Rien à l’affiche de ce lundi matin du 13 novembre, sous la pluie qui a chassé l’interprète de La Paloma et de Besame Mucho entendu samedi sur le Pont du Vieux Marché aux poissons. Mais Samuel Blaser s’était attardé à Strasbourg pour donner une master class au conservatoire.

Belle salle avec de grandes baies vitrées donnant sur l’Ill, dans ce bâtiment inauguré en 2006, après avoir connu diverses domiciliations depuis sa création en 1855 et celle de sa classe de jazz en 1979 par Bernard Struber, par laquelle sont passées quelques personnalités de premier plan du jazz français.

9h03 : face à une vingtaine de jeunes gens, Samuel Blaser est déjà dans le vif du sujet, le métier, faisant référence à l’ouvrage du pianiste Hal Galper, The Touring Musician : a Small-Business Approach to Booking Your Band on the Road. Bientôt, en matière de présentation, il propose de jouer lui-même un solo : improvisation libre en guise d’autoportrait, mais aussi catalogue de différentes techniques, différentes approches sonores, différentes stratégies d’improvisation avec, pour finir, le surgissement de Creole Love Call de Duke Ellington, occasion de passer par quelques effets très spéciaux.

Au fil de la conversation qui va suivre nourrie des questions sollicitées par Blaser, on lui découvre un passé qui déborde très largement de celui du jazz, suite à une question d’une jeune trompettiste qui l’a surpris inspirant dans l’instrument pour produire certaines notes. Passé le conseil très pratique de ne pas se livrer à cette technique si l’on n’est pas certains de la propreté de sa coulisse, Samuel Blaser la fait remonter aux problèmes rencontrés par Vinko Globokar lors de la réalisation de la Sequenza V pour trombone solo de Luciano Berio. Une entrée dans un parcours d’instrumentiste où la fréquentation de la musique contemporaine qu’il détaille abondamment aura autant compté que l’expérience du jazz et des musiques improvisées.

Samuel Blaser propose alors aux étudiant.e.s de sortir leurs instruments et de constituer un cercle où il se positionne lui-même. Quatorze musicien.ne.s dont quatre femmes : une trompettiste, une pianiste, deux chanteuses. Pas de quoi assurer la parité dans les orchestres de jazz à venir. Comme quoi ceux.celles qui aspirent à une discrimination positive dans le domaine du jazz, devront l’imposer dans les conservatoires plutôt que dans les orchestres existants, sauf à prohiber certains instruments, comme sous Staline qui fit interdire et confisquer les saxophones en 1949.

On commence par produire un son continu, sur une, puis plusieurs notes libres, chacun.e cherchant à se positionner dans ce continuum sonore, notes longues, puis se succédant selon un rythme plus soutenu. Chacun.e est ensuite invité.e à tour de rôle, dans un cycle ininterrompu, à prendre une brève initiative musicale ; dans un second tour, chacun.e essaiera d’assurer la continuité avec ce qui vient d’être joué, les trois batteurs présents s’étant répartis cymbale, caisse claire et tom.

Puis des groupes plus petits sont tirés au sort pour improviser une séquence musicale, les musicien.ne.s étant invité.e.s à observer et commenter rétrospectivement ce qui s’est passé. Nulle question ici de structure, d’harmonie ou de tempo, même si quelque chose d’approchant peut s’imposer par nécessité, par choix, par habitude. Où il est question de se jeter à l’eau ou de s’y aventurer plus prudemment, après avoir tâté la température. Où il est question de prendre l’initiative ou d’attendre l’initiative de l’autre ; donc question de pouvoir, de capacité d’écoute et de prise de décision, une sorte d’école de la démocratie. Où il est encore question de potentialités à saisir ou de piège: émergence d’un tempo, couleur harmonique ou modale, cycle, tempo. Où il s’agit enfin de gestion du temps, d’évaluation des durées, de sens de l’espace, de la nécessité du silence. Deux heures déjà qui se sont déroulées comme une seule. Samuel Blaser, à l’heure où j’écris ces lignes en ce 14 novembre, est au Portugal avec son trio qui se produit ce soir à Porto, demain à Lisbonne, le 17 à Biel en Suisse, pour finir sa tournée en beauté le 18 à la Maison de la Radio. Après quoi, il retrouvera Marc Ducret et le saxophoniste Liudas Mockūnas pour une grande tournée scandinave. How to book your Band on the road ? Franck Bergerot

Un trio qui réinvente Olivier Messiaen, un autre qui ressuscite les musiques collectées par Béla Bartók et un gamelan tel qu’on n’en a jamais vu.

15h : retour dans cette belle salle du conservatoire où nous étions la veille avec Samuel Blaser, Billy Mintz et Russ Lossing. Si ce dernier nous avait évoqué de manière allusive quelques grands pianistes du 20e siècle, cette fois-ci c’est nommément Olivier Messiaen qui est convoqué par le pianiste et compositeur Pierre Boespflug et son Couleur.s Trio avec Jérôme Fohrer (contrebasse) et Eric Échampard (batterie). Des complicités qui se sont faites de longue date à Strasbourg, plus cette affinité du pianiste pour le compositeur du Quatuor de la fin des temps. Les partitions que lui inspire ce dernier m’ont évoqué les suites de Martial Solal, en premier lieu le trio à deux contrebasses Sans Tambour ni trompette, non en terme de vocabulaire, mais par la façon dont Boespflug répartit les responsabilités à travers une musique très écrite, notamment pour la contrebasse aux partitions très précises, tandis que le piano se réserve l’essentiel de la partie improvisée.

Il en ressort une force de conviction d’autant plus grande que, tout en faisant référence à ce qui fait la spécificité de la musique de Messiaen, du langage modal aux chants d’oiseau, la musique de Boespflug est d’une énergie qui renverrait plus aisément au Stravinsky du Sacre, si l’on n’était pas informé de ses intentions. Avec une touche rock ou jazz-rock à laquelle contribue Échampard. Nos trois hommes ne s’en tiendront pas là puisqu’ils nous annonçaient à la sortie du concert l’extension de ce trio à la taille du sextette avec l’adjonction du violoniste Régis Huby, du tromboniste Mathias Mahler et du joueur d’Ondes Martenot Thomas Bloch, cette dernière formation constituant le troisième volet d’un tryptique qui s’était ouvert sur un piano solo. Création annoncée le 17 janvier prochain à l’Arsenal de Metz.

17h : le pianiste, compositeur roumain Lucian Ban qui s’est fait remarquer à plusieurs reprises sur ECM depuis 2013 dans des projets où l’ethnomusicologie a toujours sa part. Loin des fusions à tout crin, c’est en connaisseur des grandes traditions orales qu’il multiplie les échanges. Ici, il revient – s’il ne l’a jamais quitté – au patrimoine musical de sa terre natale, la Transylvanie, telle qu’il fut préservé à travers les collectages enregistrés et les relevés sur partition de Béla Bartòk. Il en a résulté sur le label Sunnyside, l’album “Transylvanian Folk Songs” enregistré avec le concours d’un ancien camarade de Ban, le violoniste Mat Maneri, et un nouveau venu dans sa discographie, John Surman (sax soprano, clarinette basse).

Geste de ménétrier, de fiddler, dirait-on dans sa langue, Matt Maneri tient le violon à sa façon, privilégie la moitié extérieure de l’archet qu’il tient léger sur les cordes, souvent à la limite de l’harmonique et tout aussi souvent en doubles cordes, tandis que la main gauche, sans vibrato, privilégie la première position sur le manche sans craindre les cordes à vide à l’exception d’un échappée momentanée vers l’aigu tout en glissando à la manière des violonistes de l’Inde du Sud.

John Surman privilégie la clarinette basse, comme s’il cherchait à se glisser sous le violon pourtant très peu sonore, tantôt à l’unisson ou au moins en homophonie, avant que de s’éloigner l’un de l’autre, tous deux donnant le sentiment d’une musique émergeant d’une “brume historique” où elle se serait perdue et d’où elle n’aspirerait par totalement à s’extraire de peur de perdre cette qualité imaginaire et légendaire.

Le piano de Lucian Ban, rubato, percuté parfois, directement sur les cordes, ostinato, où soudain s’évadant en un développement que l’on pourrait qualifier de jarrettien s’il n’était pas dépourvu de tout ego superflu. Soudain, sur quelque danserie villageoise, le ton s’élève, un drame se noue, la clarinette basse hausse le ton et le bois parle, lorsque ce n’est pas le soprano qui vient timbrer avec l’expressivité du taragot et cette puissante clarté du son qui chez lui a quelque chose d’une cloche, Surman prêtant à cette résurrection des collectages de Bartok ce qu’il a fréquenté lui-même dans les traditions musicales des Îles britanniques.

18h30 : si l’on reste dans le domaine de l’ethnomusicologie, changement total de décor avec “Polyphène” et son gamelan balinais Puspawarna. Où sommes-nous au juste ? Car voilà que c’est le joueur de darburka frano-libanais Wassim Walal qui en prend la direction. Le gamelan Puspawarna est né à Nanterre en 2011 et réunit musiciens français et balinais autour d’un répertoire toujours vivant, renouvelé par de nouveaux compositeurs : Krishna Putra Sutedja, Sven Clerx, Jérémie Abt, Antoine Chamballu, Christophe Moure (reyong, gangsa), Raul Monsalve (gong), Hsiao-Yun Tseng (ceng ceng).

