysteries (Mostly Hemphill) (Winter & Winter) 1993
Tim Berne, dans le disque en hommage à Julius Hemphill, avec Joey Baron, Hank Roberts… Il y avait aussi ce formidable guitariste français, Marc… Heu… Marc Doucraite ! Quel talent ! J’aime beaucoup ce disque. Par moments, on ne sait pas si c’est Tim ou moi qui joue. [Il rit en s’écoutant improviser avec Berne] Dans les années 1960, à Saint-Louis, j’avais un groupe avec Oliver Lake, Julius Hemphill et Philip Wilson. On jouait dans des cafés pas plus grands que cette pièce ! J’adore jouer comme ça, si je ne pouvais faire que ça… Les critiques de ce disque aux Etats-Unis ? Je ne me souviens pas en avoir lu. Ce genre de jazz n’intéresse pas les critiques américains.
LARRY GOLDINGS
Boogie On Reggae Woman
Whatever It Takes (Warner Bros. Records) 1995
[Les deux saxophonistes qui jouent sur cette reprise d’un morceau de Stevie Wonder sont Maceo Parker et David Sanborn.] Hank Crawford ! Non ?! Kirk Whalum ? [Après avoir été informé] Ah oui, c’est vrai, c’est un disque de Larry Goldings. C’est amusant, je crois qu’on avait enregistré live en studio nos deux chorus… Maceo m’a influencé aussi, j’ai oublié de vous le citer tout à l’heure. Je me souviens que quand j’ai entendu Cold Sweat de James Brown, j’étais en voiture et j’ai failli sortir de la route ! Yes sir, j’ai enregistré avec James Brown, et j’ai même joué avec lui sur scène…
“Hejira” (1976), “Don Juan’s Reckless Daughter” (1977), “Mingus” (1979) et “Shadows And Light” (1980) : le superbe coffret CD ou LP “The Asylum Albums (1976-1980)” réunira le 21 juin ces œuvres essentielles de la géniale chanteuse, guitariste, autrice et compositrice canadienne.
Par Fred Goaty
On reçoit de plus en plus souvent, au Salon de Muziq comme à Jazz Magazine, des dossiers de presse assez baroques rédigés par des poètes du dimanche qui oublient l’essentiel : nous informer . Alors quand l’un d’entre eux se distingue de la masse et nous en apprend de belles sur événement phonographique à venir, autant le citer dans les grandes largeurs. C‘est le cas de celui consacré au nouveau coffret de Joni Mitchell, “The Asylum Albums (1976-1980)”. Alors ouvrons les guillemets, non sans avoir effectué quelques discrètes modifications “maison” :
« Après la fin de la tournée “The Hissing Of Summer Lawns”, Joni Mitchell s’était installée dans la maison en bord de mer de Neil Young pour se reposer. Poussée par l’envie de voyager, mais sans véritable idée de destination, elle s’était embarquée à l’improviste dans un road trip à travers l’Amérique en compagnie de quelques amis. Elle effectuera ainsi trois voyages entre 1975 et 1976, une période marquée par la notion de mouvement, tant dans ses pérégrinations géographiques qu’à l’intérieur de ses explorations musicales. Cette phase de mutation constitue l’élément central de “The Asylum Albums (1976-1980)”, la nouvelle parution des “Archives Series” de Joni Mitchell.
“The Asylum Albums (1976-1980)” concentre la facette la plus aventureuse de Joni Mitchell avec “Hejira” (1976), “Don Juan’s Reckless Daughter” (1977), “Mingus” (1979) et le double album live “Shadows And Light” (1980). L’ingénieur du son réputé Bernie Grundman a remasterisé les quatre albums inclus dans ce coffret à partir des flat masters analogiques originaux.
La pochette de “The Asylum Albums (1976-1980)” est illustrée par un détail d’une toile originale de Joni Mitchell. Les fans pourront découvrir l’intégralité de ce paysage abstrait dans l’insert inclus dans les coffrets CD et 33-tours.
Au cours de cette période, Joni Mitchell avait courageusement déclaré qu’elle passait du « département des hits » au « département artistique ». Les critiques ont mis du temps à s’y faire, alors que sa créativité avait atteint son zénith. Après avoir employé de remarquables musiciens de séance, elle avait commencé à enregistrer avec des jazzmen virtuoses comme Larry Carlton et Pat Metheny (guitare), Michael Brecker (saxophone), Herbie Hancock (claviers), Don Alias (percussions) et plusieurs membres de Weather Report, dont Jaco Pastorius (basse), Wayne Shorter (saxophone) et Manolo Badrena (percussions).
Un vibrant essai rédigé par l’actrice Meryl Streep, fan de longue date de l’œuvre de Joni Mitchell, accompagne ce coffret. Elle écrit : “Joni ne nous a pas seulement donné des artefacts – de la musique et des paroles. Son art nous a changé. Elle a déplacé des choses en nous, et c’est de cette manière que les artistes changent le monde.”
“Hejira” témoigne avec force de l’évolution artistique de Joni Mitchell. Ses instrumentations nuancées, couplées à ses textes introspectifs, ont donné lieu à des titres intemporels comme Coyote, avec Jaco Pastorius à la basse, et Furry Sings The Blues, avec Neil Young à l’harmonica. Joni Mitchell avait déclaré : “Je pense que beaucoup d’artistes auraient pu écrire un grand nombre de mes autres chansons, mais celles d’“Hejira” ne pouvaient venir que de moi.”
Son voyage s’est prolongé avec “Don Juan’s Reckless Daughter”, un double-album de musique principalement expérimentale. Il contient Paprika Plains, un morceau de piano accompagné d’arrangements orchestraux qui remplit une face entière de l’album. Ce titre a captivé des aventurers de la musique comme Charles Mingus et Björk, qui a déclaré que l’approche audacieuse de ce morceau avait inspiré sa production.
