L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme. 
Mattéo Rigetti (de Besançon) avait choisi :
Lukather
Steve Lukather
Columbia
1989



« Fan de la première heure de Toto, la sortie du premier album solo de Steve Lukather fut pour moi une belle surprise. Pensant qu’il serait disponible dans son pays natal avant de sortir en France, j’avais appelé un vieil ami américain pour lui demander de me le trouver chez un disquaire de son coin (il habitait Los Angeles), afin que je puisse l’écouter avant tout le monde ici ! “Mais quel disque solo de Lukather, bro’ ?!” m’avait-il répondu par fax. Hé oui, à ma grande surprise j’ai appris par la suite que “Lukather” était sorti dans le monde entier…sauf aux États-Unis ! La faute au nouveau boss de Columbia, un certain Donny Ienner, que Lukather détestait – c’était réciproque je crois… 
Mais ce petit désagrément ne m’empêcha pas d’écouter mon CD en boucle et, ô joie, de constater que le premier morceau, l’incendiaire Twist The Knife, avait été composé à quatre mains par “Luke” et son pote Eddie Van Halen, qui jouait de la basse dessus ! 
Il faut dire que cet album éponyme était un festival de “big names” : Jeff Porcaro, Carlos Vega, Danny Kortchmar, Steve Stevens, Jan Hammer, Mike Landau, Lee Sklar, Randy Goodrum, Will Lee, David Paich, Randy Jackson… Tous donnaient un certain cachet à un disque de hard-rock’n’roll sans complexe, rentre dedans, puissant, et bien sûr débordant de soli brûlants (celui de Drive A Crooked Road est “juste une dinguerie”, comme vous dites, vous les jeunes). Ce qui n’excluait pas certaine verve mélodique. 
Bref, aussi bon qu’on disque de Toto, quoique plus “viril” – d’une certaine manière, il annonçait le dernier album de Toto avec Jeff Porcaro, “Kingdom Of Desire”, dont la première chanson, Gypsy Train, aurait pu figurer dans ce “Lukather” qui fit mon bonheur. » 
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois#stevelukather

Après avoir produit les plus grands artistes de son temps et mis en avant la jeune génération, le producteur et fondateur du label JMS publie cette lettre de remerciements adressée à tous ceux qui l’ont accompagné dans cette grande aventure. La version publiée dans Jazz Magazine fin novembre était incomplète, la voici donc dans son intégralité.

« Chers amis,

Après 55 merveilleuses années passées au service de la musique, le temps est venu pour moi de mettre un terme à ma carrière professionnelle. À travers cette lettre ouverte, je tiens surtout à vous adresser un Grand Merci. Merci de m’avoir fait confiance et permis de collaborer avec vous pendant ces longues années en me confiant vos compositions et interprétations. J’ai toujours cherché à les valoriser au mieux. Ensemble, nous avons accompli de belles choses avec des succès, des défis, des échecs parfois mais toujours avec détermination, implication et respect.

Je tiens à exprimer toute ma gratitude à chacun d’entre vous, sans oublier les collaborateurs, journalistes, programmateurs, photographes… et bien sûr, un remerciement chaleureux au public amoureux de la musique et du jazz en particulier.

Vous avez tous été de fidèles compagnons de route tout au long de cette aventure. C’est désormais la Société Pias pour les productions et la Société Strictly pour les éditions qui reprennent le flambeau.

Merci. Merci à vous tous. Merci beaucoup.

Jean-Marie Salhani »