Il est toujours assez fascinant de constater la perfection d’exécution de ces orchestres dont les parties de tous les pupitres sont d’un complémentarité semblable à celle qui anime une montre. On le as vus d’abord résister à l’assaut de Wassim Walal, sa puissance de frappe et cette polyrythmie où il est au contraire totalement indépendant, quoiqu’il accepte ici à se joindre à la loi du nombre que viennent perturber au milieu du programme l’irruption du violoncelle ensauvagé d’Ernil Eraslan et l’oud électrisé de Grégory Dargent.

Il n’y manquait qu’un trouble-fête du genre de Christophe Hiriart. On ne perd rien pour attendre : il sera là demain 14 novembre au Planétarium du Jardin des Sciences à 18h avec le violoncelliste Didier Petit et l’altiste Guillaume Roy. Puis à partir de 20h30 se succéderont au Fossé des Treize le trio San de la pianiste Satoko Fuji et le quartette de James Brandon Lewis. Franck Bergerot

Les peupliers du bord de l’Ill, les trios de Samuel Blaser et Andreas Schaerer, l’Ex Machina de Steve Lehmann et Frédéric Maurin avec l’ONJ ! Tout l’or de Jazzdor

Daniel Filipacchi, m’a-t-on rapporté lorsque je suis entré à Jazz Magazine, disait : “Mieux vaut un journal qui sort à l’heure avec des coquilles qu’un journal sans coquille qui sort après l’actualité. » C’est une réalité que j’ai souvent éprouvée en publiant mes comptes rendus de concert dans la nuit ou au petit matin du jour suivant. J’ai terminé et publié le papier ci-dessous sur les chapeaux de roue ce 12 novembre vers 14h pour me rendre coudes aux corps sans avoir déjeuné au premier concert de la journée dont vous trouverez le compte rendu au cours de cette nouvelle journée du 13 qui commence. Entre temps, j’ai pris le temps de corriger quelques coquilles et bévues dans le papier ci-desous dans une nouvelle version retouchée à 0h57 puis à nouveau à 7h avant de me rendre à la masterclass de Samuel Blaser, au risque de nouvelles bévues et coquilles, chaque relecture m’amenant souvent plus à récrire et compléter qu’à corriger.

15h : dans la belle acoustique d’une grande salle de répétition d’orchestre du Conservatoire de Strasbourg, Samuel Blaser – pour faire court –, en fait une identité tricéphale, Triple Dip, dont Samuel Blaser est le tromboniste, Billy Mintz le batteur, Russ Lossing le pianiste. Russ Lossing d’abord, une note énorme, profonde, une profondeur d’où tout va surgir et s’épanouir, comme au début de la Sonate en si mineur de Liszt. Lossing connaît probablement son Liszt, mais il en connaît bien d’autres et s’il faut lui supposer quelque héritage pianistique, il se s’arrête certainement pas aux gracieusetés que le piano jazz retient trop souvent de Ravel et Debussy. On pense à Bartok, Messiaen, Stockhausen… On pense aussi à Ran Blake pour l’angularité parfois brutale, à Paul Bley pour cette façon de faire sonner les entrailles du piano aux frontières du lyrisme et de l’abstraction.

Par quel hasard, quelle intuition, quelle préméditation, quelle télépathie le trombone jouera-t-il sa première note pile sur telle note finale d’un long développement solo du piano? Le grain du son, la palette timbrale, la virtuosité combinée des lèvres et de la coulisse, le vieil héritage ellingtonien qui le place au juste milieu entre la souplesse de Lawrence Brown et son trombone-violoncelle et l’expressivité fauve de Tricky Sam Nanton, ses growls et ses wha wha. Mais c’était au siècle dernier, et Samuel Blaser joue l’aujourd’hui, un aujourd’hui enraciné mais sans effet “photo souvenir” (et quand il s’y livre, c’est du côté de ses vieille amours pour Don Drummond, le tromboniste du ska, mais au sein de ce Triple Dip, il n’en laisse rien paraître).

Ping ! Nouvelle coïncidence ou transmission de pensée : c’est Billy Mintz qui fait son entrée sur un accent qu’ils ont pensé tous trois au même endroit sans concertation apparente. Billy qui ? Mintz, 76 ans, une carrière aussi bien remplie qu’elle est discrète, de Lee Konitz à Vinny Golia, d’Eddie Daniels à Perry Robinson, de Gloria Gaynor à Mark Murphy. On n’avait pas encore remarqué sa présence, un peu ronchon côté cour, l’œil clos. Ou peut-être seulement demi-clos, le regard aux aguets sous la paupière, le pavillon auriculaire déployé. Il fait penser à ce bruiteur que j’avais croisé dans le studio d’une dramatique radiophonique, arrivé en blouse grise avec un seau d’eau pour faire la mer, quelques ustensiles pour l’agiter, et d’autres pour simuler une porte que l’on ferme, que l’on frappe, que l’on cloue ou qui grince. On oublie sa batterie, on pense au seau; on oublie en tout cas ce que la batterie peut avoir de gracieux sous les frappes de Jo Jones ou Max Roach. La caisse claire est méchamment timbrée – il saura la détimbrer si nécessaire – la charleston demi-fermée ferraille, les balais utilisés comme cette collection de brosse que trimballait avec lui mon bruiteur. Ça me rappelle Sam Woodyard “clouant des planches” sur ce prodigieux Summertime de Duke Ellington (“Piano in the Foreground”) qui aurait pu servir de B.O. aux premières pages de Tandis que j’agonise de Williams Faulkner et ça colle à la perfection avec les côtés Ran Blake du piano de Russ Lossing. Et lorsque soudain, le swing apparaît dans le cours du concert, soutenu à la main gauche du piano d’une authentique walking bass, Mintz tire un merveilleux tapis de balais sur la caisse claire, ou fait admirablement dialoguer celle-ci avec le chabada alerte et un peu farceur de sa charleston, tardant à faire entrer la grosse caisse dans la danse avant de se livrer à un authentique solo de batterie.

Le reste du temps peut-on parler de solos. Et comment s’y prennent-ils pour se retrouver ensemble constamment dans ces dédales où ils s’aventurent. Ces dédales ? Des lignes rythmico-mélodiques plus ou moins longues, évoquant les lignes brisées de l’Anthony Braxton des années 1970, qui semblent s’allonger et se développer au fil des reprises, parfois de courtes formules mais qui pourraient bien provenir de compostions plus longues. Déjà jouées dans leur entièreté ? Une impression de déjà entendu que Blaser me confirmera après le concert, des fragments de partitions pouvant se mêler à des morceaux dont elles sont étrangères. Fragments constamment transfigurés par des changements de couleurs, de tempo, de phrasé… Avec toujours cet ensemble dont on ne sait toujours pas s’il relève de l’intuition, de l’anticipation, de la télépathie ou d’un scénario précis, appris par cœur, sans une partition visible sur scène (ça n’est jamais que leur cinquième concert sur ce programme). Une chose me sera confirmée plus tard : pas de scénario pré-établi. Tout peut arriver.

Et de ces dédales où ils nous entrainent derrière eux, on sort émerveillés. On rappellera le trio deux fois, dont la reprise de Love Song From Apache (la chanson d’amour du film Apache de 1954, composée par David Raskin et reprise en 1962 par Coleman Hawkins avec Tommy Flannagan sur “Today and Now”). Émerveillement que l’on poursuivra sur disque avec la sortie sur le label du festival, les Jazzdor Series, “Roundabout / Triple Dip”, deux groupes en un : le duo Blaser/Lossing et le trio Triple Dip.

20h30 : sur la scène de la grande salle de concerts, le chanteur suisse Andreas Schaerer (révélé dans les années 2010 avec le sextette Hildegard Lernt Fliegen) présente son nouveau programme “Evolution” avec un vieux complice, le guitariste finlandais Kalle Kalima, et le contrebassiste-bassiste électrique américain Tim Lefèbvre qui du haut de sa réputation acquise auprès de personnalités aussi diverses et prestigieuses que David Bowie, Wayne Krantz ou Donny McCaslin, s’implique corps et âme dans ce “tour de chant”. Car il s’agit de chansons, de chansons pop, affranchies cependant des formats orchestraux conventionnels, osant le dynamisme et les contours grossièrement ébarbés proposés par ces deux comparses, plus acteurs de plein droit qu’accompagnateurs, chansons portées par une voix à la virtuosité jamais gratuite, polymorphe, aux possibilités extrêmes. À retrouver ce mardi 14 novembre à D’jazz Nevers, et le 15 à Paris au Studio de l’Ermitage.

22h : sur la même scène, l’ONJ dans le programme conçu par Frédéric Maurin (direction compositions) avec Steve Lehmann (sax alto, compositions) et l’informaticien de l’Ircam Serge Lemouton, plus le personnel de cet ONJ à géométrie variable : Jonathan Finlayson et Fabien Norbert (trompette), Christiane Bopp et Robinson Khoury, ce dernier remplaçant au pied levé Daniel Zimmermann (trombone), Fanny Meteier (tuba), Fanny Ménégoz (flûtes), Catherine Delaunay (clarinette, cor de basset), Julien Soro (sax ténor, clarinette), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, saxophone baryton), Stéphan Caracci (marimba, vibraphone, glockenspiel), Chris Dingman (vibraphone), Bruno Ruder (piano, synthétiseur), Sarah Murcia (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie). Un début de concert très affecté par une panne de sonorisation. Elle nous a privé de la lisibilité des vents qui d’emblée sur le disque déploie la splendeur de cette extraordinaire palette orchestrale, et en particulier de la section d’anches à un moment où Steve Lehmann est en première ligne et à cet autre où il se livre à une chase haletante avec Julien Soro dont témoigne le disque. On n’en portera que mieux son attention sur la première soliste de l’orchestre après Lehmann, la grande contrebassiste Sarah Murcia, sur le formidable pupitres de xylo-vibraphone (Caracci et Dingman), sur le solo Bruno Ruder qu’il ne jouerait pas plus intensément si l’on venait de lui apprendre que c’est le dernier de sa vie, et sur l’élégance permanente de la frappe de Rafaël Koerner dans ce parcours rythmique et formel semé d’embûches.

