Roy Haynes vient de nous quitter à 99 ans. En 1967, Jean-Louis Ginibre, spécialiste des entretiens à bâtons rompus, avait tendu le micro au grand batteur. Cette interview est parue dans notre n°138 de janvier 1967.
Photo d’ouverture © X/DR
JEAN-LOUIS GINIBRE Roy Haynes, lorsque l’on entend jouer aujourd’hui certains jeunes batteurs comme Tony Williams, on sent l’influence que vous avez exercée sur eux. Qu’en pensez-vous ?
ROY HAYNES Lorsque j’entends des jeunes batteurs jouer quelque chose que j’ai joué ou que j’ai essayé de jouer, je suis heureux. C’est un compliment qu’ils m’adressent. Je ne sais pas s’ils le comprennent, mais, moi, je prends ça pour un compliment. Cependant, il y a des gens qui entendent jouer un batteur (Tony entre autres) et qui ne comprennent pas d’où ça vient ! Et ces gens-là se prétendent amateurs ou musiciens de jazz ! Incroyable, n’est-ce pas ?
Avez-vous eu, vous-même, des élèves batteurs ?
Quelques-uns. J’ai essayé de donner des leçons mais je ne suis pas un bon professeur. Lorsque l’on enseigne, pour encourager les élèves à revenir il faut savoir manœuvrer. En effet, si l’on est sincère, si on ne leur cache rien, ils n’ont pas besoin de venir longtemps. Ils comprennent ce que vous avez à leur apprendre très rapidement. Surtout les jeunes d’aujourd’hui qui savent tout ! C’est une des raisons pour lesquelles je ne donne pas de leçons, l’autre étant mon manque de patience.
Lorsque vous avez quitté Boston pour venir à New York, avez-vous rencontré de nombreuses difficultés pour trouver du travail ?
En fait, Luis Russell m’avait envoyé un billet de train pour que je le rejoigne à New York. Donc, en arrivant, j’avais du travail. Je suis resté un an dans cet orchestre, puis j’ai voulu avoir ma carte syndicale du Local 802 et travailler dans la 52ème rue. Mais je suis vite revenu chez Russell où j’avais un travail stable…
Avec Russell, vous avez enregistré une vingtaine de titres pour Apollo et Manor en 1945 et 1946. En 1947, on retrouve votre nom sur les disques Aladin et Savoy, aujourd’hui célèbres, de Lester Young…
Oui, de 1947 à 1949, J’ai travaillé avec Lester Young. A l’époque, j’étais très jeune, musicalement surtout. Ce furent deux années enrichissantes. Les disques que nous avons enregistrés, je ne m’en souviens pas. Je ne les possède même pas. Je suis incapable de vous dire aujourd’hui si j’y joue bien ou si j’y joue mal.
Pourquoi avez-vous quitté Lester Young en 1949 ?
C’est plutôt lui qui m’a quitté ! Norman Granz l’a engagé dans son “Jazz at the Philharmonic” et je me suis retrouvé en chômage. Heureusement ça n’a pas duré : j’ai immédiatement travaillé avec d’autres musiciens.
Avec Kai Winding…
Oui. Ce fut une période très intéressante car nous travaillions sur la 52° rue. J’étais inspiré par tout ce que j’entendais. C’était différent… Curly Russell était à la basse… Après Kai, j’ai joué avec Miles Davis, puis avec Charlie Parker.
Regrettez-vous cette période de l’apogée du be-bop ?
Je ne regrette aucune période de ma vie. Chacune a eu son intérêt, ses moments heureux…
La période au cours de laquelle vous avez travaillé avec Sarah Vaughan fut-elle particulièrement agréable ?
Avec Sarah Vaughan je suis resté cinq ans ! Sur le plan financier, j’avoue que c’était intéressant parce qu’elle travaillait toute l’année, à part cinq semaines en été au cours desquelles elle se reposait. J’ai passé avec elle cinq années agréables et intéressantes. Surtout lorsque nous sommes venus en France. C’était il y a douze ans ! J’ai enregistré avec des musiciens français et j’ai eu la chance d’avoir ma photo en couverture d’un magazine de jazz (Jazz-Hot) ! Ça ne m’était jamais arrivé avant ! Et ça ne m’est jamais arrivé depuis, même dans mon propre pays. Les plus grands éloges, d’ailleurs, m’ont toujours été décernés par des critiques européens.
Dans Shulie-a-bop de Sarah, qui a eu l’idée de l’annonce « Roy… taratata… Haynes » ?
Je crois que c’est Sarah. Elle annonçait ses musiciens et c’est venu comme ça. C’est vieux, vous savez, presque quinze ans…
Vous avez joué avec [Charlie] Parker, [Thelonious] Monk, [John ]Coltrane, Sarah Vaughan, Miles Davis, Stan Getz, etc. Quel est, parmi tous ceux avec qui vous avez travaillé, votre leader favori ?
Je n’ai pas de leader favori. J’ai appris de chacun quelque chose de nouveau. J’ai travaillé avec Bud Powell, Lennie Tristano, George Shearing (où j’ai remplacé Philly Joe Jones)… J’ai travaillé avec le grand orchestre de Louis Armstrong pendant une semaine en 1946. Je ne me souviens pas de ce que j’ai appris avec lui, mais j’ai sûrement appris quelque chose. J’ai joué avec Eric Dolphy, Andrew Hill. J’ai joué avec Ornette Coleman (mais je n’ai jamais travaillé avec lui). J’ai accompagné Stan Getz en 1950 et 1951. J’ai enregistré avec lui et, chaque fois, c’est différent. Je continue d’apprendre chaque jour, musicalement et humainement. Mais, pour répondre à votre question, je dois dire que Monk s’impose à mon esprit… bien que je n’aie travaillé que pendant dix-huit semaines avec lui, au Five Spot et à la Jazz Gallery.
Charlie Parker exigeait-il un jeu particulier ? Vous indiquait-il comment jouer pour lui ?
Il ne m’a jamais dit ce que je devais faire et j’en suis fier. Ce n’est pas comme un autre musicien qui continue de me dire ce que je devrais faire et comment je devrais jouer. Mais je ne puis vous dire son nom…
Stan Getz ?