Philippe Adler, Michel Alibo, Césarius Alvim, Véronique André, Marius Apostol, Yakir Arbib, Bernard Arcadio, Jérémie Arranger, Victor Bailey, Philippe Balatier, Véronique Bandelier, Claude Barthélemy, Ilan Baruch, Sylvie Baruch, Yaëlle Baruch, Julien Bassères, Jim Beard, Bébel «Le Magicien», Gordon Beck, Joachim Becker, Philippe Berthe, Pierre Bertrand, Paul Bessis, Sylvain Beuf, Emmanuel Bex, Hervé Bintin, Pascal Bittard, Tony Bonfils, Patrick Bouchitey, Thomas Boudrant, Hubert Bouysse, Céline Breugnon, Dave Bristow, Paul Brochu, Fara C, Caloé, Jean-Christophe Calvet, Jean-Yves Candela, Jean-Charles Capon, Alain Caron, Yves Carrère, Gérard Carrier, Philip Catherine, Eliane Cattanéo, André Ceccarelli, Jean-Paul Ceccarelli, Jean-Paul Celea, André Charlier, Béatrice Cazes, Bruno Chevillon, Pierre de Choqueuse, André Clergeat, Sophie Clergeat, Jean-Pierre Como, Cordeone, Gilles Coronado, Laurence Cottle, Vincent Courtois, Sylvain Coutu, François Couturier, Christophe Cravero, Patrice Cresta, Jean-David Curtis, Michel Cusson, Michel Cyr, Thomas Dalle, André Damon, Yves Daniel, Thierry Dargent, Laurent David, Jean-Pierre Debarbat, Angelo Debarre, Alain Debiossat, Yves Delaunay, Julien Delli Fiori, Maxime Delpierre, François Deschênes, Jean-Luc Deshayes, Maïté Dhelin, Laurent Didailler, Jean-Charles Doukhan, Patrick Drehan, Christian Ducasse, Bruno Ducret, Isabelle Dugé de Bernonville, Mathias Duplessy, Alex Dutilh, Guillaume Dutrieux, Patrick Duval, Jean-Marie Ecay, Brigitte Enguérand, David El Sayegh, Thierry Eliez, Claude Ermelin, Peter Erskine, Christian Escoudé, Aydin Esen, Sylvie Evain, Monique Feldstein, René Ferral, Boulou Ferré, Elios Ferré, Didier Ferry, Marc Fosset, Thibaud Fouet, François Fournet, André Francis, José Maria Gallardo, Richard Galliano, Doumé Gaspari, Philippe Georges, Patrice Gerbier, Sébastien Giniaux, Frédéric Goaty, Laurent Godet, Lilian Goldstein, Victor Gonon, Sylvain Gontard, Didier Goret, Daniel Goyone, Stéphane Grappelli, Dave Green, Steve Grossman, Trilok Gurtu, Gilbert Haddouche, Ronan Hallé, Pierre Henriot, Jacques Higelin, Allan Holdsworth, Régis Huby, Daniel Huck, Daniel Humair, Emmanuel Hussenot, Olivier Hutman, Maxime Isoard, Damien Jacobs, Jean-Marc Jafet, Alex Jaffray, François Jeanneau, Jean-François Jenny-Clark, Thierry John, Marc Johnson, Gilles Jumaire, Jean-Michel Kajdan, Yazid Kouloughli, Pierre-Frédéric Klos, Olivier Kowalski, Christophe Laborde, Denis Lacharme, François Lacharme, Jean-Yves Lacombe, Richard Lafortune, Daniel Lafrance, Jean-Louis Lagarde, Vincent Lamy, Nguyen Lê, Eric Le Lann, Sylvain Lebel, Philippe Leclerc, Ferdinand Lecomte, Bob Le Louarn, Jakez L’Haridon, Jean-Louis Lemarchand, Michaël Leonhart, Mathias Lévy, Alex Ligertwood, Arthur Links, Eliane Locatelli, Georges Locatelli, Didier Lockwood, Francis Lockwood, Jean-Loup Longnon, Sylvain Luc, Jean-Marie Machado, Jacques Mahieux, Marinette Maignan, Magic Malik, Pierre Manetti, Richard Manetti, Marcel Mangin, Céline Manil, Gérard Marais, Sylvin Marc, Félix Marciano, Philips Margerit, Christophe Marguet, Francis Marmande, Frédéric Marquès Da Costa, Pierre de Maria, Daniel-John Martin, Jean-Pierre Mas, Louis Matinier, Armand Meignan, François Merville, Adrien Moignard, Caroline Molko, Fiona Monbet, Stéphane Montanaro, Jean-Loup Morette, Benjamin Moussay, Mohamed Najem, Gilles Naturel, José Nedelec, Florin Niculescu, Jean-Pierre Nihouarn, Alejandra Norambuena Skira, Claude Nougaro, Anaël Noury, Ryoko Nuruki, Philippe Ochem, Fabienne Octau, Joseph Oldenhove, Michel Orier, Bernard Paganotti, Jean-Marc Pailhole, Jacques Pantalacci, Corey Parker, Maceo Parker, Martine Patrice, Marc Peillon, Philippe Péjoine, Pierrot Péjoine, Roger Perea, Catherine Perez, Robert Persi, Laurent Peyron, Chantal Pichot, Dominique Pifarély, Jean-Michel Pilc, Louis-Christophe Pinheiro, Jean-Luc Pino, Ramon Pipin, Armand Pironne, Kim Plainfield, Loïc Pontieux, Jean-Marc Portet, Stéphane Portet, Olivier Prou, Jean-Michel Proust, Jean-Jacques Pussiau, Cécile Rap-Veber, François Raulin, Babik Reinhardt, Pascal Reva, Bertrand Richard, Eric Ripari, Rafaël Riqueni, Jean-Louis Rizet, Max Robin, Romane, Aldo Romano, Christian Rose, Bruno Rougevin-Banville, Jean-Jacques Ruhlmann, Maxime Ruiz, Kirt Rust, Henri Salvador, Dominique Samarcq, Alain Sachs, Louis Sclavis, Franck Seguin, Philippe Sellam, Paco Séry, Eric Seva, Sylvain Siclier, Sylvain Sigre, Catherine Silly, Clément Simon, Roland Sirletti, Claudia Solal, Martial Solal, Béatrice Soulé, Benoît Sourisse, Christoph Spendel, Marc Steckar, Mike Stern, Jean St-Jacques, Frédéric Sylvestre, Arlette «Babar» Tabart, Patrick Tandin, Henri Texier, Fabienne Thibeault, Roger Thomas, Delphine Thomas Le Boadec, Patrick Tilleman, Jannick Top, Xavier Trombini, Jean My Truong, Halit Uman, Gérard Vandenbroucke, Christian Vander, Benoît Vanderstraeten, Stéphane Vasseur, Léon Véretout, Laurent Vernerey, Jacques Vidal, Sébastien Vidal, Fabienne Vieuge, Dominique Vissuzaine, Andrew Ward, Benoît Widemann, Louis Winsberg, Phil Woods, Bojan Z, François Zalacain, Joe Zawinul, Karim Ziad, Clément Ziegler.