Le périple de Joni s’est achevé avec “Mingus”, sa collaboration avec le titan du jazz Charles Mingus, qui avait composé plusieurs chansons pour ce projet. Mingus est décédé peu de temps avant la fin de l’enregistrement de l’album, et Joni Mitchell l’a dédié à sa mémoire. Quatre titres de “Mingus” accompagnés de textes de Joni Mitchell figurent sur l’album, dont une version de Goodbye Pork Pie Hat, l’hommage de Mingus au saxophoniste Lester Young, et une de ses plus célèbres compositions. Dans le livret de l’album, Joni Mitchell avait expliqué qu’elle s’était totalement immergée dans le jazz pour la première fois à l’occasion de cet enregistrement. “J’avais l’impression de me trouver au bord d’une rivière, un doigt de pied dans l’eau, pour tester la température – puis Charlie est arrivé et m’a poussée – ‘Coule ou mets-toi à nager’…”
Le double album live “Shadows And Light” est le dernier disque de “The Asylum Albums (1976-1980)”. Elle l’a enregistré lors de la tournée “Mingus” en septembre 1979 au Santa Barbara Bowl. À l’exception de son célèbre Woodstock, “Shadows And Light” se concentrait sur ses chansons plus récentes :Amelia, Dreamland ou The Dry Cleaner From Des Moines. The Persuasions, groupe vocal populaire dans les années 1960, est présent sur Shadows And Light et une reprise de Why Do Fools Fall In Love.
La sortie de “The Asylum Albums (1976-1980)” anticipe celle de “Joni Mitchell Archives – Volume 4”, la prochaine parution de la série d’archives retraçant sa carrière à travers des enregistrements studio et live inédits. Plus de détails seront annoncés en fin d’année.
Joni Mitchell donnera deux concerts à guichets fermés au Hollywood Bowl les 19 et 20 octobre prochains. Ces deux shows seront les premiers de Joni Mitchell en tête d’affiche depuis plus de deux décennies. Elle sera par l’ensemble Joni Jam. »
Voilà, vous savez tout, ou presque sur le futur coffret de Joni Mitchell. Et si ses admirateurs de longue date connaissent forcément déjà par cœur les quatre chefs-d’œuvre de “The Asylum Albums (1976-1980)”, nul doute qu’ils apprécieront le travail de remastering de Bernie Grundman, même si les magnifiques rééditions CD japonaises de “Hejira”, “Don Juan’s Reckless Daughter” et “Mingus” en 2011 sonnaient déjà beaucoup mieux. Et ils attendent donc avec non moins d’impatience – et sans doute même encore plus… – le coffret “Joni Mitchell Archives – Volume 4”, qui devrait donc sortir début 2025 et contenir au moins cinq CD. Avec les fameuses sessions inédites de “Mingus” enregistrées avec Eddie Gomez, Phil Woods, John Guerin, Gerry Mulligan, Dannie Richmond, John McLaughlin, Tony Williams, Jan Hammer et Stanley Clarke ? Croisons les doigts, tout en rêvant de live inédits captés surant ces années exceptionnelles : d’autres concerts de 1979 peut-être ? L’apparition de Joni Mitchell au Bread & Roses Festival de 1978 en duo avec Herbie Hancock ? Encore une fois : fingers crossed !
COFFRET “The Asylum Albums (1976-1980)” (JMA Rhino / Warner Music, sortie le 21 juin en coffrets de cinq CD et ou de six 33-tours 180 grammes (édition limitée à 5000 exemplaires), ainsi qu’en version digitale. La nouvelle version remasterisée de Coyote (“Hejira”) est déjà disponible en digital.
Photos : © Norman Seeff, © Henry Diltz.
Photo ouverture : Joni Mitchell en train de patiner sur le Lake Mendota, Madison (Wisconsin), mars 1976.
“Pyromania 40th Anniversary Edition”, la version définitive du grand classique de Def Leppard sera dans les bacs le 26 avril. Julien Ferté s’y est plongé en avant-première pour les fidèles du Salon de Muziq.
Par Julien Ferté
Flashback. En 2009, la réédition Deluxe de “Pyromania” de Def Leppard était un double CD digipack : le disque original sans bonus tracks sur le CD 1, un concert inédit enregistré au L.A. Forum en septembre 1983 sur le CD 2, un livret avec quelques photos et des liner notes de David Fricke. Quinze ans plus tard, autre temps autres mœurs, “Pyromania”, l’un des meilleurs disques de hard-rock des années 1980, ressort cette fois en mode “40th Anniversary Edition”.
Dans ce magnifique coffret – pour info, format identique à celui de “Live And Dangerous” de Thin Lizzy –, vous retrouverez évidemment l’album original re-remasterisé. Vous découvrirez aussi vingt et une démos, outtakes et autres rough mixes, cinq morceaux live gravés à Dortmund en décembre 1983 – Rock Rock (Till You Drop), Billy’s Got A Gun, Foolin’, Rock Of Ages, Let It Go et Wasted, soit un peu plus de vingt-sept minutes de musique –, le live au L.A. Forum cité plus haut. Le blu-ray contient quant à lui les mixes Dolby Atmos, DST-HD Master Audio 5.1, 2023 PCM Stereo et, ô surprise, une inattendue version 2023 PCM Instrumental Stereo parfaite pour vous prendre pour Joe Elliott lors de vos soirées karaoké entre amis – attention, un chat risque de squatter votre gorge assez vite : en 1983, le gosier du natif de Sheffield rivalisait en terme de puissance avec celui de Brian Johnson d’AC/DC, l’une des influences majeures de Def Leppard avec Thin Lizzy, UFO, Mott The Hoople et Led Zeppelin (ne manquez pas les échos de Kashmir dans Billy’s Got A Gun). Spécial bonus : cinq clips d’époque pour remonter dans le temps, celui où on les voyait passer en boucle à la télévision.