Je vous fais remarquer que je n’ai pas prononcé ce nom. A vous d’interpréter mes paroles… En tout cas, ni Monk, ni Lester ne m’ont jamais indiqué une façon particulière de jouer. Avec eux, j’étais complètement libre. Bien sûr, si le leader a en tête un jeu de batterie un peu spécial, différent, j’essaie de le satisfaire dans la mesure où ça ne nuit pas à mon style général. Sinon, je refuse.
Il y a trois ans, vous avez remplacé Elvin Jones auprès de John Coltrane plusieurs semaines durant…
Oui. Elvin était indisposé et indisponible. Ça a duré quelques semaines, une dizaine, je crois.
Vous dirigiez votre propre groupe à l’époque…
Oui et j’ai dû annuler plusieurs engagements dont le Half Note. J’ai commencé avec Coltrane à un moment où mon groupe ne travaillait pas. Puis, j’ai dit à Coltrane de trouver un autre batteur. Il en a essayé quatre, parmi lesquels certains très célèbres, qui n’ont joué qu’un soir : ils ne correspondaient pas à ce qu’il attendait d’eux. Finalement, j’ai annulé mes engagements pour retourner avec lui. Je suis resté jusqu’à ce qu’Elvin revienne. J’ai beaucoup aimé l’expérience Coltrane ; lui non plus n’a pas essayé de me conseiller : il m’a laissé totalement libre. De cela aussi, je suis très fier…
Vous n’avez formé votre propre groupe qu’assez tard…
Oui. J’ai organisé mon premier groupe il y a cinq ou six ans, après quinze ans de professionnalisme. C’était un trio dont les deux autres musiciens étaient Phineas Newborn et Jamil Nasser qui s’appelle aussi George Joyner. A New York, j’ai eu, juste pour un soir, Sonny Rollins et Kenny Dorham ; plus tard Hank Mobley et Curtis Fuller. Celui qui est resté le plus longtemps avec moi, c’est Frank Strozier. Pendant trois ans nous avons travaillé ensemble à Chicago, Detroit, Boston, New York et sur la West Coast. Il a joué pendant quelques semaines avec Miles puis il est revenu avec moi.
Maintenant, il joue à Hollywood avec Shelly Manne. Chaque fois que je dirige un groupe, je suis fier des musiciens que j’emploie. Ils sont toujours excellents. Mais c’est difficile de les garder car d’autres leaders leur font des propositions. Eric Dolphy a travaillé avec moi mais, comme je n’avais pas assez d’engagements, il est allé avec Coltrane. Moi-même, j’ai dû abandonner mon poste de leader parce qu’il semble que je n’intéresse pas grand monde. Vous comprenez, j’ai une femme, trois enfants, une maison : je ne peux pas vivre de promesses. Et puis, à la tête de mon groupe, je n’obtiendrai jamais une tournée d’universités par exemple. Getz le peut, lui. Alors il vaut mieux que je joue avec Stan car, ainsi, les jeunes pourront écouter Roy qu’ils ne connaissent pas. Il faut sans cesse agrandir son public, il faut conserver en vie son propre nom. C’est une lutte.
Pensez-vous être sous-estimé ?
Je connais beaucoup de musiciens qui sont surestimés. Comparé à ceux-là, je suis sous-estimé mais je ne veux me comparer à personne. Je suis un individualiste. Je veux jouer ma musique et gagner assez d’argent pour vivre comme j’en ai envie.
Quels sont ces batteurs surestimés, à votre avis ?
Je ne puis me permettre de les nommer. Mais, parmi les batteurs, il y a beaucoup de bluffeurs… Et vous, pourriez-vous me dire quel est, selon vous, le batteur le plus sous-estimé ?
Frank Butler…
Vous avez entièrement raison. Son jeu est naturel, pur.
Aimez-vous la bossa-nova ?
Je l’aime bien parce que je ne la joue pas comme on la joue habituellement. J’ai ma façon propre de la jouer que je préfère à tout autre ! D’ailleurs, je veux jouer du Roy Haynes maintenant et toujours.
Lorsque vous étiez enfant, qui admiriez-vous ?
J’admirais Jo Jones mais, déjà à cette époque, je voulais être Roy Haynes. J’ai aussi aimé Kenny Clarke et Shadow Wilson, mais je crois que je suis parvenu à devenir original à ma façon, assez vite d’ailleurs.
Au cours de ces vingt années de jazz professionnel, quel batteur vous a le plus impressionné ?
Quand j’étais gosse, j’admirais Jo Jones. C’est le seul batteur qui m’ait jamais impressionné. Ce qui n’empêche que j’admire et respecte un certain nombre de batteurs. Il y en a une dizaine que j’aime d’une manière égale :
Chick Webb, Sid Catlett, Jo Jones, Kenny Clarke, Max Roach, Art Blakey, Elvin Jones… J’ai peur d’en oublier un ou deux. J’aime aussi Philly Joe Jones mais un tout petit peu moins. Tous ceux que j’ai nommés ont de l’originalité. J’aime les gens qui ont un talent différent de celui des autres…
Travaillez-vous beaucoup la technique ?
Non. Je ne travaille mon instrument que lorsque je joue en public ou en studio. En dehors de cela, je travaille mentalement. Je me mets en condition, je pense à des figures rythmiques, etc. Quand j’avais seize ans, j’étais un musicien d’avant-garde comparable à ceux que nous entendons aujourd’hui. Je jouais sans tempo ou à côté du tempo. Petit à petit, j’ai appris à jouer un solo basé sur 32 mesures. J’ai appris à phraser. C’est ainsi que j’ai manqué une belle carrière !
Vous n’avez pas l’air d’aimer la “new thing”…
Je n’ai rien à ajouter. Je préciserai simplement qu’il y a peut-être, parmi ces musiciens d’avant-garde, des gens qui savent jouer un tempo. Du moins, je l’espère sincèrement.
Pensez-vous que Lennie Tristano, avec qui vous travaillé, soit encore un musicien d’“avant-garde” ?