Photo © Mephisto

L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme. 
Lise Descombes (de Trouville) avait choisi :
High Crime
Al Jarreau
Warner Bros. Records
1984

Version 1.0.0

« Ce disque d’Al Jarreau fut en son temps décrié par les puristes à cause de sa production très “eighties”, synthés à go go et beats électroniques. Et pourtant, quel divin choc avais-je reçu quand le saphir se cala dans le sillon de la première face de mon 33-tours acheté à Paris lors d’un bref séjour, je m’en souviens comme si c’était hier. Raging Waters ! Quelle énergie ! La voix féline et le phrasé élastique du grand Al qui dansait sur les boîtes à rythmes, qui pour l’occasion avaient toutes hérité d’un nom : Chip McSticks, Skinsoh Umor, Tubs Margranate, Tyrone B. Feedback, Rug Toupé, U.L. Blowby… Ah ah ah ! 
Et ces chansons si entraînantes, ces arrangements inventifs et modernes… ImaginationMurphy’s Law, la chanson titre, le tube Let’s Pretend (où l’on reconnaissait bien la “patte” de Richard Page et de Steve George des Pages), la très funky Sticky Wicked… Non, ce n’était pas un Crime que d’écouter ce disque qui me rendait High le plus légalement du monde – quelle meilleure drogue que la musique ? » 
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois

L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme. 
Michel Gauthier (de Tournon) avait choisi :
We Live Here 
Pat Metheny Group
Geffen Records
1995

« C’est Claude Nougaro qui chantait : “Mon disque d’été est déjà rayé / Par les rayons gris de la mélancolie / Mon disque pleure sur sa dernière heure envolée.” Hé bien moi, mon disque de l’été 1996, c’était “We Live Here” du Pat Metheny Group, et je dois avouer qu’étant un peu jeune pour avoir “vécu” ce groupe génial dans les années 1980, son âge d’or selon les plus anciens, les disques du PMG (du “Pihemgi” !) des années 1990 sont ceux qui comptent le plus pour moi. Et donc celui-ci, le plus souvent rythmé par des beats (magnifiquement) programmés, mélangés au jeu de cymbale pointilliste de Paul Wertico. (Dans The Girl Next Door, on frôle le hip-hop !) 
La musique du Pat Metheny Group m’a souvent invité au voyage – leurs célèbre double live de 1983 ne s’appelle-t-il pas “Travels” ? –, mais “We Live Here” représente pour moi un must du genre “trippin’ jazz” ensoleillé, avec des mélodies irrésistibles et des harmonies chatoyantes. Et puis il y les deux maîtres, Pat le guitariste et Lyle le claviériste, les Lennon & McCartney du jazz, qui de leur écrin avaient sorti leur plus belle plume pour coucher sur partition leurs idées lumineuses. 
Et puis, comme on aime aussi leurs immenses qualités d’improvisateurs, permettez-moi d’insister sur les solos qu’ils prennent dans Episode d’Azur (j’adore ce titre !) : ils sont tout simplement touchés par la grâce. “Nous vivons ici” ? Moi aussi, pour la vie ! »
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois#patmethenygroup

L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme. Annaëlle Dessan (de Nîmes) avait choisi : Zenyattà Mondatta The Police (A&M Records1980)

« Le troisième disque de The Police me tient à cœur pour une raison toute simple : je n’avais alors que deux 45-tours d’eux, Walking On The Moon et Message In A Bottle, et c’est le premier “33” que j’ai pu m’acheter avec mon argent de poche, peu de temps, je crois, après sa sortie (j’étais au Lycée Alphonse Daudet, je venais d’entrer en seconde, c’était donc forcément fin 1980). Je sais bien que “Zenyattà Mondatta” est loin d’être considéré comme le meilleur album de The Police, et d’ailleurs, pour moi qui ne connaissais donc que mes deux 45-tours, par cœur (et Roxanne bien sûr, qui passait souvent à la radio), je dois avouer que j’avais été un peu déçue, au début, ou plus précisément décontenancée par, comme dire, la différence énorme entre certaines chansons. J’adorais Don’t Stand So Close To Me, Voices Inside My Head (mon grand frère, batteurs, me disait que Stewart Copeland était vraiment génial sur ce morceau), et le fait que Driven To Tears et When The World Is Running Down, You Make The Best Of What’s Still Around (ce titre !) me troublait un peu, mais ça me plaisait tout de même. J’aimais nettement moins Canary In A Coalmine, dont je trouvais le refrain bêta (je dois avouer que je n’avais pas fait le rapprochement avec le fait que Sting soit originaire d’une ville minière…), De Do Do Do Do, De Da Da Da et Man In A Suitcase pour les mêmes raisons, et je zappais souvent Bombs Away. Mais le rythme bizarre de Shadows In The Rain et l’étrangeté des deux instrumentaux, Behind My Camel et The Other Way Of Stopping, fit qu’au bout du compte j’appris ce disque par cœur, qui reste pour moi un grand disque un peu enrhumé de The Police, mais un grand disque quand même. »

Pour compléter la vaste sélection amoureusement subjective de notre numéro 777 daté décembre 2024-janvier 2025, voici quelques disques de plus sans lesquels l’histoire du jazz n’aurait pas été la même, de 1955 à 1963, par les fines plumes d’hier et d’aujourd’hui de Jazz Magazine.