Le livret ? Le livre vous voulez dire ! 56 pages de bonheur. Une longue et passionnante story de Paul Elliott richement illustrée (photos, pochettes, memorabilia…) les “unreleased tracks” commentées par le bassiste du groupe, Ric Savage, et les paroles des chansons, pour essayer, donc, de faire la pige à Joe.
Redécouvrir “Pyromania” avec tout le confort moderne plus de quarante ans après sa sortie est, il faut bien l’avouer, un plaisir rare. Un conseil : installez-vous sur votre canapé, branchez votre home cinéma et mettez le blu-ray dans la platine. Quel que soit le mix que vous allez choisir, vous n’avez de toute façon jamais entendu les dix chansons de “Pyromania” comme ça.
Ce qui frappe aujourd’hui encore, c’est la perfection de la production, son extrême méticulosité, l’attention portée au moindre détail (on songe aux prods’ de la même époque signées Trevor Horn). Petit rappel : Robert “Mutt” Lange était derrière la console, qui avait cosigné toutes les chansons avec les lads de Sheffield et même posé sa voix dans les chœurs. Et l’on sait que comme le Roi Midas, il pouvait à cette époque transformer tout ce qu’il touchait en or : les disques d’AC/DC (“Back In Black”, deuxième meilleur vente d’album de tous les temps) et de Foreigner par exemple (“4” en 1981 : carton planétaire aussi) et, donc, ceux de Def Leppard.
Car deux ans après “High’n”Dry”, “Pyromania” s’est écoulé à plus de dix millions d’exemplaires aux États-Unis et douze millions dans le reste du monde ! En 1983, quand Michael Jackson et Quincy Jones jetaient un œil sur les charts, ils devaient se demander qui étaient ces kids britons dont les ventes talonnaient celle de “Thriller”…
Les ventes, c’est bien, mais la musique, c’est encore mieux n’est-ce pas ? Et, donc, grâce au travail d’orfèvre de Robert “Mutt” Lange, “Pyromania” sonne toujours aussi bien. Le son d’ensemble est certes “daté” – ce qui ne veut pas dire qu’il a vieilli… – mais, on l’a dit plus haut, unique. Cet album bien plus radio friendly que les deux premiers Def Lep’ – et alors, c’est un défaut ? – brille par la force du chant et des chœurs (ceux de Photograph m’ont toujours évoqué More Than A Feeling de Boston), ces intros légendaires – celle de Rock Rock (Till You Drop), subtile, puissante et inventive –, tous ces petits détails sonores qui vous titillent le tympan (l’intro de Photograph, avec ce petit “ping” de guitare avant le riff, le fameux « Gunter gleiben glausen globen » de Rock Of Ages…), la contribution exceptionnelle de Thomas Dolby aux synthétiseurs, “caché”, secret de polichinelle, sous le pseudo de Booker T. Boffin – Dolby avait déjà contribué de manière décisive au “4” de Foreigner… –, les solos de guitare de Phil Collen, grand fan de Michael Schenker et d’Al Di Meola, qui avait remplacé au pied levé le pauvre Pete Willis, viré à cause de son comportement erratique au beau milieu des intenses séances d’enregistrement : Willis était plus métro goulot dodo que métro boulot dodo…
Bref, on n’a pas fini d’aimer “Pyromania”, et ce coffret qui l’édition risque d’être fort limitée s’impose.
COFFRET Def Leppard : “Pyromania 40th Anniversary Edition” (Universal Music Recordings, dans les bacs le 26 avril). Également disponible en double CD.
En 1986, Keith Emerson et Greg Lake s’étaient retrouvés pour former un nouveau trio avec… Carl Palmer ? Non, Cozy Powell ! Leur seul et unique album ressort en coffret : “Emerson, Lake & Powell The Complete Collection”.
Par Julien Ferté
Huit ans après le mal aimé “Love Beach”, dernier album d’Emerson, Lake & Palmer avant leur reformation de 1992, le claviériste et organiste virtuose Keith Emerson et du chanteur et bassiste Greg Lake de mettre entre parenthèse leurs aventures en solo : le premier composait principalement des musiques de film, dont celles d’Inferno de Dario Argento et de Nighthawks (Les Faucons de la nuit) de Bruce Malmuth, pas inintéressantes ; le second avait enchaîné deux excellents albums, “Greg Lake” en 1981 et “Manœuvres” en 1983 (avec Gary Moore, Ted McKenna, Jeff Porcaro, Steve Lukather…). Mais c’est surtout Carl Palmer qui, avec le super group Asia, avait de nouveau atteint les cimes artistiques et commerciales, notamment avec les deux premiers albums du groupe, “Asia” en 1982 et “Alpha” en 1983.
Ainsi, en 1986, Emerson et Lake décident de retravailler ensemble. Palmer est partant, mais les délais imposés par ses deux camarades l’empêchent in fine de les rejoindre. À l’époque, quand le nouveau line up du trio fut annoncé et que l’on apprit que Cozy Powell avait eu le gig à la place de Carl Palmer, les blagues s’étaient mises à fuser : « Et Ringo Parr, tu crois qu’il a passé une audition ? Non, mais Phil Pollins si… » Reste que l’on aurait tout à fait pu imaginer Simon Phillips, Neil Peart ou même Jeff Porcaro derrière les fûts, mais ces messieurs étaient très occupés, tandis que Cozy Powell, lui, venait de quitter Whitesnake – faut-il rappeler que dans les années précédentes il avait marqué de son empreinte le Jeff Beck Group, Rainbow, le Michael Schenker Group, et publié trois albums solos très réussis ?
À la grande surprise de ceux qui voyaient dans cet assemblage inattendu de trois poids lourds du prog et du heavy rock rien d’autre qu’une idée farfelue, “Emerson, Lake & Powell” se révéla être une grande réussite, paru à une époque où le prog rock n’était pourtant plus en odeur de sainteté – quoique : via des groupes comme Marillion, il revenait malgré tout en grâce.