Il l’a toujours été. Il joue “free” depuis très longtemps. Mais je n’aime pas les mots “free”, “avant-garde”, “new thing”…
Alain Gerber a écrit de vous, dans Jazzmag, que vous étiez fait pour l’aventure. Qu’en pensez-vous ?
Je n’y avais jamais pensé mais je crois que c’est très vrai. J’aimerais rencontrer ce garçon. Son article est plein de choses très justes que jamais un critique américain n’aurait comprises. Vous avez de la chance.
Vous avez enregistré, sous votre nom, quatre ou cinq albums pour Prestige, un pour Pacific Jazz et un pour Impulse. Quel est votre préféré ?
“Out Of The Afternoon” est celui qui s’est le mieux vendu. Mais, dans chacun des disques dont je suis responsable, il y a des passages que j’aime bien. Dans l’album Pacific Jazz, plus commercial que les autres, certains moments sont excellents. Et Frank Strozier y est formidable. Voilà un garçon qui me comprend mieux que ma femme : nous n’avons pas besoin de parler pour communiquer. C’est merveilleux. Il voudrait travailler de nouveau avec moi. Mais il est marié, il a un enfant et je n’ai pas le droit de lui demander d’abandonner Shelly Manne : je n’ai pas assez de travail à lui offrir.
Si vous aviez la possibilité de former aujourd’hui votre quintette, qui engageriez-vous ?
Des musiciens avec qui j’ai joué récemment. Un ténor qui s’appelle Bennie Maupin, le trompettiste Charles Tolliver et un bassiste du nom de Scott Holt. Ils sont tous de remarquables jeunes espoirs. Espérons simplement qu’ils pourront travailler et progresser sans moi.
Il est étonnant qu’à l’époque où vous étiez sans contrat, Alfred Lion de Blue Note ne vous ait rien proposé…
Ne prononcez pas ce nom devant moi ! J’ai enregistré pour Lion en 1949 avec Bud Powell. Puis, entre 1949 et 1959, ce qui fait dix années, je n’ai participé à aucune des sessions Blue Note. Chaque fois qu’un artiste Blue Note – Sonny Clark par exemple – désirait m’avoir comme batteur, Lion refusait. En 1959, Art Blakey a enregistré un disque a trois batteries. J’ai participé à l’enregistrement avec Philly Joe. Mais Lion a refait la séance sans moi et je crois qu’il n’a sorti aucune des plages où je figure. Finalement, il a été obligé de me prendre parce que beaucoup de musiciens me réclamaient, comme Jackie McLean ou Andrew Hill. Une autre anecdote : je voulais faire, pour Pacific Jazz, un disque avec Wayne Shorter et Charles Lloyd. Alfred n’a pas voulu me prêter Wayne, ce qui a fait échouer mon projet…
Haïssez-vous les contrebassistes en général ?
Non mais je dois avouer que, parfois, ils nous font souffrir, nous les batteurs. Certains jouent en avant du temps, d’autres en arrière. Il faut courir après les uns et tirer les autres. Mais beaucoup, heureusement, jouent le bon tempo et sont excellents.
Elvin Jones et Richard Davis, sont le batteur et le bassiste que l’on “s’arrache” à New York. Cependant, il y a entre eux une mésentente rythmique. Elvin joue au fond du temps, Richard Davis en avant…
C’est exact. Richard joue un peu en avant. Lorsqu’un problème de cet ordre survient, il faut s’adapter…
Bien sûr, ça nécessite un certain métier, une grande habitude.
Pour une poignée de critiques européens, vous êtes le meilleur batteur du monde. En êtes-vous fier ?
Bien sûr. Mais ils seraient bien déçus s’ils voyaient dans quelle chambre minable on a logé aujourd’hui celui qu’ils considèrent comme le meilleur ! On loge Joe Morello au Prince de Galles et moi dans un hôtel de la rue des Mathurins ! Pour coucher au Prince de Galles, il faut que je rouspète, que je proteste. Dans le fond, je crois qu’il faut agir comme Archie Shepp, LeRoi Jones ou [Charles] Mingus. Il faut crier, tempêter… et alors on obtient quelque chose. Je suis un artiste, je ne devrais pas avoir à m’occuper de cela. Je ne devrais pas avoir à rouspéter pour être logé dans le même hôtel que mes égaux…
En vingt ans de jazz, vous vous êtes exprimé à fond. Pensez-vous avoir encore beaucoup à dire ?
Oui, j’ai encore beaucoup à dire. Mon style le prouve, qui est resté identique tout au long de ma carrière.
Et il est de plus en plus populaire, plus qu’il ne l’a jamais été. C’est devenu le style contemporain de batterie.
Le célèbre arrangeur, producteur et trompettiste s’est éteint le 3 novembre. Il avait 91 ans.
Pour beaucoup, son nom est synonyme d’albums de pop légendaires et de grandes messes caritatives, mais bien avant de sublimer les talents de Michael Jackson sur ses plus grands albums ou de diriger la session d’enregistrement du fameux We Are The World, “Q” (comme ses proches le surnommaient souvent) avait été un infatigable trompettiste, arrangeur et leader de big band, un homme qui a dédié des années de sa vie corps et âme au jazz, dont il avait tutoyé les plus grands : Lionel Hampton, Ray Charles, Sarah Vaughan, Dizzy Gillespie…
Retiré des affaires ces dernières années, Quincy Jones n’en restait pas moins attentif à la relève, siégeant régulièrement à divers jury, accompagnant ceux en qui il voyait les dignes héritiers de cette tradition qu’il aimait tant, et nul doute qu’en plus de ceux des légendes de la musique, nombreux seront les hommages parmi les étoiles montantes qui voyaient en sa reconnaissance la preuve irréfutable de leur place dans le monde du jazz.
À l’occasion de la sortie de son nouveau CD “Following” et avant son concert le 15 novembre au Studio de L’Ermitage, Pedro Kouyaté a répondu à mes questions, inspirées par les grands entretiens que menait Jean-Louis Ginibre dans Jazz Magazine dans les années 1960, notamment avec l’un des héros de Pedro, Bill Evans. Au micro : Edouard Rencker
Pedro Kouyaté, quelle musique écoutiez-vous enfant ?