Clifford Brown

Clifford Brown With Strings

EmArcy

1955

Le trompettiste Clifford Brown aura traversé le ciel jazzistique telle une météorite avant de mourir dans un accident de voiture avant ses 26 ans. Il laisse cependant une empreinte indélébile sur les trompettistes de toutes les générations postérieures, et pas seulement pour ses performances ébouriffantes de hard bopper. Une certaine élégance et un lyrisme rare étaient ce qui le distinguait des trompettistes avant lui, ce dont témoigne son disque avec cordes. Il y magnifie chacune de ces douze ballades, en respectant leur thème tout en les ornementant d’une manière sans pareille, en cherchant à en révéler les mélodies cachées. Trois qualités font de ce disque une réussite : un son tout à fait personnel, qui ne doit ni au beau son classique, ni à Miles Davis, ni à Chet Baker, ni à aucun autre, des paraphrases du meilleur goût (ce qui fait de lui un peu l’équivalent d’un Chopin du jazz), des improvisations très concises, et une énergie qu’on ne s’attend pas à entendre sur ce type de répertoire et qui électrise l’ensemble de ces morceaux arrangés par Neil Hefti. Ludovic Florin

Modern Jazz Quartet

Modern Jazz Quartet

Barclay

Extrait de Jazz Magazine n° 13, janvier 1956

Il faut saluer comme un événement important la parution en France de ce volume du fameux Modern Jazz Quartet. Sur une face nous trouvons La Ronde, arrangement en quatre parties dont chacune nous fait entendre en soliste, dans l’ordre :  John Lewis, Percy Heath, Milt Jackson et Kenny Clarke ; le morceau qui sert de canevas est la composition que Lewis avait écrite pour l’orchestre de Dizzy Gillespie Two Bass Hit, dont nous entendons ici quatre conceptions différentes variant selon l’instrument soliste. La seconde face débute par Django  que John Lewis a écrit à la mémoire de Django Reinhardt. C’est certainement le morceau le plus intéressant du disque car cette œuvre dépasse le cadre habituel du jazz, tout en gardant une atmosphère de jazz, comme seul avait su le faire avant lui Duke Ellington dans ses suites ; mais si Ellington réalise ses œuvres sur le plan orchestral et même vocal, Lewis a, à sa disposition des moyens plus limités ce qui nécessite une plus grande concision d’expression. Si le déroulement de la ligne de basse et la composition des accords veut peut-être évoquer dans le lointain Bach ou Mozart, le résultat me fait penser plutôt à certaines mesures de Mendelssohn. Après l’exécution du thème, très lent et résolument en mineur, en entend sur tempo double un solo de Milt Jackson derrière lequel John Lewis joue une merveilleuse partie d’accompagnement enchaînant sur un solo exceptionnel d’imagination, de précision et de swing, qui aboutit au retour partiel du thème en forme de conclusion. One Bass Hit est une réduction du thème de Gillespie et Pettiford, jouée ici par Percy Heath qui fait des choses excellentes. Milano, enfin, est une très jolie ballade de John Lewis que Milt Jackson joue avec sensibilité tout au long. Kenny Clarke apporte à cet ensemble une parfaite assise rythmique avec cette percussion bondissante et rebondissante qui est une de ses qualités majeures. Raymond Fol, alias Fol

Sonny Rollins

Plus 4

Prestige

1956

L’album est enregistré sous le nom de Sonny Rollins, qui se montre formidable, mais c’est surtout Clifford Brown, qui allait mourir trois mois plus tard et dont c’est le dernier enregistrement officiel, qui nous émeut. On peut mesurer son évolution en écoutant les disques enregistrés à Paris en 1953, où il est déjà magnifique. Mais cette fois, il déploie véritablement ses ailes. Le terme de hard-bop semble réducteur pour décrire le mélange de délicatesse, de lyrisme, et de fougue qui caractérise ses solos. Ses phrases sont longues, d’une logique incroyable. Et en même temps vivantes, mouvantes, imprévisibles. Dans Valse Hot, composé par Sonny Rollins, il s’élève par paliers vers le soleil, comme un Icare dont les ailes n’auraient pas été de cire. Le début de son solo est vif-argent, allègre, explosif. Ensuite, en deux étapes marquées à chaque fois par un roulement de tambour de Max Roach, Clifford se désencombre de toute virtuosité pour toucher à la fin de son solo à la quintessence du lyrisme. Jean-François Mondot