Du pétéradant The Score en ouverture au délirant Mars, The Bringer Of War en conclusion en passant par les très mélodiques Learning To Fly et Love Blind, le puissant Touch And Go et le jazzy Step Aside, les trois musiciens sont aussi inspirés que complémentaires. Emerson déploie sa science des claviers, la voix de Lake porte loin et fort, et Powell n’a peut-être jamais aussi bien joué : ça frappe dur, très dur, mais avec cette inimitable élégance virile.
Comme on pouvait le craindre, l’association de ces trois fortes personnalités ne survivra pas à leur seule et unique tourée américaine, et Carl Palmer retrouvera donc sa place six ans plus tard…
En plus de l’album original superbement remasterisé et augmenté de trois bonus tracks – une reprise instrumentale dantesque de The Loco-Motion de Carole King (!), Vacant Possession et le single edit de The Score –, le coffret trois CD “Emerson, Lake & Powell : The Complete Collection” contient le CD “The Sprocket Sessions” (de passionnantes répétitions) et un CD “Live In Concert”, déjà parus il y a une quinzaine d’années mais difficiles à trouver. On soulignera aussi la qualité des liner notes de Jerry Ewing, collaborateur de Prog Magazine.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà que sort aussi le coffret “Fanfare For The Common Man” (superbe design) de Carl Palmer : trois CD truffés de titres starring le batteur virtuose (avec Emerson, Lake & Palmer, The Craig, Atomic Rooster, Mike Oldfield, Asia, 3, Carl Palmer Band…), un blu-ray avec un documentaire foutraque (non sous-titré…) et, surtout, l’autobiographie du batteur, 200 pages d’anecdotes livrées sans fard dans un style direct.
Enfin, les complétistes pourront aussi se procurer le coffret “Variations”, qui réunit en vingt CD la totale de aventures solos de Keith Emerson qui, hélas, s’est suicidé le 11 mars 2016 – le 7 décembre de la même année, Greg Lake succombait d’un cancer du pancréas, tandis que Cozy Powell avait le premier tiré sa révérence le 5 avril 1998 en se tuant au volant de sa Saab 9000. Fin d’une époque.
COFFRETS
Emerson, Lake & Powell : “The Complete Collection” (Manticore Records / Spirit Of Unicorn / Cherry Red).
Carl Palmer : “Fanfare For The Common Man” (BMG).
Keith Emerson : “Variations” (Spirit Of Unicorn).
Douze ans après le premier coffret consacré au chef-d’œuvre de 1972 de Deep Purple, voici qu’un second fait son apparition ! Le Salon de Muziq lui a ouvert ses portes.
Par Fred Goaty
C’est donc en 2012 que sortit la réédition que l’on pensait “définitive” de “Machine Head” de Deep Purple, un superbe coffret “40th Anniversary Deluxe Edition” de quatre CD (le “2012 Remaster” de l’album original, les “1997 Mixes” de Roger Glover, le “Quad SQ Stereo” et “In Concert ’72”, qui reprenait les faces 2 et 3 du double album “In Concert” paru en 1980 et augmentée de deux inédits, Maybe I’m A Leo et Smoke On The Water) plus un DVD “audio only” contenant l’album original en “96/24 LPCM Stereo”, le “Quad Mix” et trois chansons en 5.1 (When A Blind Man Cries, Maybe I’m A Leo et Lazy).
L’époque n’était pas encore aux rééditions vinyles, mais qu’importe puisqu’on avait toujours notre pressage de 1978, Purple Records / Pathé Marconi / EMI… Le livret de 68 pages signé par le rédac’ chef de Mojo Phil Alexander était tout à fait sérieux, avec son lot de photos rares et de témoignages d’affection inattendus, tel celui de Peter Hook de Joy Division et New Order. Bref, nous étions ravis, comblés même de pouvoir ainsi redécouvrir sous toutes les coutures un album que l’on connaissait certes par cœur depuis des lustres, mais qui, décidément, faisait toujours son petit effet sur nos tympans.
J’imagine que celui qui vient de parvenir à la rédaction du Salon de Muziq aurait dû normalement sortir en 2022 pour le 50ème anniversaire, mais chacun sait que le Covid et les troubles mondiaux ont quelque peu ralenti le rythme de parution des coffrets (plus ou moins) mirifiques qui ornent toujours plus régulièrement les facings des disquaires. Voilà pourquoi la nouvelle réréréédition de “Machine Head” s’intitule tout simplement “5-Disc Deluxe Anniversary Edition”, et qu’une fois (soigneusement) décollé le sticker “Deep Purple 50”, plus rien n’indique que ce classic album a désormais plus d’un demi-siècle.
Il faut cependant bien avouer que quand le sympathique coursier nous a remis la grosse enveloppe marron en carton contenant l’objet du désir, le plaisir de se replonger une fois de plus dans les méandres de cet album parfait de bout en bout fut aussi grand.
Mais avant de livrer notre verdict sur ce nouveau coffret, souvenons-nous des circonstances de l’enregistrement de “Machine Head”. Flashback.
Le 4 décembre 1971, au beau milieu du concert des Mothers Of Invention de Frank Zappa, le toit du Casino de Montreux prend subitement feu. Les membres de Deep Purple, venus prendre leurs marques dans cette salle afin d’y enregistrer leur nouvel album dans les conditions du live, comprennent rapidement qu’il va falloir trouver une autre solution. Mais ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que cet incendie va leur inspirer l’une des hymnes du rock seventies, Smoke On The Water. Comment Ritchie Blackmore a-t-il trouvé le riff de Smoke On The Water ? L’aurait-il plus ou moins calqué sur l’introduction de Maria Quiet, comme aiment à le penser les musicologues à la petite semaine qui passent trop de temps sur YouTube ? Sachant que cette charmante chanson d’Astrud Gilberto arrangée par Gil Evans figure dans l’album “Look To The Rainbow”, pourquoi ne pas soupçonner, pndant qu’on y est, l’ombrageux guitar hero de Deep Purple d’y avoir trouvé le nom du groupe qu’il fondera en 1975, Rainbow ?