Par chance, les choses sont revenues à la normale et l’on put jouir de la diversité des textures où les timbres acoustiques se mêlent aux écritures préalables et aux réactions de l’informatique selon un double dispositif que notre confrère Nicolas Dourlhès de Citizen Jazz a très bien dans un rapport d’entretien très éclairant avec Jérôme Nika, concepteur dans le cadre de l’Ircam du logiciel de traitement du son baptisé Dicy2. Les deux moments les plus spectaculaire, et totalement assumés, de cette rencontre entre la machine et l’instrument traditionnel auront été les entrées de morceaux confiées à Christiane Bopp et Fanny Ménégoz. Si j’avais déjà remarqué la pertinence de cette dernière lors de la répétition générale avant création le 11 février 2022 , je me prête à citer les propos de Jérôme Nika relevés par Dourlhès :

« Je me souviens de Fanny Ménégoz qui a compris très vite, et de manière non formalisée, comment jouer pour amener le système à ralentir le tempo afin d’initier la séquence orchestrale suivante. De toutes manières, le logiciel dépend à la fois du musicien qui capte le type de jeu qui va amener dans telle direction et de la personne qui le paramètre (en l’occurrence Steve Lehman, Frédéric Maurin, Dionysios Papanikolaou, ingénieur du son en live – en l’occurrence, à Strasbourg, Serge Lemouton – ou moi). C’est nous qui indiquons le comportement que le logiciel doit avoir. En soi, il ne prend des décisions locales que parce qu’on lui a demandé d’avoir tel comportement. Mal nourri, il ne donnera rien. »

”Coup de bluff ? Se conjuguent ici les aspirations de longue date de Steve Lehman et Frédéric Maurin. Pour ce dernier qui a su faire de l’ONJ un outil orchestral à la disposition d’autres compositeurs, bâtir un répertoire largement ouvert et élargir les missions de l’institution à travers notamment la création d’un Orchestre des jeunes destiné à rejouer le répertoire français “historique” selon un bel échange intergénérationnel, Ex Machina est tout à la fois l’œuvre maîtresse de son ONJ et l’aboutissement d’un travail commencé au début du siècle avec Ping Machine et qui l’a conduit non à s’emparer du gadget électro pour une vaine gesticulation, mais à approcher patiemment de ce double objectif consistant à interagir avec la machine et à pénétrer au cœur du son, sur les pas des pionniers de la musique spectrale, Gérard Grisey et Tristan Murail ; démarche où l’avait précédé Lehman qui a étudié avec ce dernier à la Columbia University et qui a expérimenté dans ce domaine avec “Travail, Transformation and Flow” (2009, avec déjà Jonathan Finlayson et Chris Dingman) et “Mise en Abîme“ (2014). Et cette matière vibratile, conflictuelle et diaprée, Ex Machina réussit à la mettre en mouvement, en musique. Ce que fera l’ONJ encore ces jeudi et vendredi prochains au Petit Faucheux de Tours, après avoir joué le 10 à Vincennes… et c’est tout!

Jazzdor aura été le seul festival français à programmer Ex Machina. En pleine tendance “electro”, en plein questionnement sur l’intelligence artificielle (ce à quoi Jérôme Nika n’aspire d’ailleurs absolument pas, voir l’article de Dourlhès, l’enjeu étant ailleurs), l’indifférence qui aura accompagné ce projet, tant parmi les organisateurs que dans les médias (en France, voir l’accueil enthousiaste de Downbeat aux États-Unis, et les concerts programmés hors de l’Hexagone) participe de la grande aberration du monde contemporain. En cette époque où, comme le chantait Andreas Schaerer, l’être humain est sensé être capable de surveiller les cours de la bourse sur son portable tout en téléphonant et en tendant sa carte bleue à la serveuse du supermarché, la part de cerveau disponible pour l’écoute musicale n’est peut-être plus suffisante pour accueillir autre chose qu’un couplet-refrain, calibré par le métronome d’une grosse caisse, des mélodies et des harmonies élémentaires. Du moins les organisateurs et les médias, l’œil sur la billetterie et l’audimat, se sont-ils épargné tout effort d’imagination. Franck Bergerot“

Ce soir Bill Frisell sera à l’affiche de la soirée d’ouverture de D’jazz Nevers. Hier, il faisait l’ouverture de Jazzdor sur la scène de la Cité de la musique de Strasbourg où l’on pouvait finir la soirée au Blue Note avec le trio hélvète Uassyn.

18h30 : Bill Frisell rejoint la scène du club attenant à la Cité de la musique, le Blue Note, à l’occasion de l’émission Open Jazz d’Alex Dutilh, en direct du festival Jazzdor. Les deux hommes se connaissent, Bill Frisell laisse un peu tomber sa réserve naturelle et la conversation va bon train, le train tranquille qui est celui du natif de Baltimore, lorsque le natif de Dax annonce une nouvelle édition complétée du live de Wes Montgomery “Full House” qu’il illustre en diffusant S.O.S.

Tour de chauffe à fond de train, puis Johnny Griffin, Wes et Wynton Kelly enchaînent les chorus sous les hourras d’un tutti orchestral récurrent. Les esprits s’échauffent, le ténor trépigne, les cordes fument, la table d’harmonie trépide… et lorsque le thème revient pour un tour d’honneur, le public du Blue Note qui n’a plus un poil de sec exulte si bien que l’on ne sait pas si ce sont les applaudissements du Tsubo Club Berkeley que l’on entend tels qu’ils furent captés le 25 juin 1952 à l’issue de ce morceau de bravoure ou ceux du public du Blue Note de Strasbourg auxquels se joint Bill Frisell qui raconte bientôt comment l’écoute de Wes Montgomery a constitué un tournant dans son parcours de guitariste.

Et pourtant quel contraste entre Wes et ce Bill qui rejoint une heure demie plus tard sa Telecaster sur la scène de la Cité de la musique, suivi de ses complices Thomas Morgan (contrebasse) et Rudy Royston (batterie). Un look de chirurgien-dentiste proche de la retraite qui aurait décidé de remplacer sa blouse blanche par une chemise à carreaux de couleurs vives : « Tenez, installez vous bien, ne craignez rien, je vais vous faire une petite piqure là, vous ne sentirez rien du tout, et vous sortirez tout à l’heure avec des dents neuves. » Je me demande si ce n’est pas moi qui ait écrit récemment qu’il jouait comme on rêve. Facilité. D’autres l’ont peut-être déjà écrit. Mais comment parler de Bill Frisell. Après Django Reinhardt et Charlie Christian, les générations Tal Farlow/Jimmy Raney, Jim Hall/Wes Montgomery, Larry Coryell/John McLaughlin, Sonny Sharrock/Derek Bailey, John Abercrombie/Pat Metheny/John Scofield et le phénomène Jimi Hendrix, depuis quarante ans la guitare a-t-elle connu une seule révolution… à part Bill Frisell.

Mais qu’a-t-il révolutionné ? Je regrette de ne pas avoir pris avec moi les livre Guitare Conversation de Noël Akchoté avec Philippe Robert (Ed. Lenka Lente), j’en aurais bien détourné quelques citations à mon profit. Mais ça joue déjà, la même suite d’accords en boucle, avec d’infimes variations, on pense au Paris Texas de Wim Wenders et au Dead Man de Jim Jarmusch dont Bill Frisell aurait pu remplacer les guitares pourtant géniales de Ry Cooder pour le premier ou Neil Young pour le second. Évitant pareil sacrilège, on se laisse entrainer dans un univers à la Edward Hopper, ces instantanés statiques. On imagine la rue centrale d’une petite bourgade américaine, où il ne se passe apparemment rien, un chien-chien qui court dans le gazon, quelques propos de peu échangés Mrs. entre Watson et Mr. McCullogh de part et d’autre d’une haie, qui laissent cependant deviner de lourds arrière-plans et sous-entendus.

Cette première mélodie minimale qui tourne près d’une demie heure durant avec d’infimes variations, peut aussi nous entrainer sur le mode non figuratif vers des monochromes de Rothko qui se succéderaient en se fondant doucement l’un dans l’autre troublé par de petits éclairs furtifs de couleurs plus acides.

Puis soudain ce premier morceau est brouillé par d’étranges accidents timbraux – voulus ou non tandis que Frisell tâte de la pointe du pied son rack de pédale – et des ajouts mélodiques mis en boucle ou par la mise en boucle d’un fragment qu’il vient de jouer pour en introduire de nouveaux sous ses doigts. Tiens ? Et quelle est cette autre aire ? Look Out For Hope ? Quelque chose comme ça. On fait défiler mentalement la discographie du guitariste dans l’espoir d’en identifier le titre. Puis soudain, survient une abstraction digne de Jim Hall, le tempo se corse, ça swingue soudain sur les accords de La Bamba… ou Twist And Shout (vous souvenez-vous de Twister avec Frisell et Sco sur “Second Sight” de Marc Johnson), occasion de faire jouer un peu plus la rythmique. Non qu’elle n’ait pas joué auparavant, d’une pertinence et d’un souplesse constante, constamment active. Et si l’on avait été plus attentif, on aurait observé qu’elle contribue entièrement à faire vivre ces couleurs. Quelle douceur ont les baguettes de Rudy Royston sur les peaux et cymbales pendant la première partie du concert, sans forcément se voir remplacées par mailloches, balais ou fagots ! Mais soudain, elles se déchainent sans rien perdre de leur élégance et la main de Thomas Morgan, jusque-là parcimonieuse dans sa façon de faire danser le silence autours des notes, s’animent sur la touche comme une grosse araignée. Puis retour au climat initial. Et c’est un acclamation unanime, pas moins fervente que celle qui accueillit Wes au Blue Note tout à l’heure. Bill Frisell revient avec son trio pour un pièce tintinnabulante évoquant à sa façon les vieilles fantaisies bricolées par Les Paul dans son garage au siècle dernier.