Charles Mingus

Pithecanthropus Erectus

Atlantic

1957

Lorsqu’il entre en studio ce 30 janvier 1956 pour enregistrer le premier disque de son tout récent contrat avec la firme Atlantic, Charles Mingus est en pleine révolution esthétique. La musique captée sur le vif au Café Bohemia de Greenwich Village quelques semaines plus tôt en atteste déjà admirablement, dans laquelle le contrebassiste expérimente pour la première fois sa nouvelle méthode de “composition spontanée”, qui un peu sur le modèle du premier Duke Ellington, tend à faire participer activement les solistes à l’élaboration collective de la forme. Mais c’est sans conteste avec ce premier grand chef-d’œuvre de sa discographie, et surtout l’extraordinaire thème qui lui donne son titre que Mingus va trouver sa voix. D’un coup, à la tête d’un orchestre en grande partie remanié (Jackie McLean à l’alto, J.R. Monterose au ténor, Mal Waldron au piano), le contrebassiste, compositeur, acteur et metteur en scène de son petit théâtre baroque, invente une musique lyrique et éruptive. Se mettant soudain à jouer avec la durée en des formes mouvantes et évolutives, elle se fait tour à tour descriptive, abstraite et narrative. En réintroduisant l’homme au centre de son dispositif, en laissant sa musique se déployer à la mesure des qualités propres à chaque musicien (l’acidité de McLean, le pointillisme de Waldron…), Mingus remonte aux sources du jazz, et ouvre sur l’avenir : le free jazz saura faire fructifier cette leçon de liberté. Stéphane Ollivier

Duke Ellington

Newport 1958

Columbia

1958

Gare aux confusions (titre et pochette) avec “Newport 1956” ou même avec “Live In Newport 1958”, double album qui se flattait de restituer la totalité du concert de 1958. Comme pour la captation “live” de 1956, Duke Ellington s’était montré réservé à l’écoute du nouveau répertoire qu’il avait présenté au Festival de Newport lors de la soirée du 3 juillet programmée en son honneur. Aussi, en avait-il réenregistré une partie en studio (avec faux applaudissements). Lorsque j’ai acquis ce double CD “Live”, je n’ai pas reconnu ce qui m’avait conquis lorsque, encore pré-adolescent, j’avais découvert dans la discothèque de ma mère l’édition Philips 25cm dans la collection Jazz Pour Tous dirigée par Boris Vian. De nos jours, préférez l’édition Mosaic Records. Que des pièces inédites rarement reprises, dont ce formidable tour table des trompettes sur El Gato, ces bouffées de tendresse qui se succèdent de chorus en chorus tout au long du solo de Paul Gonsalves sur Happy Reunion, l’invitation passée à Gerry Mulligan pour une conversation pleine de mutuelle déférence avec Harry Carney,celle pleine d’humour réservée à la trompette de Shorty Baker et au violon de Ray Nance, etc. Franck Bergerot

Ran Blake / Jeanne Lee

The Newest Sound Around

RCA

1962

Ran Blake a 27 ans, Jeanne Lee 23, ils sont inconnus du monde du jazz, et enregistrent ce premier album chez RCA, en duo, sans rythmique : “The Newest Sound Around”, l’immense culot de la jeunesse et d’une naïveté diaboliquement intelligente. Ils auraient pu l’appeler The Newest Silence Around tant la réussite tient aux trêves, aux suspens, aux battements muets qui les séparent. Une syllabe suffit pour reconnaitre la voix de Jeanne Lee, avec ce sourire grave qui l’éclaire. Tranquille et murmurante, sensuelle et douce, son charme hypnotique opère immédiatement quand elle s’étire avec cette langueur narquoise, sans pesanteur au-dessus du piano. Le clavier de Ran Blake ne ressemble à aucun autre sinon peut-être à son lointain cousin Paul Bley : arpèges déchirés, harmonies dissonantes qui se résolvent parfois dans un si simple accord, marches rythmiques qui arpentent des échelles imaginaires, et surtout un jeu de toucher et de pédales qu’il ne fait qu’explorer à l’époque, des résonances et harmoniques étranges qui évoquent plus Bernard Hermann que le jazz. Un répertoire composite de standards très connus (Laura, Blue Monk, Summertime, Lover Man), et de perles qui font rêver : Season In The Sun (avec la basse rebondissante de George Duvivier) que pas un musicien ne peut reprendre tant cet enregistrement le marque d’un sceau original, vous fait rêver d’amours naissantes et de plages désertes. Yvan Amar

Great Dance Bands Of The 30’s

Woody Herman, Jimmy Dorsey, Bob Crosby…

Brunswick

Extrait de Jazz Magazine n° 91, février 1963

Quelque chose a changé :  voici quinze ou vingt ans, l’amateur authentique eût rougi (ou tremblé) de prêter une oreille complaisante à Glenn Miller ou à Jimmy Dorsey. Mais aujourd’hui, paradoxalement, on ne voit pas qui, en dehors du même amateur authentique, pourrait s’intéresser à ces reliques de la variété américaine. Aux mécontents éventuels, le titre de cette petite anthologie oppose d’ailleurs l’honnêteté relative de l’éditeur, qui s’est borné, pour tout superlatif, à décorer d’une photographie d’orchestre noir la pochette d’un disque entièrement dévolu à quelques formations blanches d’une époque en somme heureuse et attendrissante. Voilà effectivement la musique des Américains bien tranquilles du samedi soir, quand rien ne laissait présager la proximité de Pearl Harbour et de Thelonious Monk.