Plus sérieusement, on sait que les riffs historiques naissent souvent par accident – l’inspiration, ça ne se commande pas –, et que ceux qui les gravent dans le marbre, ou plutôt in rock, se sont forcément inspirés, consciemment ou inconsciemment,d’une mélodie, d’une suite d’accords ou d’un autre riff, “emprunté” avec plus ou moins de malice. Comme celui de Whole Lotta Love de Led Zeppelin ou d’All Right Now de Free, le riff de Smoke On The Water est d’une telle simplicité qu’il semble avoir toujours existé. Impossible de l’oublier, même après une seule écoute : Tatata, tata-tadaa, tatataaa-dadaaa…Tatata, tata-tadaa, tatataaadadaaa… (Etc., etc.)
Qui ne s’est pas amusé au moins une fois à essayer de le jouer sur une guitare, même avec un doigt ? Mais Smoke On The Water, ce n’est pas seulement un riff, aussi inoubliable soit-il. Smoke On The Water, c’est aussi, et c’est même surtout une chanson. Bien écrite, superbement enregistrée, inventive, spontanée : quasi-parfaite. Elle résume à elle seule les péripéties montreusiennes de Deep Purple qui, malgré des circonstances pour le moins défavorables, réussit à enregistrer fin 1971 dans la douce commune suisse de canton de Vaud l’album aujourd’hui culte dont Smoke On The Water est le tube-locomotive : “Machine Head”.
« Deep Purple avait déjà joué deux soirs à Montreux, en avril 1971, dans une petite salle, se souvenait Claude Nobs en 2006 dans Muziq. Comme ils avaient bien aimé, ils sont revenus en novembre avec l’intention d’enregistrer leur nouvel album au Casino. Mais lors du concert de Frank Zappa et de ses Mothers Of Invention, un type a tiré une fusée éclairante, comme ça, et un incendie s’est aussitôt déclaré. Tout le plafond était en paillotte, et le feu a pris très vite. Les gars de Deep Purple étaient là, et ils ont tout vu. Ils ont quand même voulu rester à Montreux pour faire leur disque. C’était fichu pour le Casino, et le Mountain Studio n’existait pas encore…» Alors, Claude Nobs, qui ne sait évidemment pas encore que son nom sera cité dans Smoke On The Water, propose aux « gars de Deep Purple » – Ian Gillan, le chanteur, Ritchie Blackmore, le guitariste, Jon Lord, l’organiste, Roger Glover, le bassiste et Ian Paice, le batteur – de prendre leurs aises au Pavillon, une grandesalle très sonore, située juste en face du Montreux Palace. La teneur en décibels du hard-rock de Deep Purple importuna rapidement les clients fortunés du palace. Les plaintes commencèrent d’affluer, et la marée-chaussée locale ne tarda pas à aller frapper à la porte principale du Pavillon : « Police ! Ouvrez ! Messieurs, veuillez immédiatement cesser ce vacarme ! »
Déterminé à aider les musiciens du groupe à graver le successeur de “Fireball” dans sa bonne ville, “Funky Claude” va chercher immédiatement une autre idée. Et la trouver : ses bureaux étaient situés juste à côté du Grand Hotel, fermé hors saison. La voilà la solution de repli ! Il constata tout de suite que le couloir principal faisait huit mètres de large sur trente de long. « Pour avoir un bon son », Nobs disposa sur place avec l’ingénieurdu son du Rolling Stone Mobile (le camion-studio qui fut utilisé pour l’enregistrement de “Exile On Main Street” des Rolling Stones et “Led Zeppelin IV”, entre autres) une cinquantaine de matelas. Une paroi en bois fut également construite pour l’isolation, ce qui obligeait tout le monde à passer par un balcon, une chambre et une salle de bain (!) pour venir écouter les prises dans le “studio”… Claude Nobs raconte même que le groupe jouait tellement fort que « le camion s’est mis à trembler ! ». Résultat : il fallu aussi mettre des matelas sur le camion…
La façon dont “Machine Head” a été enregistré paraît presque surréelle. Cet album aujourd’hui considéré comme un classique du rock des années 1970 était le troisième enregistré par le Deep Purple “Mark II”, la seconde mouture du groupe créé en 1968, et sans doute la plus vénérée par les fans, même si le Deep Purple “Mark III”, avec David Coverdale et Glenn Hughes en lieu et place de Ian Gillan et Roger Glover, a aussi ses inconditionnels.
En quatre ans d’existence, de 1969 à 1973, Deep Purple Mark II va successivement enregistrer “In Rock”, “Fireball”, “Machine Head”, “Made In Japan” et “Who Do You Think You Are”. Des tensions internes, et notamment une singulière animosité entre Ian Gillan et Ritchie Blackmore, eurent raison de cette formation pourtant idéale.
Highway Star, Maybe I’m A Leo, Pictures Of Home, Never Before, Smoke On The Water, Lazy, Space Truckin’… Au GrandHotel, la majeure partie des chansonsde “Machine Head” furent créées surl’instant. Une, deux ou trois prises seulement,presque comme un disque dejazz. Tous les solos de Ritchie Blackmore,au sommet de son art, sont gravésspontanément, sauf celui, légendaire,d’Highway Star, mûrement réfléchi avecJon Lord. L’idée du riff de Pictures Of Home, Ritchie Blackmore l’a trouvée une nuit, en écoutant dans sa chambre des radios d’Europe de l’Est sur ondes courtes – aujourd’hui encore, il feint de craindre qu’un Turc ou un Moldave énervé vienne lui réclamer des royalties… Le riff de Space Truckin’, volontairement simple, voire simpliste, est lui inspiré par le fameux thème de Batman composé par Neal Hefti.
Lors des mêmes séances, Deep Purple enregistre une superbe ballade mélancolique, When A Bind Man Cries. La durée d’un 33-tours n’excédant pas une quarantaine de minutes, elle ne fut pas retenue dans le track listing final. Mais elle devint cependant une face b de 45-tours très recherchée. Aujourd’hui, elle figure au rang des standards du groupe, qui la joue toujours sur scène.