Nouveau contraste lorsque l’on pousse la porte qui permet de passer directement du hall de la Cité de la musique à un Blue Note déjà plein. Public plus jeune, debout, bière en main et, sur scène, Uassyn, trio originaire de Zürich : Tapiwa Svosve (sax alto), Silvan Jeger (contrebasse), Vincent Glanzman (batterie). Musique soudain brutale, hirsute en apparence, ascendances du côté du trio d’Ornette Coleman, des angularités d’Anthony Braxton, des systèmes de Steve Coleman… avec une écriture par cellules orchestrales d’une formidable précision sous l’apparence échevelée, évoquant par certains aspects l’écriture du batteur allemand Oli Steidle, sans la touche rock et techno . De francs pianissimos se perdront dans le brouhaha d’un public dont une partie manifeste un intérêt captif et l’autre – parfois la même allée se ravitailler au bar – se faisant plus dissipée et inattentive.
Soit dès cette première soirée, l’empreinte Jazzdor, sous la forme d’une ouverture tant stylistique que cosmopolite et d’une grande exigence esthétique annoncée en ville sur les panneaux municipaux que je croisent en ville en rentrant à mon hôtel. Demain à 15h, le quartette américano-suisse de Samuel Blaser, à 20h30 le trio américano-helvéto-finlandais du chanteur Andreas Schaerer avec Kalle Kalima (guitare) et le formidable bassiste Tim Lefebvre, en première partie du meilleur Orchestre National de Jazz qu’on ait jamais eu, dans le projet, le plus fou de tous ceux jamais imaginés par un ONJ, “Ex Machina” sur un répertoire spectral conçu par Steve Lehmann et Fred Maurin en collaboration avec l’Ircam, et un effectif orchestral de très haut vol à forte proportion féminine.

Quant au trio de Bill Frisell, il fera demain la soirée d’ouverture de D’jazz Nevers. Franck Bergerot

Ce soir, ouverture du festival Jazzdor avec Bill Frisel. « Dernières places », annonce le site. Foncez! On vous raconte demain.

La première fois que je suis venu à Strasbourg, il y a une soixantaine d’années, j’avais été conduit là de Cologne où mes parents séjournaient, pour prendre un train et rejoindre un camp de louveteaux, lorsque mes parent réalisèrent, sur le quai de la gare de Strasbourg, que j’étais en pantoufles, l’un des premiers témoignages d’une distraction endémique qui a laissé quelques souvenirs dans les bureaux de Jazz Magazine et vaut encore aux lecteurs de ces pages quelques coquilles plus ou moins pitoyables plus ou moins savoureuses.

La deuxième fois, c’était il y a bientôt vingt ans. À la nouvelle de la reformation du quartette Quest (David Liebman, Richard Beirach, Ron McClure, Billy Hart), Martine Palmé et moi-même avions sauté dans la voiture du saxophone Éric Séva pour aller l’entendre à Strasbourg où Philippe Ochem, avait voulu avoir la primeur de cette renaissance.

Puis, les bouclages des numéros de Jazz Magazine étant peu propices à courir les festivals, je m’étais contenté de relire avec envie les programmes de Jazzdor sur la maquette des pages concerts du numéro de novembre. J’y trouvais beaucoup de ce que j’ai aimé sur les scènes de ces vingt dernières années et, lorsque j’ai pris ma retraite, si une fidélité ancienne m’a attiré à D’Jazz Nevers, programmé à la même période, il me fallait aller voir ce qui se passe sur les bords du Rhin. Ce que je fais cet automne, à compter de ce soir 10 novembre jusqu’au 15 où je prendrai train et autocar pour me rendre à D’Jazz Nevers.

Avant de quitter mon domicile ce matin, j’ai ressorti le numéro de Jazz Magazine  576 décembre 2006 – je travaillais encore à l’époque à Jazzman – pour relire dans le train Paris-Strasbourg, le portrait qu’avait brossé Robert Latxague de Philippe Ochem dans sa rubrique patron de Festival. Y était rappelé la vocation initiale du “patron”, pianiste se produisant à l’époque avec Jean-Michel Foltz et Michele Rabia. On sent chez ce programmateur-musicien, qui dirigea un club très actif à Strasboug (le Lazy Bird) avant de créer le festival en 1989, cette proximité avec l’actualité musicale que lui confère cette double casquette, que j’ai pu renifler lors du festival hors les murs, Jazzdor à Budapest au printemps dernier, que j’avais devinée à cette enthousiasme avec lequel il avait programmé le retour de Quest. Loin des choix idéologiques, au plus près du geste musical, avec un gourmandise qui donne faim. Et voici le menu qui m’attend dès ce soir, le trio de Bill Frisell avec Thomas Morgan et Rudy Royston; dès demain, le trio de Samuel Blaser, Russ Lossing et Billy Mintz, suivi du programme Ex Machina de Steve Lehmann et Fred Maurin à la tête de l’ONJ. Et pour ces trois formations, je serais venu à Strasbourg même en pantoufles. Franck Bergerot

C’était il y a deux jours, le 2 novembre, au Triton (Les Lilas), le quintette du batteur Fabrice Moreau dont on avait entendu les débuts il y a déjà sept ans à Jazz au Comptoir.

Rarement avait-on entendu un accord aussi grâcieux. Le mot “accord” désignant ici l’action d’accorder le diapason des instruments l’un avec les autres, action qui permettra l’Accord, avec un grand A, cet état où des êtres ou des sons se trouvent reliés les uns aux autres par un tissu de connivences. Mais cet acte d’accorder l’instrument, qui au concert symphonique constitue comme une fantaisie en “lever de rideau”, allant du grotesque au délectable, mais qui est assez peu remarquable au concert de jazz, nous fit croire un instant que le premier morceau avait commencé. Il y eut une petite pause, puis tout commença vraiment, mais tout s’était passé comme si cet accord avait été une micro-répétition sur les premières mesures de leur première partition. Peut-être ce silence était-il prévu sur la partition. D’ailleurs, à quoi pouvait donc ressembler cette partition d’où semblait s’élever une atmosphère, une brume sonore, comme par un matin de brouillard où les détails du paysage, ici les éléments mélodiques, se distinguent sans être vus, à peine devinés, puis émergent doucement, soit que l’œil se soit habitué, soit que le temps se lève. Ce qu’il ne fera d’ailleurs jamais tout à fait. Il faut écarquiller les oreilles pour suivre les filaments mélodiques qui se tissent d’un instrument à l’autre, se dissolvent pour renaître d’un instrument à l’autre pour rassembler l’un et l’autre pour un bref unisson, voire un fugitif tutti de l’orchestre.

L’orchestre, c’est le Fabrice Moreau Quintet, avec autour de son chef-batteur-compositeur : Ricardo Izquierdo le saxophoniste ténor, Nelson Veras le guitariste, Jozef Dumoulin le pianiste, Stéphane Kerecki le contrebassiste, ce dernier remplaçant Mátyás Szandai (encore un orchestre qui pleure ce musicien disparu le 28 août dernier, hommage et concert de soutien à sa famille programmé le 14 novembre au Bal Blomet). Une aventure qui avait démarré par une résidence en 2016 au fil de trois concerts de résidence à Fontenay-sous-bois à Jazz au comptoir et dont nous avions pu suivre le développement quelques mois plus tard intra-murros au Sunside .

Depuis les mailles semblent s’être resserrées, comme dans certains ikat dont la trame est si serrée que l’on n’en distingue plus les fils de différentes couleurs au profit d’autres teintes résultant du tissage. Telle phrase n’est-elle pas apparue jouée par un instrument, qu’elle abandonne déjà celui-ci comme un papillon pour réapparaître sur telle autre, butinant parfois l’une et l’autre à la fois. Sur ces métriques que le contrebasse nous dérobe constamment, l’attention papillonne elle-même, flâne ; l’œil se laisse parfois fasciner par les hésitations des mains du pianiste à ponctuer, à reprendre telle formule mélodique jouée par un autre pour s’y associer, s’en faire l’écho ou la développer de manière linéaire ou dans un bouquet harmonique, voir à se taire restant pourtant suspendues au-dessus du clavier, animées par la tentation d’intervenir à nouveau et guettant l’instant adéquat. Le guitariste est-il le soliste ou le saxophoniste ? Rien n’est jamais sûr. Il y a là des leçons de l’histoire qui se combinent : l’école Tristano, Miles Davis et ses complices du second quintette, Paul Bley, Paul Motian, Steve Coleman, Mark Turner…

Il y a du Shorter et du Turner chez Ricardo Izquierdo, avec une façon de dramatiser ces gammes et arpèges qui montent et descendent sur l’instrument en un vol continu, comme des murmures d’étourneaux ; to fill in disent les jazzmen et leurs commentateurs pour désigner cette façon de remplir, le temps d’aller d’une idée forte à une autre au cours d’une improvisation et qui chez Izquierdo et ces modèles supposés prennent corps par leur aboutissement d’un extrême à un l’autre parfois ponctué d’une fulgurance ; et leur façon de cartographier le territoire harmonique qui se déploie, participant au sens et à la consistance de cette matière sonore (mélodie, rythme, harmonie) vivante qui parfois s’interrompt sans crier gare, sans cérémonial, le discours de l’un des musiciens débordant parfois un peu sur ceux de ses comparses arrivés d’un commun accord au terme du morceau tandis qu’il lui semblait avoir encore un mot à dire.