Des messieurs bien peignés, en smoking blanc, s’installaient confortablement derrière leurs pupitres, entre les plantes vertes de quelque Waldorf Astoria, et des couples peu différents de ceux qui évoluent dans les films de Frank Capra – ou des Marx Brothers – accommodaient sans mal les battements de leurs cœurs aux syncopes paisibles et aux harmonies sans surprise des émules de Benny Goodman. Car tout de même la Swing Era battait son plein, et de sa frénésie éventée, l’on s’aperçoit qu’une certaine fraîcheur a subsisté dans les sillons les plus ingrats. Sans doute, dans le même temps (les gravures de ce recueil s’échelonnent de 1936 à 1941), Count Basie, Duke Ellington et Jimmie Lunceford construisaient un monde sonore qui reste tout entier à l’abri des années. On ne trouvera dans aucune de ces plages l’équivalent du swing de Cheatin’ On Me, de l’allégresse de Panassié Stomp, ni trace des recherches qui allaient s’épanouir avec Ko-Ko et le Concerto For Cootie, ni à vrai dire quelque flagrante nécessité d’expression musicale. Destinées à la consommation immédiate, les productions de ces dance bands demeurent sagement en-deçà de ce qui définit pour nous une véritable œuvre de jazz. Mais on ne saurait sans injustice leur dénier toute qualité, notamment une exécution en général impeccable d’arrangements sans prétentions, rythmiquement efficaces et qui souvent n’ont pas plus mal vieilli que ceux de Fletcher Henderson ou de Benny Carter ; un swing discret mais certain, tantôt léger avec The Casa Loma Orchestra, tantôt plus appuyé avec Jimmy Dorsay, plus bondissant avec Bob Crosby chez qui le batteur Ray Bauduc fait honneur à sa réputation.

L’impression d’uniformité qui se dégage cependant de cette confrontation inusuelle n’est pas elle-même sans avantage : elle aide à mieux comprendre le climat dans lequel s’est affirmée, dans le désert confortable de la standardisation, la personnalité sans concessions des grandes formations noires, et à prendre conscience plus clairement du fait global que constitue en tout état de cause le middle-jazz. Si, sur le plan phonographique, nous nous référons volontiers aux innombrables réussites des petits ensembles de studio, ainsi qu’aux principales œuvres orchestrales de Duke Ellington ou de Count Basie ne sommes-nous pas tentés d’oublier cette richesses a été largement favorisée par le foisonnement des grands orchestres réguliers, pépinières de musiciens où quotidiennement s’est élaboré s’est élaboré et perfectionné, en contact direct avec le public, ce style équilibré qui pouvait triompher également au Savoy Ball Room et à Carnegie Hall ? Pour modeste qu’elle soit, la contribution des orchestres blancs à cette phase capitale de l’évolution du jazz est loin d’être négligeable, et très opportunément cet album nous le rappelle. Il convient néanmoins de le considérer comme la moitié d’un diptyque dont le second volet, dispersé au hasard des catalogues, nous permettrait d’écouter le meilleur des orchestres de danse noirs de la même époque. Ainsi l’amateur de bonne foi et en mal d’authenticité aurait-il une idée exacte du contexte mineur où s’est développé le langage d’un Count, d’un Duke, voire d’un Dizzy ou d’un Woody Herman qui, en 1938, n’aurait certainement pas su prévoir sa propre apothéose en compagnie des Four Brothers. En dépit de leurs insuffisances (l’absence de tout soliste d’envergure en particulier), le classicisme anonyme et un peu exsangue de ces dance bands conserve un reflet agréable de l’époque brillante à laquelle la plupart d’entre eux n’ont pas survécu. Les écouter sans préjugé, ce n’est certes pas risquer le bouleversement de nos valeurs, mais l’occasion de leur donner une assise plus large et plus objective. Jacques Réda

Le 29 janvier au Studio de l’Ermitage, le pianiste Guillaume de Chassy, le vocalchimiste André Minvielle et la saxophoniste Géraldine Laurent réenchanteront l’œuvre du Fou Chantant pour notre plus grand bonheur.

Le pari aussi ambitieux que risqué que Guillaume de Chassy s’était lancé avec l’album “Trenet en passant” (publié sur le label La Complexe Articole de Déterritorialisation) est une réussite totale : avec André Minvielle au micro et Géraldine Laurent au saxophone alto, le jardin extraordinaire (qui ne se souvient de cet air parmi les plus célèbres de Charles Trenet ?) du grand chanteur français swingue comme jamais. Ce disque, récompensé d’un Choc Jazz Magazine cet été, le trio le présentera au Studio de l’Ermitage le 29 janvier prochain. Rendez-vous est donc pris dès 20h au club du 20ème arrondissement de Paris pour vivre de près cette musique dont notre chroniqueur Pascal Anquetil avait souligné toute la richesse : « Guillaume de Chassy apprivoise avec finesse l’âme du poète, dévoilant que, derrière le vernis de la légèreté, le troubadour des bonheurs enfuis et de l’enfance volée dissimule, entre noirceur et candeur, gaieté et gravité, ses gouffres intimes.« .