Quant à Never Before et son refrain très beatlessien, elle était si séduisante que le groupe l’avait d’emblée choisie comme premier 45-tours à extraire de l’album. Mais cette pop song somme toute assez funky ne devint jamais un classique du calibre de Smoke On The Water.
Ian Gillan avait écrit les paroles du futur hymne du groupe sur un coin de nappe du restaurant de l’Europe Hotel. Elles sont aussi savoureuses et limpides qu’une rédaction d’écolier – une rédaction très, très bien écrite, qui mériterait au mois 18 sur 20. Cla de Nobs y est donc cité (« Funky Claude was running in and out / Pulling kids out the ground »), Frank Zappa et ses Mothers aussi, forcément.
« Les musiciens du groupe étaient adorables, et ils ne se sont jamais plaints, se souvient encore “Funky Claude”. Tous les soirs, ils venaient manger chez moi. Il n’y a presque pas de photos de tout ça, quel dommage ! Roger Glover a fini par me parler d’une chanson, mais ils n’avaient pas encore décidé si elle allait être dans le disque. Ils me l’ont jouée, et moi je leur ai dit que ça allait être un méga succès ce truc-là ! En écoutant les paroles de Smoke On The Water, j’ai trouvé ça non seulement très sympathique – mon nom était cité –, mais surtout extrêmement précis. Tout ce qui était raconté était juste. Et quand le disque est sorti, le succès a effectivement été planétaire. »
Alors, ce nouveau coffret, approuvé par la rédaction ? Oui ! Car le livret en format 33-tours est encore plus réussi que celui de la version 2012, ne serait-ce que par sa richesse iconographique. Mention, aussi, au texte de Kory Grow. Comme nombre de coffrets récents, il contient un vinyle, avec une pochette qui s’ouvre dans laquelle ont été glissés les trois CD et le blu-ray.
Le vinyle est-il la version de 1972 du disque ? Non, le “Remix 2024”, effectué, drôle d’idée marketing, par Dweezil Zappa, le fils du génial moustachu cité dans Smoke On The Water… Pas sûr que les fans qui ont grandi avec le mix original se retrouvent dans les options soniques de Zappa Junior… Car outre la musique, quasiment sacrée, le mix original de Martin Birch ne souffrait d’aucun défaut rédhibitoire, et frôlait lui aussi la perfection. Qu’un mix Atmos soit effectué, pourquoi pas, mais qu’un musicien ne faisant pas partie du groupe réinterprète ainsi le mix de 1972 laisse songeur. D’autant plus que seul Jon Lord, hélas, n’est plus de ce monde – il aurait sans doute refusé, mais cela aurait bien plus amusant de demander à Ritchie Blackmore de le faire, ce remix ! Cela dit, les nouvelles générations ne verront sans doute rien de choquant dans le travail de Dweezil Zappa, qui a dû être le premier surpris qu’on lui demande de s’acquitter de cette tâche. Le voici qui s’explique :
https://www.youtube.com/watch?v=kkeppS4UZOg
Il faut cependant avouer que sur le blu-ray la version Atmos ne laisse pas de marbre, tout comme le Quad Mix, et que le concert inédit enregistré à Montreux en 1971 – attention, qualité bootleg ! – est un vrai plus. Et, rassurez-vous, l’excellent concert de 1972 enregistré par la BBC est toujours là, avec un petit bonus : Maybe I’m A Leo en version “soundcheck”.
Si vous aviez loupé le coffret 2012 (assez côté aujourd’hui…), la version 2024 s’impose. Si vous aviez déjà le coffret 2012, il faudra réfléchir à deux fois…
PS. Message aux décideurs d’Universal : on attend désormais les rééditions Super Deluxe d”In Rock” et de “Burn”, ok ?
COFFRET Deep Purple : “Machine Head 5-Disc Deluxe Anniversary Edition” (Universal Music).
Vingt-trois ans après la première réédition CD Deluxe du classique de 1973 d’Alice Cooper, “Billion Dollar Babies”, le revoici cette fois, toujours en CD mais aussi en LP. Dans les bacs le 8 mars !
Par Julien Ferté
Pour tout vous dire, quand le coursier nous a apporté le pli en provenance de la bonne maison Warner Music et qu’on l’a ouvert fébrilement, on a cru que le double CD de “Billion Dollar Babies” d’Alice Cooper qui y avait été glissé par l’attachée de presse était celui de la réédition de 2001 ! Mais non, c’était bien la version 2024, identique en apparence, mais avec tout de même quelques différences. [“Billion Dollar Babies” est aussi réédité en somptueux triple LP – à plus de 70 € tout de même, mais nul doute qu’il deviendra très rapidement collector, et donc trois fois plus cher –, et si en plus d’être fétichiste vous êtes un très sérieux audiophile, sachez qu’il existe un blu-ray paru en juin 2023.]
Alors, voyons ça, mais avant de nous pencher sur la réédition 2024, souvenons-nous de celle de 2001, âge d’or des rééditions CD siglées Rhino. Le digipack trois panneaux s’ouvrait comme une sorte d’origami ; le livret de vingt-quatre pages, richement illustré, s’enorgueillait d’une préface du boss de Rhino, David McLees – est-il toujours en poste ? aucune idée ! –, d’un essai finement troussé de Brian Smith qui m’en avait appris de belles, des paroles – importantes les paroles, très importantes – et bien sûr des indispensables renseignements discographiques. Le track listing ? L’album original impeccablement remasterisé sur le premier CD, et quatorze morceaux sur le second : onze inédits live captés à Houston et à Dallas les 28 et 29 avril 1973, plus deux outtakes – Coal Black Model T et Son Of Billion Dollar Babies (Generation Landslide) – et une rareté seulement parue en Angleterre, Slick Black Limousine (formidable morceau soit dit en passant). Notez qu’en 2001 “Billion Dollar Babies” n’avait pas eu les honneurs d’une réédition “vinyle” (comme on dit aujourd’hui) puisque ce support n’était pas encore revenu en grâce.