Mon père travaillait à la radio du Soudan, devenu le Mali. En Afrique, pour les pouvoirs publics comme pour la population, la radio est le média majeur, les yeux du peuple. Donc j’écoutais tout, et tous les disques que me ramenait mon père : beaucoup de musique française, Charles Trenet, mais aussi Johnny Halliday, Sylvie Vartan, de la pop anglaise plus, forcément, de la musique malienne : Ballaké Sissoko, Ali Farka Touré…
Quelles sont vos principales inspirations ?
L’inspiration majeure pour moi est venue des instruments et des sons qui, justement, n’étaient pas maliens. Le saxophone, la trompette, le cornet, le piano, puis les synthés. Donc, j’ai beaucoup écouté Miles Davis, Bill Evans, puis Stevie Wonder, qui fut une véritable révélation avec tous ses sons électroniques. Mes influences étaient également visuelles : les photos incroyables de tous ces artistes me fascinaient. Je posais comme les musiciens sur les pochettes des vinyles, je mimais Miles, Coltrane… Dans mes chansons, il y a du souffle. C’est un hommage à Miles Davis. Mon père aussi jouait du saxophone. Ca m’a beaucoup influencé.
Pour vous, un concert réussi c’est quoi ?
Ça ne tient pas à grand-chose : c’est un concert où tu donnes dans la sincérité, tout ce que tu peux donner, sans retenue, sans attendre en retour. Tu partages. Et là, je suis heureux.
Pensez-vous témoigner de votre époque, notamment avec votre titre Sage-Femme ?
Je pense que la liberté appartient aux libres penseurs, aux conteurs, aux philosophes, aux écrivains, aux narrateurs. Moi, j’ai simplement un droit de regard. Le musicien à un droit de regard sur la société, sur son époque. Le titre Sage-Femme, c’est un jeu de mot destiné à saluer et remercier nos sœurs, nos mères, nos amies. L’humanité entière est née des mères, qui nous ont conçu, porté, enfanté. Merci à elles. C’est un vrai sujet de méditation pour tout le monde. Et je remercie spécifiquement ma mère qui m’a porté, protégé et élevé. Ce titre est un moment de paix consacré aux femmes.
Croyez-vous en une puissance supérieure ?
C’est une question très importante. Oui, je crois. Je ne suis qu’un “petit” élément constitutif d’un grand univers mais, néanmoins, la preuve de l’existence de l’homme sur terre. Pourquoi suis-je sur terre ? Pour quoi faire ? Dans quel but ? Ces sujets sont toujours complexes. J’ai souvent fait des appels… à l’univers, et on m’a souvent répondu. Je crois à la présence d’une force supérieure. Je ne sais pas où elle est, mais elle existe, j’en suis certain.
Lisez-vous beaucoup ?
Je lis, mais est-ce beaucoup ? Quand on aime, on ne compte pas. On lit pour voyager, pour apprendre, pour combler le manque, pour se rassurer, pour rire, pour se sauver, pour ne pas sombrer. Lire pour avoir une béquille. La lecture est une sorte de façon de cultiver son jardin secret. Ça participe également de l’apprentissage, et apprendre est une sorte d’humilité. Tu apprends ce que tu ne sais pas. C’est une leçon. Il y a également la part de l’autre dans la lecture. C’est pourquoi, il faut réserver des espaces spécifiques pour lire. Quand je lis, mon cœur bat autrement. J’aime lire
Avez-vous peur de vieillir ?
Pas du tout. C’est très intéressant de vieillir. D’ailleurs, chez nous on ne dit pas vieillir mais mûrir ! Le patriarche, le vieux n’existe pas dans la tête d’un Africain : on ne vieillit pas, on devient sage. La vie n’est que transformation. Un bébé dans le ventre de sa mère se transforme tous les jours. C’est pareil par la suite. L’homme se transforme tous les jours. D’ailleurs, on devrait fêter son anniversaire tous les jours. Je passe ainsi sur la rivière de la vie. Avec mon âge, la question est de plus en plus intéressante. La vie est un fleuve. Ce qui est passionnant, c’est la capacité de s’adapter, de suivre ce le courant. On ne peut pas vivre avec tout le malheur du monde sur le dos. Il faut avancer. Tous les grands artistes ont été des passeurs et ont accompagné, comme ils le pouvaient, la vie : Picasso, Bernard Buffet… Les grands acteurs Lino Ventura, Jean Gabin, François Truffaut tous ont été de grands amoureux de la vie. La vie c’est l’eau, la terre, le feu.
Pedro Kouyaté en concert le 15 novembre au Studio de l’Ermitage, et bientôt beaucoup d’autres dates à découvrir ici !
https://www.billetweb.fr/pedro-kouyate
En exclusivité pour Jazz Magazine, le pianiste et arrangeur révèle le secret des partitions stupéfiantes qu’il a concoctées pour le nouvel album du quartette de Pierrick Pédron, “The Shape Of Jazz To Come (Something Else)”, fondé sur le célèbre disque de 1959 d’Ornette Coleman.
Photo : Jean-Baptiste Millot
Jazz Magazine Est-ce que “The Shape Of Jazz To Come” d’Ornette Coleman était l’un de vos disques de chevet ?
Laurent Courthaliac J’avais acheté il y a des années le fameux coffret Atlantic Records dédié à Ornette et j’ai écouté souvent cette musique, sans avoir de préférence pour “The Shape Of Jazz To Come” en particulier. Mais j’ai toujours trouvé ce quartette très hip, et leur son est resté mystérieuse, comme si j’ouvrais la porte vers un autre monde. Quand je me plonge dans Charlie Parker ou Bud Powell, que j’ai beaucoup étudiés, j’ai l’impression d’entrer dans une horloge suisse très logique, d’une complexité infinie. A l’inverse, avec Ornette j’ai ressenti quelque chose qui était presque de l’ordre de la magie : quand on retranscrit les thèmes ou certaines phrases d’Ornette ou de Don Cherry, on a le sentiment que le sol se dérobe sous nos pieds. Je ressens la même chose avec la musique d’Andrew Hill ou de Thelonious Monk : je sens qu’il y a une façon de penser, un système, un langage et un son reconnaissables, mais il y a une attraction qui est difficilement explicable.
