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Publié le 24 Mar 2025

Al Jarreau : les années Graydon

Entre 1980 et 1984, l’association Al Jarreau / Jay Graydon donne naissance à quatre albums parfaits. Le légendaire producteur nous raconte cet âge d’or.

« C’est vrai, je suis du genre perfectionniste… cela ne veut pas dire que tout doit être parfait, mais plutôt que je veux que tout sonne au mieux, pour le plus grand bonheur de l’auditeur. Cela doit rester sensible, humain. » Quand Graydon rencontre Al, il veut saisir cette opportunité pour offrir au plus grand nombre ce jazz-pop-funk qui lui tient tant à cœur. « C’était très important pour moi. Jai refusé beaucoup de gigs pendant cette période pour faire tous les ans, un album avec Al. Et nous avons travaillé dur ! » Les séances de studio se prolongent tard dans la nuit, et l’enregistrement des voix fait l’objet d’une attention obsessionnelle.

Si nous découvrons alors un “son Graydon”, c’est parce que le producteur est également guitariste, et ingénieur du son de ces séances. « Dans “Blue Desert”, lalbum du chanteur Marc Jordan que javais produit juste avant “This Time” avec la même équipe de musiciens, je m’exprimais largement à la guitare, en solo. Mais avec Al, les chansons s’en passaient très bien. Je me demandais toujours : “De quoi cette chanson a-t-elle besoin ?” Et je choisissais les musiciens en fonction de son feeling, de son groove. Tous ces gars étaient extraordinaires, mais j’avais mes préférences selon les morceaux. Pour Mornin’ par exemple, à la batterie, ça devait être Jeff Porcaro parce qu’il maîtrise le rythme shuffle du funk comme personne. Je l’avais également choisi pour Boogie Down, mais comme il était indisponible, c’est Steve Gadd qui a assuré la partie de batterie… magnifiquement ! »

La touche finale de ces séances d’enregistrement, c’est toujours l’ajout des cuivres orchestrés par le trompettiste Jerry Hey. Voix et sections rythmiques (souvent Tom Canning ou David Foster, Abe Laboriel et Steve Gadd ou Jeff Porcaro) étaient déjà finalisées, et Hey s’appuyait sur les parties de claviers pour écrire ses partitions. Cela lui permettait de rester en symbiose avec ce qui était joué, sans surcharger le son. Evidemment lorsqu’Al Jarreau et Tom Canning découvraient les versions “cuivrées” des chansons qu’ils avaient composées avec Jay (Roof Garden ou Step By Step, pour ne citer que deux titres aux arrangements particulièrement jubilatoires), ils nageaient en plein bonheur. « Jerry, Gary Grant et Chuck Findley aux trompettes, Bill Reichenbach et Lew McCreary aux trombones, ces mecs-là étaient les meilleurs du monde ! Le son dun saxophone dans une section de cuivres peut être très utile, mais moi je voulais des cuivres qui pètent : trois trompettes et deux trombones, c’était l’idéal. »

Des chansons intemporelles, avant que le duo Jarreau / Graydon ne plonge au cœur des années 1980… « Notre quatrième album, “High Crime”, a moins bien fonctionné que nous lespérions. À l’époque, tout le monde utilisait des boîtes à rythme, des séquenceurs, et jai voulu my coller ». Plusieurs batteurs totalement inconnus ont collaboré à cet album, et on n’entendra plus jamais parler de Skinsoh Umar ou de Tubs Margranate. Et pour cause : leurs noms ont été inventés pour l’occasion, la batterie étant remplacée par des programmations. Bienvenue dans l’ère des machines ! La prise de risque était grande, et certains fans de la première heure ne se sont pas remis du robotique Raging Waters, qui ouvre l’album avec ses guitares rock FM agressives. Cela n’empêche nullement le chanteur de s’amuser, et confrontée aux rythmes électroniques, sa voix fait des étincelles ! « J’aurais aimé faire un autre album complet avec lui, mais Al a préféré suivre une autre direction. C’était tellement facile de sentendre avec lui, il était toujours volontaire dans le travail. Et c’était un homme bien, une belle personne ! »

À écouter

Al Jarreau : “This Time”, “Breakin’ Away”, “Jarreau”, “High Crime” (Warner Bros. Records, 1980-1984
Marc Jordan : “Blue Desert” (Warner Bros. Records, 1979).

Remerciements chaleureux à Philippe Poudensan.