Avant que d’être batteur, Fabrice Moreau est un authentique poète musical habité par des images, un imaginaire qu’il sait partager avec le public entre les morceaux. À programmer et reprogrammer de toute urgence. Musique nécessaire dans un monde brutal où l’IA nous promet de prendre l’imaginaire en charge, en cage, nous réduisant à des fonctions de consommateur-jouisseur. Franck Bergerot

Tel est le titre de l’ouvrage dirigé par les universitaires Pierre Fargeton et Yannick Séité.

Depuis quelques temps, se multiplient sur mon écran des annonces de publications numériques universitaires sur le jazz, voire des invitations à en télécharger le contenu pour un cumul d’heures de lecture bien supérieur à ma capacité de lecture. Parmi ces courriels, l’un d’eux annonçait un ouvrage collectif dirigé par Pierre Fargeton et Yannick Séité, et intitulé Quand les musiciens de jazz (s’)écrivent. Interrogeant Pierre Fargeton – dont j’ai salué ici noamment le formidable André Hodeir et dont le Boppin’ with Django réédité en catimini et, retravaillé à cette occasion, avait été la pièce manquante de ma documentation au moment de rédiger sur le Django Reinhardt dernière période pour notre numéro 759, ouvrage acquis depuis rubis sur l’ongle –, Pierre Fargeton, donc, m’apprit que Hermann Éditeurs, qui se fait fort de publier « des ouvrages de qualité, écrits par des universitaires ou des intellectuels de renom à destination d’un lectorat aussi large que possible », avait renoncé aux envois spontanés de service de presse après avoir constaté qu’ils terminaient généralement leur course, comme neuf, chez les bouquinistes sans avoir donné lieu à quelque chronique ni même annonce de parution. Il faut dire que, dans les médias, les mots « universitaires » et « intellectuels » sont devenus des gros mots au même titre que les mots « musicologie », « analyse musicale » ; les notes de bas de pages communes à tout écrit scientifiques étant considérées comme une agression du lecteur (alors qu’elles lui évite les incises trop longue, tout en lui garantissant le sens du détail et la crédibilité de l’auteur). En conséquence de quoi, Pierre Fargeton me recommandait de solliciter un exemplaire de presse et par là-même de témoigner de mon intérêt. Ce que j’ai fait.

Les musiciens écrivent et s’écrivent donc, c’est ce que l’on découvre, redécouvre ou décrypte dans les 376 pages (plus index) de cet ouvrage introduit à deux mains par les deux directeurs, Pierre Fargeton et Yannick Séité.

Chapitre 1 :  Les Musiciens de jazz et la presse.

C’est le pianiste et érudit Philippe Baudoin qui l’inaugure en nous rappelant la polémique qui opposa en 1938 W.C. (William Christopher) Handy, cornettiste, chef d’orchestre, éditeur musical et compositeur notamment des deux premiers blues à succès (Memphis Blues, 1912 ; St. Louis Blues, 1914), et Jelly Roll Morton, pianiste, chef d’orchestre et compositeur de quelques uns des premiers chefs d’œuvre de l’histoire du jazz (The Jelly Roll Blues dès 1915, puis King Porter Stomp, The Pearls, etc.)

Ayant entendu Handy se présenter à la radio comme « l’inventeur du jazz, des stomps et du blues », Jelly Roll Morton répliqua par un pamphlet publié sous forme d’extraits dans The Baltimore Afro-American en avril, puis intégralement dans les numéros d’août et septembre de Down Beat, Handy réagissant dans ce dernier numéro, où l’on voit celui-ci se défendre bien mal de la volée de bois vert que lui a porté Morton. Et Baudoin d’en redoubler l’effet par ses commentaires toujours très informés, complétés de témoignages de Morton confiés à Alan Lomax la même année, et d’autres citations tirées de l’autobiographie de Handy, Father of the Blues (1941) attestant de son imposture. Les échanges concernés étant restitués dans les pages suivantes et annotés par Fargeton. La mégalomanie n’étant pas le moindre défaut de Jelly Roll qui se présentait lui-même comme l’inventeur du jazz, c’est assez croustillant, mais pour le coup, on ne peut que le suivre dans son argumentation.

C’est ensuite au tour de Yannick Séité de nous faire part des observations que lui a inspiré la découverte d’une sorte feuilleton biographique sur Louis Mitchell que la journaliste afro-américaine Marvel Cooke publia en 1940 dans le New York Amsterdam, avec la complicité de ce trompettiste pionnier du jazz sur le Continent européen que fut Mitchell.

Pierre Fargeton reprend ensuite la main pour présenter et commenter l’effet médiatique de deux textes de Lennie Tristano sur le bebop publiés dans les numéros de juin et juillet 1947 de Metronome (Qu’est-ce qui cloche avec les boppers et Qu’est-ce qui marche avec les boppers) où le pianiste prend la défense de la nouvelle musique en séparant le bon grain de l’ivraie, mettant notamment en garde contre ses excès une génération de hipsters un peu trop pressés de marcher sur les pas de Charlie Parker et Dizzy Gillespie avant de s’en être donné les moyens (une réalité fréquemment constaté dans les premières années du bop, y compris chez des artistes promis à un brillant avenir), Tristano définissant le bebop non comme une fin en soi, mais comme une marche en avant.

Dans son article intitulé Deux musiciens-critiques : Jef Gilson et Claude Lenissois à Jazz Hot, 1962-1966, Vincent Cotro nous fait (re)découvrir l’œuvre critique du pianiste-compositeur-chef d’orchestre Jef Gilson réalisée en collaboration avec le clarinettiste Claude Lenissois, qui se fera plus tard une réputation dans le domaine classique-contemporain comme compositeur, chef d’orchestre et enseignant sous son vrai nom, Henri-Claude Fantapié. Cotro livre là, sans intention formulée, un chapitre de l’ouvrage que l’on serait en droit d’espérer et qui aurait pour double tâche la démystification et la réévaluation de l’œuvre de Jef Gilson, enseignant (voir notamment L’Harmonie du jazz de 1978, premier recueil du genre publié en France), producteur le label Palm), découvreur de talents, militant. Alors que dans certains milieux discophages, il fait l’objet d’une sorte de culte obscurantiste de la part d’amateurs  qui ne connaissent pas même le nom de Georges Russell, il serait temps que la musicologie se penche sur son œuvre en s’appuyant sur les témoignages de ceux ont joué ses partitions sous sa direction et qui sont toujours de ce monde : Jacques Di Donato, Henri Texier, Jean-Luc Ponty, Michel Portal, Jean-Claude Petit, Bernart Lubat, André Jaume, Pierre-Yves Sorin, Marc Richard, Chris Hayward, Marie-Ange Martin, Éric Lagacé…

Hommage est ensuite rendu à l’œuvre du regretté spécialiste de Duke Ellington, Claude Carrière, par la pianiste et compositrice Leïla Olivesi, avant que Pierre Fargeton ne salue cet ancien collaborateur de Jazz Hot et France Musique,pour avoir rappelé l’existence d’un texte de Charlie Christian publié dans Down Beat en décembre 1939 sous le titre Guitarmen, wake up and pluck ! Fargeton le restitue traduit dans son intégralité sous le titre de Debout les gratteux !, le sous-titre Wire For Sound ; Let’em Hear You Play étant ainsi adapté : Branchez-vous pour avoir le son ; qu’on vous entende jouer. Le tout assorti d’un reproduction en pleine page de l’article tel qu’imprimé dans Down Beat. Presque un cri de guerre, un appel à la révolte, une incitation à la revanche et quelque chose d’adolescent et jubilatoire, du genre : « j’ai fait l’amour, c’est génial, faîtes comme moi ! »

Deux textes assez brefs complètent ce chapitre, le contrebassiste Didier Levallet revenant sur sa double réputation de musicien-journaliste, Jean-Jacques Birgé décrivant, sous le titre Je n’ai pas le choix ! une forme de prurit, syndrome de nombreux écrivains et écrivants, que stimule la nécessité de défendre la cause des musiques improvisées dans l’immédiateté de son actualité. Auxquels on ajoutera, reporté dans les chapitres suivants, les témoignages du saxophoniste Raphaël Imbert (nombreux écrits sur le spirituel et le jazz), du trompettiste Dan Vernhettes (co-auteur et co-éditeur sur Jazz’Edit d’ouvrages très documentés sur le jazz des origines), du contrebassiste Jacques Siron (auteur d’une sorte de théorie encyclopédique de la musique improvisée intitulée La Partition intérieure, qui fit date à sa parution en 1992 chez l’éditeur Outre Mesure), du chef d’orchestre, compositeur, enseignant et musicologue Laurent Cugny (également publié chez Outre Mesure).