Quel a été votre point de départ pour réaliser vos arrangements sur cette musique sans piano ?
Par le passé, j’ai surtout étudié Monk, Bud Powell et Duke Ellington, et comme eux, Ornette est un joueur de blues. Je savais donc que je pourrais trouver une filiation. C’est le cinquième disque que je fais avec Daniel Yvinec et le troisième avec Pierrick, on se connaît donc bien et j’ai donc joué le rôle d’une sorte de cinquième membre du quartette de Pierrick. Dès le départ il s’agissait d’arranger pour ce quartette avec piano et de tout harmoniser. J’avais des sons en tête : j’ai notamment beaucoup réécouté le “Second Quintet” de Miles Davis avec Herbie Hancock au piano, mais aussi des albums de ce qu’on appelle la New Thing, les albums Blue Note d’Andrew Hill, certains disques de Jackie McLean, pour voir comment les pianistes se sont débrouillés avec cette musique où l’harmonie était devenue beaucoup plus libre, je voulais avoir une perspective côté historique pour travailler. Ce qui est très intéressant c’est que cette “avant-garde” se développe beaucoup vers 1963 mais Ornette, dont le disque est sorti en 1959, avait beaucoup d’avance.
Comment s’est passé le processus d’écriture proprement dit ?
Pierrick a commencé à relever des thèmes et des solos et m’envoyait ses transcriptions pour que je commence à chercher des idées. Je lui fais vraiment du sur-mesure : je sais exactement ce qu’il aime ou non, et quand il vient me voir c’est un peu comme s’il allait chez son tailleur. J’ai arrangé le disque dans l’ordre, en commençant par Lonely Woman qui est construit comme une chanson qui m’a permis d’aborder ensuite les morceaux beaucoup plus angulaires. Le premier accord donne le son général du disque. Je pouvais parfois trouver quelques accords pour les mesures 5, 6 et 7 d’un morceau alors que je n’avais rien pour le début ! Pierrick venait presque tous les après-midis chez moi pour essayer ce que j’avais écrit le matin-même et choisir parmi toutes les possibilités. Je pense que ça s’entend, ce n’est pas un disque qui s’est fait en 24 heures ! Pour Peace par exemple, je n’arrêtais pas d’écouter Filles de Kilimanjaro de Miles. Daniel Yvinec pouvait aussi me donnait des idées pour certaines sections sous forme de références à des disques qui allaient de Bill Evans à Kenny Dorham ou Branford Marsalis, que je suivais ou dont je m’écartais parfois. Il nous a permis d’avoir une autre écoute sur ce qu’on avait mis au point avec Pierrick, suggérant parfois de retirer des choses pour laisser respirer la musique.
Comment avez-vous aménagé les espaces de liberté au cœur de vos arrangements ?
Je me mets toujours à la place de quelqu’un qui aurait à jouer mes arrangements : je n’aimerais pas qu’on m’impose des choses en permanence. Je laisse donc, à côté de certains éléments précis auxquels je tiens, des mesures où seul l’accord est indiqué pour que les musiciens puissent choisir comment le jouer. Mon rôle d’arrangeur m’a aussi permis de proposer des accords très contemporains que je n’aurais pas forcément choisi pour ma propre musique, mais que j’ai dans l’oreille et dont je sais que Pierrick les apprécie : une autre influence de mon travail sur ce disque, c’est le quartette d’Immanuel Wilkins, où Micah Thomas, dont j’ai produit l’album “Reveal”, tient le piano. Pierrick et ses musiciens sont très respectueux de mon travail, et j’essaye de leur proposer des choses intéressantes. Sur chaque disque que j’ai fait avec Pierrick et Daniel, y a un titre que je n’arrange pas : on laisse les musiciens jouer librement dans le même son que celui des arrangements.
Que va-t-il vous rester de tout ce travail pour vos futurs arrangements ?
Je pense que ce sont les arrangements les plus originaux que j’ai faits jusqu’à présent et j’en suis très fier ! Je n’ai pas eu à relever le défi physique de Pierrick avec ses relevés au saxophone, mais il est clair que ça m’a apporté une ouverture d’esprit incroyable. J’ai toujours en tête cette idée qui boucle sur elle-même à l’infini : la seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règles. Cet album m’a encore plus fait comprendre que la musique, et le jazz en particulier, était un véritable mystère, que certaines choses ne s’expliquaient pas et qu’on pouvait s’en servir comme miroir pour explorer son mystère à soi. Avoir arrangé cette musique fait désormais partie de mon éducation, en tant qu’homme et en tant qu’artiste. Au micro : Yazid Kouloughli
Découvrez la chronique Choc de l’album du Quartette de Pierrick Pédron “The Shape Of Jazz To Come (Something Else)” (Continuo Jazz), et l’interview exclusive de Carl-Henri Morisset, Elie Martin-Charrière et Thomas Bramerie dans le n°766 de Jazz Magazine !
A l’occasion de la sortie du premier album de son groupe Photons, le pianiste s’est prêté au jeu du blindtest a tenté de reconnaître 8 morceaux enregistrés entre 1988 et 2023. Par ordre d’apparition : nom(s) d’artiste(s), titre du morceau, titre de l’album, label et année de parution. Aux platines : Fred Goaty & Yazid Kouloughli
Herbie Hancock featuring Jack DeJohnette
Alphabeta
Future To Future
Columbia, 2001
Un duo d’américains ? Ils ont joué avec qui ? Ça pourrait être Brian Blade à la batterie… [Après avoir été informé] Non, c’est Herbie aux claviers ?! Et Jack DeJohnette à la batterie ? Je ne connais pas du tout ce disque. [En regardant les notes de pochette] Il y a plusieurs fois Carl Craig à la production, Chaka Khan, Wayne Shorter sur un morceau… Je n’aurais jamais trouvé !