Photos © Jeff Ludovicus

Réservez dès à présent en cliquant ici !

De retour avec un album longuement mûri, le pianiste et son trio, entre simplicité et profondeur, ont trouvé un langage à l’épreuve du temps. Ils le présenteront au Studio de l’Ermitage le 3 décembre.

Voilà huit ans que ce pianiste israélien était élu Révélation de l’année 2017 dans nos pages. Ce pourrait être long en cette époque où des personnalités peuvent surgir à une vitesse effrayante de l’anonymat et s’imposer dans l’actualité, pour en disparaître parfois aussi vite. Mais c’est bien peu pour atteindre le niveau de sophistication et de raffinement dont fait preuve son trio sur “Shapes & Sounds” (Jazz & People), Choc dans notre tout dernier numéro. L’écart temporel entre le moment où il s’est fait remarquer dans le groupe du trompettiste Avishai Cohen, son entrée au catalogue du label ECM de Manfred Eicher, sur lequel il sortait son premier album “Joys And Solitudes” en 2019, est audible : il se traduit par une profondeur sonore inédite. “Shapes & Sounds” semble ainsi poursuivre l’histoire qu’il avait commencé à raconter avec “Joys And Solitudes”, le pianiste et les membres de son trio, le bassiste Yoni Zelnik et le batteur Donald Kontomanou allant à contre-courant de beaucoup de trios modernes en assumant leur son de groupe sans pareil, qui évoque parfois, comme l’indique son titre, quelque chose de presque graphique, la pureté d’une forme débarrassée du superflu. A disque événement, concert immanquable : les prochaines pages de leur histoire s’écriront sur scène, à l’Ermitage d’ici quelques jours !

Réservez ici pour ce concert événement le 3 décembre, 20h30, au Studio de l’Ermitage à Paris !

La rencontre au sommet de ces deux légendes de la guitare blues en 1983 est rééditée avec le plus grand soin en CD et en LP par Craft Recordings.

On n’oserait presque pas vous faire l’affront de vous répéter ce qui a déjà si souvent été dit sur cette collaboration de rêve, qui de toutes celles qui jalonnent l’histoire du blues reste l’une des plus brûlantes et mémorables. Voilà enfin rééditée dans les règles de l’art cette session de 1983, enregistrée alors que SRV ne s’était pas encore couvert de gloire pour sa participation à l’album “Let’s Dance” de David Bowie, et qu’Albert King, déjà entré dans la légende malgré une reconnaissance jugée insuffisante par ses admirateurs, était encore au sommet de son éloquence.

Depuis quelques années, Craft Recordings multiplie les rééditions, en LP et/ou en CD, de grands disques historiques avec tout le soin qu’ils méritent, tant au niveau de la qualité du son que de l’attention portée aux pochettes, et c’est un plaisir que de (re)découvrir “Albert King With Stevie Ray Vaughan / In Session”, publié à l’origine sur le label Stax, aussi bien traité.

Si le LP reprend le tracklisting des 7 morceaux de la première édition de 1999, la version 2 CD propose elle l’intégralité des pistes enregistrées le 6 décembre 1983 aux CHCH Studios d’Hamilton, dans l’état de l’Ontario, qu’on n’avait découvertes qu’en 2010 à l’occasion de la sortie du DVD, avec trois plages supplémentaires mais qu’on vous recommande de ne surtout pas rater : Born Under A Bad Sign, I’m Gonna Move To The Outskirts Of Town et le célèbre Texas Flood de SRV. Ici, pas de DVD (vous devriez pouvoir en trouver assez facilement des extraits sur la toile), mais le livret, à la pagination généreuse (15 pages) comprend les textes qui agrémentaient l’édition originale de 1999 et la réédition de 2010.

La qualité de la musique se passe de commentaire, mais l’entente qui règne entre les deux hommes laisse pantois, qui se prolonge dans leurs discussions entre les morceaux préservées par le montage, tandis qu’ils sont accompagnés d’une section rythmique à la hauteur de l’événement (Gus Thornton, basse, Michael Llorens, batterie, Tony Llorens, piano et orgue). Pour la qualité du travail éditorial et celle de la musique, toujours aussi forte qu’au premier jour (ou comme le disait Albert King lui-même : « The blues don’t change ») cette réédition est des plus recommandables ! Yazid Kouloughli

Le contrebassiste Omer Avital, le pianiste Aaron Goldberg et le batteur Ali Jackson, alias The Yes ! Trio, sont en pleine tournée européenne avec trois dates françaises : au Jazz’n’Klezmer Festival le 17, au New Morning le 19, et à la Coursive à la Rochelle le 22. L’occasion de leur faire raconter leur rencontre et comment ils ont développé les liens fraternels qui font la force de ce triangle d’or.