Chapitre 2 : Les Musiciens de jazz par le texte (correspondances, chroniques [auto]biographies)

Yohan Giaumeproposeun survol des carnets de voyage au 19e siècle (le Paris de Chopin, États-Unis, Amérique du Sud) du pianiste virtuose Louis Moreau Gottschalk né à la Nouvelle-Orléans en 1829 qui entretient avec le monde du jazz une relation d’observateur des origines (on lui doit notamment ses deux Banjo). Le reste du chapitre consiste en réflexions de divers auteurs sur les problèmes de transcriptions, traductions, éditions des écrits et propos recueillis des musiciens plus ou moins trahis par le désir de simplification ou d’embellissement, voire les effets de censure, trahissant ainsi le verbe particulier de Louis Armstrong (par Adriana Carrillo avec Yannick Séité), Doc Cheatham et Danny Barker (Alyn Shipton), Jelly Roll Morton, Mezz Mezzrow, Billie Holiday (Benoît Tadié).

Deux attitudes se dessinent alors, qui alternent au long de l’ouvrage (pour des raisons d’encombrements, de droits ou de méthode) : d’une part le primat de l’étude sur la source textuelle étudiée, d’autre part la restitution de la source qui est objet d’étude, comme c’est ici le cas avec cette Correspondance Bobby Jaspar – André Hodeir (fragments), présentée et annotée par Pierre Fargeton. Ce qui rend cet ouvrage tout particulièrement précieux, avec les textes déjà mentionnés ci-dessus de Jelly Roll Morton, Lennie Tristano et Charlie Christian.

Chapitre 3 : Pédagogues et théoriciens

Ils’ouvre sur une étude et un recensement précis des écrits techniques et pédagogiques des musiciens de jazz français dans l’entre-deux-guerres, travail passionnant de Martin Guerpin qui remet quelques pendules à l’heure.

Philippe Gumplowicz livre un portrait biographique de Roger Chaput (lui même auteur en 1938 de “Hot Guitar”, cours de guitare jazz), qui ravira tant les djangophiles (Chaput contribua à la pompe du premier Quintette du Hot Club de France) que ceux qui ont aimé son crayon de caricaturiste dans les pages de Jazz Hot d’après-guerre.

Partant de deux appréciations contradictoires du pianiste par Matthew Shipp et David Liebman de l’art de Chick Corea, Ludovic Florin (dont on connaît déjà le Chick Corea au Layeur et dont on attend impatiemment le Keith Jarrett) questionne la place de l’esthétique et de l’éthique dans l’œuvre de l’auteur de « Now He Sings, Now He Sobs » (titre emprunté au Yi King, extrait d’une citation plus large reproduite dans la pochette de cet album) sous deux angles qu’il étend à toute son œuvre : 1. Écrire en aval : métaphoriser la musique. 2. Écrire en amont : scénariser la musique.

L’essai Steve Coleman : un musicien de jazz en tant que théoricien de Frederico Lya de Carvalho est l’occasion d’approcher les modes de pensée d’un musicien qui a beaucoup théorisé, et de suivre les constantes et les méandres qu’ont pu emprunter ses réflexions au fil des années.

Enfin sur un registre totalement différent, Pierre Fargeton nous éclaire sur la résonnance dans l’œuvre littéraire d’André Hodeir de son travail de théoricien du jazz.

Chapitre qua4tre : Écritures du jazz et Poetry

Ce chapitre aurait pu faire l’objet d’un livre particulier, d’une relative cohérence, si l’on fait exception d’un premier texte du philosophe Christian Béthune en analyste du blues (dont on se souvient d’un long et embarrassant commentaire d’un blues canonique en 12 mesures improvisé par Count Basie et Ray Brown qu’il présentait comme une forme libre dans son Apothéose des vaincus). Il se penche ici boulier en main, sur la prosodie des paroles de Robert Johnson, avec ce surplomb du “vainqueur” que suppose la toge universitaire et ce sens du détail qui lui fait préciser en note de bas de page. « Alors que le banjo et le violon étaient identifiés à la musique hillbilly ou country des blancs ruraux, dans l’esprit des producteurs de race records la guitare connote la négrité. » Comme diraient les guitaristes blancs Sam McGhee, Maybelle Carter, Jimmie Rodgers et leurs producteurs…

Ce chapitre commence vraiment avec Alexandre Pierrepont, anthropologue qui retourne la faconde que lui confère l’apprentissage des outils conceptuels acquis à l’Université au profit de ceux que Béthune appelle “les vaincus”. Outre une faconde d’écrivain qui entraîne la lecture par-delà la densité du propos, Pierrepont entretient une vraie proximité avec les musiciens, au moins ceux d’une certaine obédience – héritière d’Ornette Coleman, Cecil Taylor, Albert Ayler, Sun Ra et plus particulier Muhal Richard Abrams et l’AACM – qui fait de son texte l’introduction idéale à ce dernier chapitre consacré à cette famille musicale, dominé par la notion de circularité entre texte et musique, de perméabilité entre le flot poétique et flux de ces musiques désentravées, cette nécessité de « dépasser la raison raisonnante » qu’évoque Anthony Davis, de message et d’universalité, de spiritualité au-delà des approximations du “spiritual jazz” et de son fonds de commerce.

À la suite de Pierrepont, Brent Hayes Edwards commente le Black Case de Joseph Jarman (compilation par le saxophoniste de l’Art Ensemble of Chicago de réflexions philosophiques, de notes autobiographiques, de relevés de rêves, d’observations sur la vie du ghetto, de documents iconographiques, programmes, partitions, etc.). Cyril Vettorato analyse les difficultés rencontrées par Sun Ra pour imposer sa poésie dans les milieux littéraires, même les plus engagés, et comment elle prit tout son sens en interaction avec sa musique. William Parker présente lui-même en les republiant ici ses liner notes de deux de ses albums et celles, vibrant plaidoyer, qu’il écrivit pour un album d’Ivo Perelman dont il fut le contrebassiste, complétant cette livraison par un manifeste titré Le Nouveau Patriotisme.

Ce quatrième et dernier chapitre se clôt, par ce qui aurait pu être plutôt l’épilogue de l’ouvrage (mais probablement trop partisan pour l’être) sur cette question de Pim Higginson : Musicien de jazz écrivain : une double impossibilité ?, titre inspiréd’un autre titre de Gayatri Spivak, théoricienne en littérature originaire de Calcutta, spécialiste des études post-coloniales et féministes à la Columbia University de New York, Les Subalternes peuvent-elles parler ? Au cours d’un long développement part de Platon et de sa conception de la musique comme asservie à la parole, au texte, donc à une signification, la musique désentravée de cette fonction devenant dangereuse, barbare. Higginson rapproche de cette pensée le préjugé selon lequel le Noir est un musicien naturel, qu’il a le rythme dans la peau et qu’il n’est bon qu’à ça, la musique, la faire mais pas en parler, exclu du discours sur la musique (et de citer la question régulièrement posée à Chester Himes “de quel instrument jouez-vous”, ce à quoi il répondait “de la machine à écrire”). Préjugé que l’on retrouve chez les mieux intentionnés : de Cocteau et Leiris à Panassié et Boris Vian. Et « celui qui s’écrit, celui qui écrit, n’est plus musique, précise Higginson. Il est déjà passé dans un autre domaine, celui de l’historicité, de la fondation du sujet, du savoir. […] C’est encore moins la musique noire qui se parle car que pourrait-elle faire qui ne serait pas que la répétition d’un discours déjà tracé par l’histoire (l’écriture) blanche ? » Et de donner pour exemple la rencontre ratée de Jacques Derrida avec Ornette Coleman sur la scène de la Cité de la Musique le 1er juillet 1997 où, pour reprendre l’expression de Béthune, Derrida porterait le discours du vainqueur sur celui qui n’a pas droit à la parole, donc condamné à la musique, le vaincu. J’invite le lecteur, pour relativiser et se faire son idée, de lire l’analyse très détaillée et très documentée de l’événement par Pierre Sauvanet dans Epistrophy, la revue de jazz. Higginson donne l’avant-dernier mot à Derrida en forme de mea culpa anticipé de cinq ans à l’événement : « Je me demande si la philosophie qui est aussi la naissance de la prose n’a pas signifié la répression de la musique ou du chant. La philosophie ne peut pas, en tant que telle, laisser le chant résonner en quelque sorte. » On songe alors à l’ouvrage de Joana Desplat-Roger publié en 2022, Le Jazz en respect, essai sur une déroute philosophique. Et Higginson de conclure « qu’il restera toujours une place importante pour une autre conception, émancipée d’un (s)avoir occidental de l’être mais aussi que le remarquer n’est pas la mettre en œuvre. »

Qu’en est-il aujourd’hui, un quart de siècle après la rencontre de Derrida et Ornette ? Cette évidence qui dépasse largement la question de la scène free américaine, quasiment seule représentée dans cet ouvrage un jazz “contemporain” (William Parker et Joseph Jarman comme Sun Ra sont du 20e) : dans les médias, à la Direction de la musique, au CNM, la musique n’est-elle pas sommée d’être asservie à des textes (la chanson), des fonctions distractives (la danse, la fête), à des formats (esthétiques et de durée, passables à la radio fut-elle à vocation culturelle), à une filière et à son efficacité commerciale (le rapport Bargeton qui propose de sauver la filière sur le modèle de la pop d’état coréeenne, le K-pop), etc. Franck Bergerot

Deux soirs de suite, Régis Huby déjouait les clichés, brouillait les repères, repensait la mémoire des cordes, les cadres de la partition et de l’improvisation, déjouait les clichés de l’acoustique et de l’électronique… le 27 octobre en sextette avec son programme “Bliss”, le lendemain en quintette avec celui de son nouveau disque, “Inner Hidden”, produit par le Triton, label et foyer où ce nouvel ouvrage a vu le jour.