Ryuichi Sakamoto & Alva Noto
Uuon I
Vrioon
Noton, 2002
Je n’ai pas beaucoup écouté Ryuichi Sakamoto mais après son décès j’ai commencé à explorer un peu plus sa musique. Depuis mes débuts et mon premier album en trio “Unexpected Things”, on m’a souvent dit qu’il y a quelque chose de cinématique dans la musique je fais, et il excellait dans ce domaine. Ça me parle beaucoup !
Léon Phal
Last Call
Dust To Stars
Heavenly Sweetness, 2022
Ah oui, Last Call de Léon ! On se reconnaît tout de suite, surtout qu’on a énormément joué les morceaux de ce disque. J’ai une très bonne mémoire et je pense que je me reconnaitrais sur tous les disques sur lesquels j’ai enregistré. Ce disque a une importance symbolique : Léon et Zacharie [Ksyk, le trompettiste de Léon Phal, NDRL] sont mes potes d’école de Lausanne, on se connaît depuis 2011, on a habité ensemble, et c’est le premier groupe que j’ai eu qui a vraiment tourné. On a enregistré cet album pendant le Covid, la sortie n’a eu lieu qu’en 2021 pendant l’été où les musiciens français étaient les seuls à vraiment tourner, c’est là que j’ai appris à connaître les frères Belmondo qu’on croisait beaucoup, et on a énormément joué ce répertoire.
Frédéric Galliano
Espaces Baroques
Plis infinis n°4
F Communications, 1997
Ca pourrait être Jeff Mills avec ces programmations superposées… En tous cas c’est les années 1990 non ? Ce ne sont pas des Américains. C’est français ? [Après avoir été informé] Je ne connaissais pas. Ah il y a Stéphane et Lionel Belmondo sur le disque ! Ils m’ont parlé de ce musicien. J’ai situé très vite l’année parce qu’aujourd’hui on traiterait beaucoup plus les boîtes à rythme. A l’époque de ce morceau, c’était les boîtes à rythme Atari qui donnent tout de suite un côté années 1990, mais ce n’est pas rédhibitoire ! J’écoute Marshall Jefferson, ou J Dilla dans le hip-hop et j’adore ça. C’est d’ailleurs une période qui revient beaucoup à la mode. Très bonne découverte !
Raphaël Pannier
Take Peace
Letter To A Friend
French Paradox, 2023
Le son, la façon dont s’est enregistré : ça c’est récent ! C’est le batteur Raphaël Pannier ? Je reconnais Miguel Zenon et avec c’est… Acid Pauli ! J’ai entendu parler de ce disque. Ça m’avait intrigué que Raphaël Pannier fasse un disque avec ce producteur electro de Berlin alors qu’a priori ça n’est pas trop sa culture, le processus d’enregistrement avec des allers-retour entre les instruments acoustiques et le travail d’Acid Pauli est très intéressant. J’ai écouté une partie du disque et j’ai beaucoup aimé, déjà parce que Raphaël est un batteur monstrueux, et le résultat est super. Peut-être qu’il y a quelques années, un batteur comme lui ne serait pas allé vers les musiques électroniques…
Jungle Brothers & De La Soul
I’ll House You
Straight Out Of The Jungle
Idlers, 1988
C’est les années 1990 aussi ? [On précise que ces la fin des années 1980] Ça me rappelle beaucoup le “House Anthem” de Marshall Jefferson. Ce morceau me fait penser à la démarche qu’aura plus tard DJ Mehdi, et le documentaire que vient de lui consacrer Thibault de Longeville parle beaucoup de la façon qu’il a eu de casser les codes du rap et de l’electro, surtout en Europe où les clubbers ne savaient pas toujours que la house était une musique noire-américaine. Une partie de la musique que je fais vient aussi de morceaux comme celui-là.
Carl Craig
Televised Green Smoke
More Songs About Food And Revolutionnary Art
SSR Records
1997
Sa façon de programmer ses machines montre que le meilleur de la house, et même la très bonne techno, ça swingue de fou, et ça groove tout le temps ! Ça n’est pas que le kick qui m’intéresse mais aussi tout ce qu’il se passe autour. Il y a un côté très contemplatif dans cette musique. Ce ne sont pas des sons très “club”, c’est plus des choses qu’on entendrait dans le funk et la disco des années 1970.
Nils Petter Molvær
Framework 2
Stitches
BMG, 2021
Ça c’est européen, c’est sûr ! J’ai l’impression que ça n’est pas très récent d’après la production. C’est Nils Petter Molvær ? On a bossé ensemble avec For A Word, et on a joué sur scène avec lui à l’époque de la sortie de ce disque. Le Covid ne nous a hélas vraiment pas aidé, mais c’était génial, et j’adorerais collaborer de nouveau avec lui et faire de l’impro ensemble, lui avec sa trompette et ses effets et moi avec mes synthés. On verra !
Photo © Elisa Ramirez : Photons au grand complet, avec de gauche à droite Gauthier Toux, Julien Loutelier, Samuel F’hima et Giani Caserotto.
L’interview exclusive de Gauthier Toux sur son nouveau groupe Photons, ses amours electro et sa passion intacte du jazz, c’est dans le n°766 de Jazz Magazine, en kiosque dès maintenant et en vente sur notre boutique en ligne !
Jusqu’au 14 novembre, les grandes formations de France font leur traditionnelle rentrée avec un programme XXL. Suivez le guide !
Avec plus de 60 concerts de jazz et de musiques improvisées en France, en Europe et au delà, la scène des grands orchestres de France, qui comptent parmi les plus nombreux, créatifs et actifs au monde seront à l’honneur.
Parmi les concerts de cette rentrée très spéciale, un événement à retenir tout spécialement : trois jours immanquables à Nantes, dans les lieux emblématiques du jazz et des musiques créatives que sont le Pannonica, La Soufflerie et le Conservatoire de Nantes, avec des concerts de l’Acoustic Large Ensemble de Paul Jarret, du Moger Orchestra et de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, sans oublier en marge des événements live, des activités pédagogiques, des rencontres avec les professionnels du secteur, des jam sessions pour échanger librement et de nombreuses autres occasions de se retrouver.