Auscultons maintenant la réédition 2024. Le digipack trois panneaux s’ouvre de façon plus classique, un panneau vers la gauche, l’autre vers la droite. L’iconographie du livret est nettement moins riche, mais il fait cette fois vingt-huit pages, car à la place des liner notes, The Billion Dollar Babies Story est racontée (à Jaan Uhelszki) par rien moins qu’Alice Cooper himself, le producteur Bob Ezrin, le batteur Neal Smith, le bassiste Dennis Dunaway et le guitariste Michael Bruce – l’autre guitariste du groupe original, Glen Buxton, est mort en 1997. C’est fort passionnant, chaque chanson est analysée-décortiquée, les anecdotes fusent, et aucune fine plume n’aurait fait mieux pour nous replonger dans cette époque assez folle, celle de ce rock qu’on labélise désormais classic. (Certes, il faut savoir lire l’anglais dans le texte, mais on vous fait confiance.) Seule frustration : exit les paroles ! (Quel dommage…) Le track listing ? Comme la version 2001, le disque original sur le premier CD (et re-remasterisé !) et, cette fois, non plus quatorze mais vingt morceaux : les onze titres live du CD de 2001 (qui ne sont donc plus inédits…) avec School’s Out et Under My Wheels en plus ; les deux outtakes citées plus haut et cinq single versions (Hello Hooray, Billion Dollar Babies, Elected, Mary Ann et Slick Black Limousine).
On l’aura compris : les différences sont minimes entre les deux rééditions. Si vous n’aviez pas la version 2001, la 2024 s’impose (en CD à un prix doux, en LP à un prix dur). Mais si vous aviez déjà la version 2001, trois solutions s’imposent : la revendre chez un soldeur pour financer en partie l’acquisition de la version 2024 ; garder la version 2001, déjà magnifique, et zapper la 2024 (ou alors la prendre en LP) ; opter pour la version 2024 tout en gardant la version 2001 (j’en connais qui, etc.).
Sinon, on rappelera au passage que “Billion Dollar Babies” concluait la quadrilogie majeure du groupe Alice Cooper, qui avait démarré avec “Love It To Death” et “Killer” en 1971 et s’était prolongée l’année suivante avec “School’s Out” – on ne chômait pas à cette époque. (Ensuite, Alice Cooper le groupe sortit le décevant “Muscle Of Love”, puis Alice Cooper tout seul revint en force avec “Welcome To My Nightmare”, mais c’est une autre histoire.)
Réécouter aujourd’hui “Billion Dollar Babies” nous rappelle à quel point les cinq rockeurs d’Alice Cooper formaient non seulement un sacré groupe de hard-rock’n’roll, touche glam en gothique en prime, que leur chanteur était un sacré showman, un sacré gosier, mais aussi un sacré parolier (John Lennon adorait Elected et Bob Dylan Generation Landslide : ça vaut tous les Grammies, non ?), que leur producteur était un grand metteur en scène / metteur en sons, et qu’absolument toutes les chansons de “Billion Dollar Babies” avaient quelque chose de fort, d’original, voire de visionnaire, de la pas politically correct pour un sou Raped And Freezin’ (qui raconte l’histoire d’un homme violé par une femme et se retrouve tout nu dans le désert !) à la troublante Mary Ann, qui questionnait déjà le genre, en passant par No More Mr. Nice Guy (qui faisait peur à Paul McCartney !) ou encore Unfinished Sweet et ses délires chez le dentiste (brrr, le bruit de la fraiseuse…). Bref, un grand disque indispensable.
CD / LP Alice Cooper : “Billion Dollar Babies” (Warner Records / Rhino, dans les bacs le 8 mars).
Photos : © Peter Sherman (Warner Records / Rhino).
Le pianiste et chanteur nous a quittés le 29 décembre. Hommage.
Par Fred Goaty
J’apprends ce matin avec tristesse la mort du pianiste et chanteur Leslie Coleman “Les” McCann. Le premier disque qui me vient à l’esprit et que je réécoute en écrivant ces quelques lignes, c’est évidemment “Swiss Movement”, le légendaire live enregistré le 21 juin 1969 au Montreux Jazz Festival avec Eddie Harris.
Il commence par cette sublime chanson d’Eugene McDaniels, Compared To What, que McCann avait d’abord enregistrée pour “Les McCann Plays The Hits” en 1966. Elle figure aussi en ouverture du premier album de celle qu’il avait découverte dans un club de Washington, DC, et contribué à faire signer sur Atlantic : Roberta Flack. (L’album en question, “First Time”, était sorti le 20 juin 1969, la veille du concert montreusien !)
De Les McCann, outre “Swiss Movement”, j’aime non moins passionnément “Live At Montreux” (pochette illustrée par une photo de Giuseppe Pino), gravé en 1972 cette fois. Que de grands moments dans ce disque : Price You Gotta Pay To Be Free, le super funky North Carolina, Home Again (avec Roland Kirk en invité)… Le natif de Lexington était revenu sur les rives du Lac Léman avec son nouveau 33-tours Atlantic sous le bras, “Talk To The People”, un must qui débutait par une reprise lente, sensuelle, et pour tout dire somptueuse de What’s Going On de Marvin Gaye, ma préférée avec celle de Donny Hathaway. McCann excelle au piano électrique, et sa voix grave, granuleuse et chaleureuse fait merveille. La longue chanson titre est aussi un grand moment, dont l’intro parlée m’évoque celle du fameux medley Southside Blues / Tobacco Road de Lou Rawls.