Photo © Frank Stewart

Aaron Goldberg Je suis arrivé à New York depuis Boston en 1991 pour étudier à la New School For Jazz & Contemporary Music, qui n’existait que depuis cinq ans. La “New School” était vraiment nouvelle ! L’idée c’était de créer un environnement “semi-académique”, où la tradition orale du jazz serait encore enseignée dans l’esprit du mentorat d’avant, par des maîtres du jazz qui venaient enseigner mais qui jouaient et tournaient. Ça me semblait génial quand j’étais jeune, je voulais apprendre avec mes héros que j’écoutais sur disques, et c’est à New York qu’on les trouvait. Omer avait dû se dire la même chose, il est venu d’Israël en 1992. Moi je ne savais même pas qu’il y avait du jazz en Israël à vrai dire… Il était venu avec le bassiste Avishai Cohen et Avi Lebovich, un super tromboniste, et on s’est tout de suite mis à jouer ensemble. Ali je l’ai rencontré lors d’une audition. Il était avec un jeune pianiste, Carlos McKinney, habillé super classe, très impressionnant, qui avait déjà son propre groupe alors que j’étais tout seul. Sonbatteur, c’était Ali, qui devait avoir 16 ans à l’époque. On est vite devenus amis. Je ne sais plus quand on s’est revus après ça…

« Jimmy Cobb enseignait l’“analyse rythmique” à la New School – en gros il se mettait à la batterie et il se mettait à swinguer ! »

Ali Jackson Février ou mars 1991 peut-être ? On s’est mis à jouer tous les trois pour de vrai à partir de 1993, quand je suis arrivé à New York “officiellement”. Ma rencontre avec Aaron et Omer, c’était la première fois que je rencontrais des gens de mon âge vraiment sérieux à propos du jazz à New York. On n’avait pas internet, les réseaux sociaux, il fallait aller à New York et faire ses preuves. C’était plus compétitif aussi, parce que maintenant les gens disent « on fait notre propre truc ! », ce qui compte c’est le nombre de followers qu’on a, ce n’est plus une question de capacités musicales. Toujours est-il que ces deux gars-là avaient un talent naturel et ils étaient travailleurs en plus de ça. J’ai eu beaucoup de chance de les rencontrer.

Omer Avital On s’est mis à jouer ensemble au Small’s à l’été 1994 ou 95. Je suis arrivé en 1992, Aaron était déjà à New York et il swinguait terrible, et comme lui je voulais étudier avec les meilleurs, Reggie Workman, Arnie Lawrence, l’un des fondateurs de la New School, dont l’idée était de réunir tous ses amis dans cette école, Cecil McBee, ou Jimmy Cobb qui enseignait l’“analyse rythmique” – en gros il se mettait à la batterie et il se mettait à swinguer ! Andrew Cyrille, Joe Chambers… On a eu la chance d’avoir cet aperçu de l’âge d’or. Mais la première fois que j’ai entendu Aaron et Ali, il s’est passé un truc tout de suite, ils avaient un son qu’on n’oublie pas et on s’est bien entendus. On a fait notre première tournée européenne ensemble, et c’est là, vers 20 ans, qu’on a vraiment commencé le trio.

Aaron Goldberg Ça fait trente ans ! On mangeait des Cheeseburgers Deluxe avec des frites tous les jours, des gâteaux de riz à la cannelle. C’était une époque incroyable à New York, on allait écouter Mulgrew Miller, Hank Jones, Tommy Flannagan, Cear Walton, Freddie Hubbard, Joe Henderson, Betty Carter…

Omer Avital Vers 94-95, le Small’s a ouvert, et on s’y est tous retrouvé, c’était un peu le nouveau centre de gravité de la ville. Tout le monde venait. On y jouait toutes les semaines. Mon premiers gig en tant que leader c’était avec Myron Walden et Greg Tardy. C’était en septembre 1995, et c’était mon gig de 2 heures du matin. Aaron, qui était mon pianiste, avait fait une sieste et ne s’était pas réveillé… On a joué sans lui et ça marchait plutôt pas mal ! J’avais un autre engagement tous les jeudis de 3 à 5 heures du matin, pendant des années ! Mais au fil du temps, avec Aaron et Ali, on a commencé à développer notre langage, et je crois qu’on a toujours ce truc qu’on avait au début, cette magie qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Il faut la nourrir et franchir plein d’obstacles mais c’est un vrai cadeau.

Aaron Goldberg On ne savait pas ce que le futur allait nous réserver, on est tous plus mûrs aujourd’hui, mais ce qu’on a aimé chez les uns et les autres est toujours là.

Ali Jackson C’est beaucoup une question d’équilibre. Omer, par exemple, a développé un superbe jeu de contrebasse très lyrique, plus proche de celui d’un saxophone que d’une basse, mais pour que ça marche, souvent je dois simplifier ce que je joue derrière lui. Si l’un de nous joue vite, un autre joue lentement… Ce trio n’est pas un trio de piano traditionnel, parce que les rôles sont distribués de façon assez différente, la mélodie peut être confiée à n’importe lequel de nous trois par exemple. On essaye toujours de trouver de meilleurs moyens d’aller à l’essentiel pour raconter notre histoire à travers la musique. Au micro : Yazid Kouloughli

Album Yes! Trio « Spring Sings » (Jazz & People, Choc Jazz Magazine)

Réservez vos places pour aller voir le Yes! Trio :

Le 19 novembre au New Morning (Paris)

Le 22 novembre à La Coursive (La Rochelle)