D’ici là et par la suite, vous aurez forcément l’occasion d’assister à l’un des concerts de formations telles que L’Oeuf Big Band, Jean-Marie Machado Orchestre Danzas, FUR, Tous Dehors, Papanosh, Le Sonart, Q-Some Big Band, Discobole Orchestra, Magic Malik Fanfare XP, Fuchsthone Orchestra, Àbájade, The Very Big Experimental Toubifri Orchestra, et beaucoup d’autres à (re)découvrir dans les semaines à venir !
Toutes les informations pratiques et le calendrier des concerts jour par jour sur le site de Grands Formats à retrouver ici. Bonne rentrée !
Le 6 octobre au célèbre club parisien, un aréopage d’instrumentistes se réunissent rue des Petites Ecuries pour honorer la mémoire du grand guitariste qui nous a quittés le 13 mai dernier.
A partir de 19h, ce concert exceptionnel à l’initiative de Raphaël Escoudé, fils de Christian, et dont la coordination musicale a été est assurée par le guitariste Jean-Baptiste Laya, réunira des compagnons de route et des amis de Christian Escoudé. Sont attendus entre autre Philip Catherine, Stephy Haïk, Florin Niculescu, Sanseverino, Simon Goubert, Ludivine Issambourg, Anne Paceo, André Villéger, François Janneau, Hugo Lippi, Noé Reinhardt, Rocky Gresset,Boulou & Elios Ferre, Marcel Loeffler, Olivier Hutman ou encore Jean-Marc Jafet…
Photo © Jean-Baptiste Millot
Du 4 au 21 octobre se tiendra la 21ème édition de cette manifestation qui brasse mille et unes nuances de jazz et de musiques du monde, reliant la Bretagne aux musiques du Brésil. Jazz Magazine est partenaire de l’événement.
Point culminant de trois années de collaboration et d’échanges intenses entre la ville de Brest et Sao Paulo au Brésil, l’Atlantique Jazz Festival propose une programmation haute en couleurs et riche en contrastes pour refléter l’incroyable diversité de pratiques et de styles qui se déploient dans cette capitale Sud-Américaine de la musique. Du 4 au 13 octobre, au cours de l’AJF Tour, Alessandra Leão & Sapopemba sillonera toute la Bretagne pour donner une série de concerts en duo voix-percussions (direction artistique Paula Rocha), entre musiques traditionnelles et ouvertures vers l’avenir d’un art brésilien en constant renouvellement.
Et du 15 au 20 octobre, à Brest, avec des des artistes aussi divers que Carla Borregas et Mbé, Kenya 20HZ & Morgane Carnet, Paal Nilsen ou encore Marcel Powell, se déploie le champ des possibles, du jazz à l’electro en passant par le coco, le maracatu et le forró.
Retrouvez toute cette riche programmation et réservez dès à présent sur le site du festival !
La saxophoniste londonienne, figure de sa génération, vient de publier le superbe “Odyssey”, un troisième album qui s’impose comme son meilleur. Nous l’avons rencontrée pour parler du jazz anglais d’hier et d’aujourd’hui et de sa propre musique.
JAZZ MAGAZINE Il y a quelques années, la nouvelle vague du jazz anglais connaissait un engouement très intense dans le monde entier. Comment avez-vous vécu toute cette attention ?
NUBYA GARCIA Quand vous le dites comme ça on dirait que c’est terminé mais j’espère que ça continue ! C’était une période très intéressante, personne ne l’avait prédite et on se sentait vraiment soutenus, ce qu’on attendait depuis longtemps. Ça nous a donné beaucoup d’opportunités et de latitude. Je pense que ça continue mais c’est un peu moins nouveau maintenant, on est plus installés, ce qui est très positif. En voyant tout ça de l’intérieur, et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de préjugées et de plafonds de verre en place pour toutes sortes de genre musicaux et dans toutes sortes de domaines. Quand l’underground sort du bois, c’est surtout une opportunité de tisser des liens avec le public, et ce rassemblement était très beau et positif.
Mais est-ce que toute cette attention n’a pas pu renforcer certains des préjugées dont vous parlez, dans la façon dont on a décrit et “labellisé” votre musique ?
C’est en effet quelque chose qui a pu arriver. J’étais au cœur de tous ses événements, et parce qu’on a beaucoup tourné et eu plein d’opportunités – dont beaucoup pensaient qu’on ne les aurait jamais en tant qu’artistes de musique instrumentale formés à travers le jazz – j’étais plus déterminée encore à atteindre mon but, et je le suis toujours. Je sais que j’aime la musique et en faire avec les gens avec qui je joue, pour moi c’est déjà un succès et je me dis que les musiciens ne devraient pas se concentrer sur les opinions et perceptions externes, mais plutôt essayer d’être les meilleurs possible, de vivre dans l’instant. C’est un grand privilège de faire de la musique qui parle aux gens et c’est ça qui compte. Ça nous a tous demandé beaucoup de temps et de travail mais je suis très fière de ce qu’on a fait et de ce qu’on continue à réaliser.
Toutes ces années, vous avez beaucoup enregistré sur les disques des autres tout en les accompagnant aussi sur scène. C’était une façon de vous développer en tant qu’instrumentiste ?
Je l’ai beaucoup fait car j’adore jouer, et pas seulement quand c’est moi qui ai composé ou qui dirige. Être sidewoman est très différent qu’être leader, il faut relever d’autres défis et ça permet d’essayer d’autres choses. Je n’ai jamais voulu choisir entre les deux, et ça me permet de collaborer avec des gens merveilleux qui enrichissent ce que je fais. La collaboration est le ciment d’une communauté. Je crois aussi que les meilleures musiques proviennent d’une multitude de sources et j’ai donc collaboré à de nombreux groupes dès le début. C’est excitant, ça permet d’exister de plusieurs façons au sein d’une génération, et ça doit être très dur de ne jouer que dans sa propre formation ! Ce serait comme ne parler qu’une seule langue alors que je veux parler de plein de façons différentes.
Vous préférez donc parler de communauté plutôt que de “mouvement”, comme on l’a beaucoup répété, au sujet du jazz anglais ?