Ce vendredi 27, présentant son quintette sur la scène du Triton, Régis Huby le plaçait d’emblée sous le signe de la béatitude en titrant son programme “Bliss”. C’est effectivement l’impression que pouvaient donner les premières mesures de la longue suite qui s’étirerait pendant… je n’ai pas eu le loisir de regarder ma montre. La musique m’aurait-elle laissé béat ? Le terme est trompeur de même que les termes et les références qu’on pourrait coller à son projet. Planant, néo-classique, post-moderne, jazz de chambre… On pourrait faire là un fourre-tout de références : Arvo Pärt, John Adams, quelques minimalistes une pincée d’ambient et de minimalisme.

Revenons à cette matière que Régis Huby travaille depuis des lustres : les cordes. Cette espèce de communauté acoustique qui remonte à la vièle monocorde pour s’épanouir au risque du kitsch dans la communion du symphonique mais dont je vois l’accomplissement dans cette allégorie de convivialité et de la démocratie que constitue le quatuor, dans cette pâte sonore plurielle où communie l’âpreté du crin crin des campagnes et la douceur ondoyante des prairies symphoniques. Depuis la création du quatuor IXI, Régis Huby n’a cessé de tourner autour de ce patrimoine, de cette puissante expression orchestrale, et il y revient avec ce sextette qui est un “quatuor plus deux”, mais un “quatuor grave”, du grave à l’aigu : Séverine Morfin (violon alto), Régis Huby (violon ténor), Clément Petit (violoncelle), Claude Tchamitchian (contrebasse), l’archet n’étant pas le seul médium, les cordes étant souvent jouées pizzicato, les violons devenant cistres ou mandolines, le violoncelliste ayant parfois des gestes de joueur de gumbri ou de banjoïste des Appalaches, la contrebasse vibrant de tout cet héritage du registre bas de la famille qui va de la profonde assise de Wellman Braud au transgressions de Barre Phillips en passant par les tendres colères de Charles Mingus et ce bourdonnement groovy qui résonne à travers les musiques “actuelles” hérité de James Jamerson, ici transposé sur la grand-mère acoustique.

De ce large héritage, de cette mémoire, Huby tire non une dévotion, mais un élan imaginaire. D’abord en élargissant la famille au trombone. Ce devait être Samuel Blaser, indisponible et remplacé par Mathias Mahler, ici – pour rester dans ce registre de la mémoire – plus Lawence Brown que “Tricky Sam” Nanton (et l’on se souvient que Brown dont le premier instrument fut le violon se pensait au sein de l’orchestre comme un violoncelle). Un autre nom venu des profondeurs du siècle dernier m’est revenu en tête, celui de Léo Vauchant, tromboniste et violoncelliste français, qui devrait occuper une place de premier plan dans l’histoire du trombone jazz des années 1920, ami de Maurice Ravel qu’il entraina dans les clubs de jazz de Montmartre et qu’il conseilla en matière d’écriture pour l’instrument sur la partition du Bolero. Autant d’évocations tournant autour de cette souplesse avec laquelle Mathias Mahler coula sa coulisse parmi les méandres des cordes dont les percussions de Michele Rabbia fendait le cours d’oniriques aspérités tirées de ses percussions ou de son petit bazar électronique, lorsqu’il ne joignait pas au flot de l’orchestre le legato ondoyant de sa scie musicale.

C’est cette image du flot, du flux, de fluidité, qui domine, tant est grande la porosité entre les parties musicales, entre l’initiative improvisée de chacun et la consigne écrite d’un seul. Tout s’écoule et converge, conflue sans rupture ni pause mais à travers des paysages changeants vers un inéluctable delta sonore sur lequel descend enfin le silence de la nuit.

24 heures plus tard, même endroit, Régis Huby présente sur scène (pour son troisième concert) le programme de son nouveau disque “Inner Hidden”. On retrouve Michele Rabbia, sa batterie bruissante et, le temps d’une courte séquence, rock-percutante, sa scie musicale et ses bidouilles électroniques. Mais désormais, c’est l’ensemble de l’orchestre qui est “branché”, Régis Huby (violon et violon ténor), Tom Arthurs (trompette) acoustique sur le disque et qui sur scène a voulu en être, Eivind Aarset (guitare électrique) qui s’est fait une réputation tant par sa guitare dont il use de façon minimale que par son impressionnant troupeau d’effets parqué devant lui sur le couvercle de son flight case de guitare, et Bruno Chevillon (contrebasse) qui partageait déjà ce goût pour l’électronique au sein du trio Huby/Chevillon/Rabbia (“Codex”, “The Ellipse”).

Ici point d’informatique lourde (si l’on excepte le macbook ouvert par Aarset), pas de manipulation en direct du son de l’autre et un usage de boucle assez discret, mais cet art de la bidouille qui consiste à combiner entre eux une multitude de boîtiers actionnés à l’aide de pédales, potentiomètres, curseurs et autres interrupteurs, chacun déformant, recomposant le son de son propre instrument à volonté. Régis Huby n’est pas nouveau dans cet art de marier l’électronique au geste violonistique. On se souvient dès 2005 de son duo “Too Fast for Techno” en duo avec le trompettiste Serge Adam, de sa position d’homme-orchestre dans son duo avec Maria Laura Baccarini “Gaber, Io e le Cose” et son programme “Unbroken” avec le trio à cordes Ixi, le manipulateur sonore Jan Bang et déjà Eivind Aarset et Michele Rabbia.

Comme la veille, le programme est un seul développement continu débutant par un unisson violon-trompette d’un lyrisme aérien qui n’est pas sans évoquer Kenny Wheeler, premier tour de rouet d’un long déroulé, de rendez-vous écrits aux apparitions discrètes en improvisations qui en départent ou s’y rallient, improvisations certes individuelles mais en constante interaction, dans une pénétrante écoute l’une de l’autre. S’il s’agit encore de mémoire, elle semble en appeler à des civilisations lointaines, à des mythologies ancestrales, à des souvenirs mythiques d’avant l’anthropocène, voire parfois même d’avant l’apparition de la vie sur terre, mémoire liquide, minérale, magmatique, traversé d’éruptions solaires et ou de séismes intergalactiques, jusqu’à l’apaisement d’un séjour en quelque monastère agnostique. On pense évidemment à Jon Hassell, son “Fourth World” et ses “Possible Musics”. On pense surtout à Régis Huby, son parcours et cet univers qu’il définit tout en l’élargissant, projet après projet, depuis son premier album qui nous interpelait déjà en 1998, “Le Sentiment des brutes” enraciné dans l’imaginaire breton. Franck Bergerot

Hier, dans une des cryptes du crématorium du Père Lachaise, puis dans un bar du voisinage, les amis de Philippe Carles s’étaient réunis autour de son épouse Michèle pour se joindre à ses adieux.

C’était un peu un adieu à un siècle révolu, à ses idéaux, à un certain idéalisme d’après-guerre, à un siècle qui nous donna même parfois l’illusion d’être la fin de l’Histoire, Histoire qui a poursuivi sa course sans lui, désormais à un train d’enfer, qui sait peut-être même une autre fin que nous n’avions pas prévue, sauf à la craindre sans trop y croire.

Ça a été d’abord Michèle Carles, qui à travers les larmes a su nous dire l’admiration pour le labeur et l’œuvre de son mari, la complicité et l’attention mutuelle, et l’humour du destin qui s’est manifesté dans ces premiers moments d’intimité amoureuse sur une plage de la Méditerranée, pour lesquels Philippe a manqué le fameux concert de John Coltrane au festival d’Antibes-Juan-les-Pins qui se déroulait alors à quelques centaines de mètres de là.

Puis ce fut Jean Narboni qui, dans une apaisante bonhommie, nous raconta la solidarité du trio qui se forma dans les années 1950 à Alger, Carles-Comolli-Narboni, trio qui résista à la dispersion consécutive aux “évènements” d’Algérie et ses conséquences pour se reconstituer à Paris jusqu’à se trouver réuni dans les locaux du groupe Filipacchi où Jean Narboni et Jean-Louis Comolli avaient pris la tête des Cahiers du Cinéma tandis que Philippe Carles gagnait des galons au sein du Jazz Magazine de Jean-Louis Ginibre.

On vit alors, très ému, d’une émotion qui n’avait pas totalement éteint cette pointe de malice qui le caractérise, François-René Simon se remémorer la figure de Philippe Carles et rassembler quelques traits déjà évoqués, silhouette, regard, sévérité et humanité, rigueur et capacité attendrissement, et ce geste qu’on lui connaissait d’ouvrir sa chemise pour s’administrer sa dose quotidienne d’insuline comme d’autres allumeraient une cigarette.

Alexandre Pierrepont improvisa avec l’aisance et la précision qu’on lui connaît, pour revenir sur le chef-d’œuvre de Carles et Comolli, Free Jazz / Black Power qui fit date en 1971, puis auquel on s’habitua comme à une pièce de musée ; pour revenir plus précisément sur l’un des mots-clés de l’ouvrage, celui de polycentrisme et lui redonner toute son actualité et sa nécessité, à l’heure où les tensions, désastres et crimes de masse semblent échapper comme savonnette des mains des dirigeants de la planète les mieux intentionnés.

L’Académie du jazz a rendu hommage à Philippe Carles, l’un de ses membres, en la personne de son nouveau président, Jean-Michel Proust, qui a sobrement résumé les différents chapitres précédemment évoqués, notamment ce tour de force qu’a été Le Dictionnaire du jazz et sa réédition en collaboration avec André Clergeat et Jean-Louis Comolli.