Trois disques à apprendre par cœur, auxquels on ajoutera un plus ancien, le magnifique “Jazz Waltz”, enregistré en 1963 avec les Jazz Crusaders, et un plus récent, “Pump It Up” (2002), avec un sacré casting : Ricky Peterson, Marcus Miller, John Robinson, Maceo Parker, Billy Preston, Paulinho Da Costa, Bonnie Raitt, Dianne Reeves…
Photo : © Giuseppe Pino
Dévoilé au compte-goutte chaque nuit de pleine lune depuis janvier, “i/o”, le nouveau Peter Gabriel, partage avec “The Omnichord Real Book” de Meshell Ndegeocello le titre de chef-d’œuvre de l’année. Nous lui avons écrit pour lui dire toute notre admiration.
Par Fred Goaty
Cher Peter Gabriel,
Vous ne me connaissez pas mais moi, je vous connais très bien. J’ai pris le train en marche un beau jour de 1982 en sautant pieds joints et oreilles grandes ouvertes dans votre quatrième album, celui avec The Rhythm Of The Heat et Shock The Monkey. Rassurez-vous, j’ai vite rattrapé mon retard et rapidement appris par cœur “Peter Gabriel”, “Peter Gabriel” et “Peter Gabriel” – à l’époque, je n’avais même pas réalisé que vos disques n’avaient pas de titre, pensez, les pochettes étaient si puissamment expressives que d’une certaine manière, cela suffisait à les “nommer” : cette force de l’image, vous la cultivez aujourd’hui encore en demandant à moult artistes de “répondre” à vos chansons, et rien que pour ça, je vous tire une première fois mon chapeau.
Oserais-je l’avouer – oui, sinon ma missive n’aurait rien d’une lettre ouverte… –, je vous ai un petit peu négligé au début du XXIe siècle ; mais nostalgie oblige, nous nous sommes retrouvés en octobre 2013 pour fêter les 25 ans de “So”, et c’était absolument magnifique. Encore plus fort, peut-être, qu’en 1987 au même endroit, le P.O.P. de Bercy.
“So” : parlons-en rapidement. Longtemps, j’ai cru que vous n’arriveriez jamais à retrouver cet état de grâce, à nous offrir un chef-d’œuvre du même acabit.
Quel sot.
Il aura certes fallu attendre trente-sept ans, période certes marquée par quelques grandes réussites (“Us”, “Secret World Live”…), avant d’éprouver un choc artistique aussi fort que celui de grand cru classé de 1986.
Mais voici donc “i/o”.
Bon, le coup des chansons révélées l’une après l’autre les nuits de pleine lune, j’ai joué le jeu au début, mais dès que le soleil a recommencé de briller, j’ai mis le holà, préférant attendre la sortie du disque. J’ai beau admirer votre capacité à être toujours en phase avec les nouveaux médiums, mais rien, pour moi, ne vaut la découverte d’un album sur disque (CD ou 33-tours, peu importe), deux mots qui disparaissent peu à peu du vocabulaire courant, mais auxquels vous venez de (re)donner une vive, une très vive actualité : un véritable sens artistique.
Autant vous le dire tout de suite – d’autant plus que j’ai attendu trois semaines avant de vous écrire, car je voulais vraiment écouter “i/o”, essayer d’en percer tous les secrets –, grâce à ce disque somptueux d’un bout à l’autre, j’estime que vous les avez atteints à nouveau, les sommets de “So”, sans vous répéter tout en restant vous-même, plus fascinant et habité que jamais. Tel qu’en vous-même enfin l’éternité vous change, disait (à peu près) le poète. Et c’est un doux miracle que voilà. Et pour ça, je vous tire une deuxième fois mon chapeau.
D’abord, il y a votre idée un peu folle de proposer deux mixages différents des mêmes chansons, le “Bright Side Mix” et le “Dark Side Mix”. Mon premier réalisé par Mark “Spike” Stent, mon second par Tchad Blake, deux ingénieurs du son et producteurs aux c.v. longs comme le bras. Elles sont à la fois évidentes, extrêmement subtiles et comme un défi posé à nos ouïe ces différences de traitement sonore, elles révèlent chaque chanson autrement, leur donnant des reliefs insoupçonnés selon la version à laquelle on s’est de prime abord attaché.
Passées ces trois premières semaines de cohabitation quasi quotidienne avec votre disque, le “Bright Side Mix” est mon préféré, mais ces derniers jours, le “Dark Side Mix” commence à me titille de plus en plus sérieusement le nerf auditif. Pas sûr qu’il dépasse au bout du compte le mix côté brillant, mais son mérite est grand que de questionner ainsi la perception des douze chansons de l’album. Ne pas prendre vos fans pours de banals consommateurs de musique nous rappelle, si besoin était, l’intelligence suprême qui est la vôtre et tout le respect que vous avez pour nous.
Et non, je n’oublie pas le “In-Side Mix” (en Dolby Atmos) mitonné par Hans-Martin Buff pour le blu-ray : je l’écoute moins souvent car il me faut pour cela quitter mon Salon de Muziq pour mon salon tout court et allumer les amplies ; les platines et les écrans qui d’habitude me permettent de regarder des films. Mais là encore, le jeu en vaut la chandelle, et le sonic trip différent des deux autres.
Il va sans dire que ces douze chansons défilent du côté brillant ou sombre dans un ordre que, j’imagine, vous avez longuement travaillé. Bravo : elles forment un véritable film audio, les scènes s’enchaînent à la perfection, entre moments enjoués, méditatifs ou émouvants.
“i/o” forme un tout où chaque chanson finit peu à peu par coaguler dans notre esprit, telle une Pangée musicale, un continent familier et mystérieux à la fois, où l’on aime se perdre pour mieux se retrouver. Et quel bonheur que de croiser ces grands musiciens, vos compagnons de roots, certains vous accompagnent depuis plus de quarante ans, de David Rhodes à Tony Levin en passant par Manu Katché et Brian Eno.
Voilà cher Peter Gabriel, je livrerai bientôt d’autres impressions concernant votre chef-d’œuvre, mais je tenais à vous dire tout ça sans trop attendre non plus.
Respectueusement.