Oui absolument. Je joue avec certaines personnes depuis que j’ai 17 ans, [elle en a aujourd’hui 33, NDLR]c’est presque la moitié de ma vie ! Si de jeunes musicien.nes nous lisent, je pense que c’est très important de se souvenir que les gens qu’on rencontre à chaque étape de sa vie peuvent, s’ils sont sur la même longueur d’onde, devenir ceux qui vous portent, vous encouragent, jouent et tournent avec vous, vous font découvrir de la musique… Au fond il s’agit d’amitié, de soutenir vos copains musiciens et de les aider à concrétiser leur vision, bien plus que de succès matériel, même s’il faut bien payer ses factures !
J’imagine que cette communauté s’étend aussi à ceux qui vous ont formé, par exemple les saxophonistes Courtney Pine, Steve Williamson, qui se sont fait connaitre dans les années 1990. Est-ce qu’ils sont toujours reconnus à leur juste valeur aujourd’hui ?
C’est difficile à dire car j’étais un bébé à cette époque ! Je sais qu’ils ont tourné à travers le monde et qu’aujourd’hui, à chaque fois que je vais aux Etats-Unis, les musiciens de cette génération me demandent des nouvelles de Courtney Pine par exemple. Son nom circule toujours à New York et c’était déjà le cas, il y a dix ou douze ans, quand j’y était allé pour la première fois, alors que j’étais encore étudiante. Notre génération a énormément bénéficié du travail de gens comme Courtney Pine, Steve Williamson, le groupe Jazz Jamaica et tant d’autres. Les Jazz Warriors ont directement permis aux programme éducatif Tomorrow’s Warriors [créé en 1991], dont j’ai fait partie, d’exister, et on n’aurait pas pu avoir un tel programme de formation musicale, gratuitement, à Londres, avec des gens qui nous ressemblent, ça n’aurait pas existé. Je ne dirais pas qu’ils ont vraiment la reconnaissance qu’ils méritent mais ils ont fait beaucoup pour faire connaître Londres et la Grande-Bretagne dans le monde du jazz, et ça n’a vraiment pas dû être facile du tout dans les années 1980 et 90.
En tant que saxophoniste, vous avez un jeu volontairement très épuré. Est-ce une façon d’éviter une certaine culture de la virtuosité chez les saxophonistes ?
Je dirais que je ne cherche pas à impressionner les gens et que j’essaye de me mettre au service de la musique. Il y a plein de façons de faire ça et je peux sonner très différemment d’un jour à l’autre, sur scène ou en studio. Mais j’essaye de ne pas “surjouer”. A quoi bon ? Non pas qu’on n’ait pas le droit d’être virtuose, mais chaque morceau se prête à une certaine façon de jouer, et je m’adapte en fonction de ça et de ce que je ressens ce jour-là. J’ai envie d’être en osmose avec mon instrument, pas de me battre contre lui où d’avoir l’impression que les gens vont mieux me considérer si je joue d’une certaine façon. Je doute que ça me rendrait très heureuse !
Sur votre nouvel album “Odyssey”, en particulier, vous vous illustrez aussi beaucoup par les arrangements, notamment de cordes…
C’était un défi de réaliser ces arrangements, de trouver ma voix en tant que compositrice plus que d’intégrer les cordes à mon groupe d’ailleurs, car je n’avais jamais fait ça avant. Je ne voulais surtout pas plaquer des cordes sur des morceaux déjà écrits, et j’ai passé beaucoup de temps à peaufiner ces arrangements. J’ai beaucoup douté mais ça m’a permis de trouver ma propre façon d’écrire. Je ne suis pas très académique, j’ai besoin de créer pour apprendre plutôt que de lire des livres et j’ai justement évité de trop étudier des arrangements similaires chez d’autres, même s’il y a plein d’excellents exemples, avant d’avoir terminé mon travail, pour progresser encore la prochaine fois. J’ai vraiment l’impression que ces cordes sont les miennes, je m’en suis servi comme une sorte de texture, mais je ne savais pas que j’arriverais à un tel résultat quand j’ai commencé à travailler. J’ai débuté mon apprentissage musical par les cordes à 3 ou 4 ans, mais je n’y vais plus touché depuis très longtemps et j’avais vraiment envie de m’y remettre. J’ai hâte de continuer sur cette voie ! Au micro : Yazid Kouloughli / Photo : Danika Lawrence
Album « Odyssey » (Concord Jazz / Universal, 4 étoiles Jazz Magazine)
Concerts Le 14 février 2025 à Bordeaux (Rocher de Palmer), le 15 février à Paris (La Cigale).
Vendredi 4 octobre, 20h30, à la Maison de la radio et de la musique à Paris, un ensemble unique en son genre mettra à l’honneur les racines fondamentales de la musique noire.
Jazz Magazine est partenaire de cet événement réunissant 120 chanteurs lyriques du Chœur Philharmonique International (artiste de l’UNESCO pour la paix) dirigé par Yanis Benabdallah, un quintette de jazz et des comédiens pour un spectacle hors-norme en deux parties (Héritages : 200 ans de musiques africaines inspirées de l’Europe et Rhapsody in Black : 200 ans de poésie afro-descendante, sur une musique originale de la pianiste et compositrice Leïla Olivesi). Ensemble, ils rendront hommage, par-delà les styles et les époques, à deux siècles de musiques africaines inspirées de celles d’Europe et mettra en musique des poèmes d’auteurs afro-descendants comme David Diop, Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor. En somme, une célébration de cette valeur de résilience, indissociable des musiques noires, qui du gospel à la biguine en passant par le blues et le jazz seront toutes essentielles à cette soirée.
Avec Yete Queiroz (mezzo-soprano), Bernard Arrieta (baryton), Jacques Martial (lectures des poèmes) Marion Frère (violoncelle), Leïla Olivesi (piano), Donald Kontomanou (batterie), Sophie Alour (saxophone), Yoni Zelnik (contrebasse)et Marie-Claude Papion (piano).
Retrouvez le programme détaillé sur le site de La Maison de la Radio et de la Musique. Réservations ici