Enfin, Mathilde Azzopardi, nièce de Philippe, s’est souvenue de l’oncle, de ses histoires de jazz, de ces histoires que tous les oncles et tous les grands-pères ont pour les générations qui les suivent. Et elle a rappelé quelques-unes de ces histoires en nous lisant de courts et pénétrants passages de Free Jazz / Black Power.

Emmenée par Frédéric Goaty, auquel Philippe Carles passa le relai au fil des dernières années du siècle passé, et d’Édouard Rencker qui prit la direction de la publication des mains de Sarah Tenot après la mort du père fondateur Frank Tenot, l’équipe de Jazz Magazine – secrétaire d’administration, responsable de la communication, directrice artistique, assistant de rédaction et pigistes – était venue rendre un hommage silencieux, attentif et respectueux à celui qu’ils avaient encore pu croiser dans les locaux de Jazzmag. Pour nous tous, Philippe avait été en quelque sorte tout à la fois “l’oncle et le grand-père de rédaction”. Franck Bergerot

À quelques jours d’intervalle nous parviennent l’autobiographie d’un agent artistique, et les compilations de chroniques de deux jazz critics, ouvrages qui n’ont pas trouvé place dans les pages de notre édition papier surchargées.

Sur le rayon jazz des bibliothèques, parmi les biographies de musiciens on en remarque quelques-unes consacrées à ceux qui ont accompagné leurs vies et leurs œuvres dans le domaine de la production ou de la médiation, le plus souvent sur le mode autobiographique. Ma bibliothèque plutôt bien fournie ne déborde pas de ce genre et, faute de monter sur le tabouret qui y donne accès, je n’en ai guère que trois qui me viennent spontanément en mémoire : en premier lieu l’indispensable John Hammond On Record (découvreur de Billie Holiday à Bob Dylan), le piednicklesque Reminiscing In Tempo de Teddy Reig (premières séances de Charlie Parker, Miles Davis et Stan Getz, notamment) ou le “on the road” Miles To Go de Chris Murphy (roadie de Miles Davis des années 1973-1983). Récits passionnants, témoignages précieux autant que suspects en ce qu’ils ne constituent que des points de vue susceptibles de mégalomanie dans le cas d’Hammond, de forfanterie dans celui de Reig, de partialité pour partie involontaire dans le cas Chris Murphy.

Après avoir été programmateur de la Maison des Arts de Créteil (Soft Machine, Joe Henderson, Slide Hampton… et de nombreux musiciens français pour lesquels il travaillera plus tard), Jean-François Foucault fut l’agent de quelques-uns des plus grands noms de la scène française du dernier quart de siècle (le 20e évidemment) : Daniel Humair, Martial Solal, Patrice Caratini et Marc Fosset, Henri Texier, François Jeanneau, La Compagnie Lubat, Bernard Lubat, Aldo Romano… que l’on croise dans les pages de son autobiographie La Valise de Jean Schwarz préfacée par Franck Tortiller. Ceux qui ont croisé Jean-François Foucault gardent le souvenir d’une personne élégante, cultivée, pleine d’humour et c’est ce qui ressort de cette autobiographie qui commence en culotte courte et où le jazz ne fait qu’une apparition progressive, pour ne s’imposer vraiment que la première partie du livre franchie, son titre ne trouvant son explication que vers la fin, avec le souvenir de la disparition jusqu’à la dernière minute avant une début de concert, de la valise de Jean Schwarz contenant un synthétiseur-échantillonneur qu’avait sollicité Michel Portal. S’il comporte quelques autres aventures savoureuses et nous éclaire sur les tours et détours par lesquels on devient agent et conduit cette activité, on reste sur la crête de l’anecdote et du parcours personnel en regrettant l’absence de précision chronologique, hormis la date de naissance précise de l’auteur et de parcimonieuses mentions de mois ou d’année, ce qui fait perdre à l’ouvrage une partie de son intérêt historiographique.

Du côté des journalistes, cédant rarement à la pure autobiographie, ils sont plus souvent tentés de réunir leurs articles et simples chroniques en un recueil qui selon le ton pris peut présenter quelque caractère autobiographique. Pierre de Chocqueuse avait livré en 2021, sous le titre De la Musique plein la tête, une autobiographie de jeunesse qui, sur un ton badin, nous racontait ses premiers émois musicaux ou autres, et ses premiers jobs dans le domaine musical, plus du côté du rock que ce celui du jazz, une suite nous étant promise concernant la musique qui nous intéresse dans nos pages. Préfacé par Laurent de Wilde, sous-titré Chroniques 2010-2020, De Jazz et d’autre est cette fois-ci un recueil des chroniques que Pierre de Chocqueuse publia sur son blog, le Blog de Choc, au gré de ses fouilles chez les disquaires, ses écoutes et ses sorties en concert. Fixant sur le papier une abondante littérature à l’origine destinée à l’immédiateté et l’éphémère propre aux écrits réservés à internet, il nous livre un retour sur 10 ans de jazz tel qu’il les a vécus, sous la forme d’une sorte de journal de bord. Toujours badin, il consigne ainsi ses découvertes, ses enthousiasmes, déceptions et questionnements de jazzfan, sans rien nous dissimuler de ses autres passions – cinéphilie, bibliophilie, beaux-arts –, amitiés et rencontres, celles-ci lui inspirant des personnages fictifs et cocasses, amalgamant certains caractères, reflets de la diversité de la jazzophilie. La difficulté à concevoir un récit de l’actualité du jazz depuis les années 1990 ayant découragé les candidats autrefois nombreux à l’écriture d’une histoire du jazz, peut-être faudra-t-il désormais, pour raconter ce début de siècle – vingt-trois ans déjà –, se contenter de telles compilations de chroniques, qu’il faudrait d’ailleurs compiler entre elles pour obtenir un véritable aperçu de la réalité.

Le problème des livres dans nos vies contemporaines sursollicitées, c’est qu’en lisant on ne peut rien faire d’autre et, en voyant la pile des ouvrages (littéraires ainsi que, me concernant, “jazzographiques”) qui s’accumulent sur nos bureaux, sur nos tables de nuit ou sous forme de fichiers dans nos “machines informatiques”, on rêve parfois d’avoir la capacité d’en lire quatre à la fois, un dans chaque main, les pieds tournant les pages de deux autres. Peu concevable. En revanche, on peut lire certains livres en faisant tourner sur le lecteur CD les disques qui s’accumulent tout autant (« il y a trop de disques » avait coutume de me dire Pierre de Chocqueuse lorsque je lui passais commande de chroniques pour Jazzmag) ou s’en remettre à la playlist d’un service de streaming. Il s’agit alors moins d’écouter que d’entendre. Musique de fond. On peut faire ainsi beaucoup de choses en écoutant de la musique avec plus ou moins d’attention. Keith Jarrett enrageait lorsqu’on le félicitait à propos de “Köln Concert” « idéal quand je fais le ménage. » (au plumeau j’espère ! Qu’aurait-il pensé si je lui avais dit que, passé les dix premières minutes de son chef-d’œuvre, j’ai tendance à mettre l’aspirateur en route). Mais la lecture de certains livres ne supporte pas la musique, lorsque l’on passe de ce que Roland Barthes appelait “l’écrivance” à “l’écriture”, la plume de l’auteur imposant alors une musicalité qui ne tolère aucune concurrence musicale.

Fondateur du label Axolotl (Guillaume de Chassy, François Tusques, Lee Konitz), accessoirement premier lecteur du blogdechoc comme il est précisé en guise de dédicace de De Jazz et d’autre, Jean-Louis Wiart pourrait prétendre à ce statut d’Auteur avec un grand A. Après De l’axolotl paru en 2012 dans La Revue littéraire, il livre lui aussi ses chroniques sous le titre Chroniques allumées, en ce qu’elles furent écrites pour et publiées dans Le Journal des Allumés du jazz. Sa plume est de ce classicisme dont on a perdu l’élégance, et le goût que l’on prend à retrouver celle-ci se joint au plaisir de suivre une pensée pleine de malice et d’humour qui chemine patiemment et sûrement, non sans s’autoriser détours et vagabondages assumés, puisant ses arguments parmi les trésors d’une culture étendue très au-delà du jazz, possédée, maîtrisée, pensée jusqu’à braver l’adversité. Car on peut, sans partager tel ou tel autre point de vue de Jean-Louis Wiart, voire en s’y opposant totalement, prendre néanmoins du plaisir à suivre les méandres où ce dernier nous entraine. Avec cet avantage, comme on le fait d’un recueil de nouvelles, de pouvoir lire l’une ou l’autre de ces chroniques le temps d’une attente chez le dentiste et en oublier que ce dernier s’apprête à vous arracher toutes les dents du haut. Et, d’oublier l’ouvrage pour le rouvrir au hasard, chez le même dentiste le jour de la pose de vos nouvelles dents, ou lors d’un voyage en métro. Dans ce dernier cas, en comptant de 1’30 à 2’ de lecture par page et moyennant une durée à peu près équivalente d’une station à l’autre, on choisira à sa longueur le parcours convenant à chaque chapitre. Franck Bergerot

La Valise de Jean Schwarz, Jean-François Foucault, Le Lys bleu, 209 p., 20,90 €

De Jazz et d’autre, chroniques 2010-2020, Pierre de Chocqueuse, Les Soleils bleus, 241 p., 15 €

Chroniques allumées, Jean-Louis Wiart avec Jeanne Puchol pour les illustrations, Les Soleils bleus, 183 p., 13 €