Actualité
Publié le 19 Juil 2024

Charles “Lolo” Bellonzi  “Tambour battant”

C’est Gérard Teillay qui m’a fait part, dans un message téléphonique, du décès de Charles Bellonzi, le 11 juillet dernier, il y a déjà plus d’une semaine ! Photographe, Gérard Teillay a consacré ses derniers travaux au troisième âge, au vieillissement, à l’abîme, à ces abîmes où le corps et l’esprit s’abîme, et à l’oubli, celui de soi-même qui s’avère parfois être le meilleur remède à l’oubli des autres.

Oubliera-t-on Charles Bellonzi, que moi-même je n’ose appeler “Lolo”, par cette timidité que nous impose l’absence d’intimité. Pourtant, c’est sous cet affectueux surnom dont j’ai d’abord cru qu’il était le diminutif de Laurent, qu’il est connu et salué ces jours-ci sur les réseaux sociaux. Mais de lui, qu’il m’est arrivé de voir jouer en club, je crois n’avoir jamais écrit une ligne qui m’autorise cette familiarité, sinon du temps où je rédigeais les programmes de concerts de Jazzman.

Avec la pyramide des âges et l’extension des territoires du jazz, la nécrologie, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, est devenu un “embarras” dans la presse écrite, à l’exception de quelques grandes figures médiatiques. La pagination des revues de jazz n’a pas crû à l’échelle de cette pyramide et de ces territoires actuels. Et le temps nécessaire à l’écriture, au-delà de la litanie des “r.i.p.” n’est pas plus extensible ; et alors qu’hier, je tombais du lit à 6h30 avec cette envie pressante d’écrire en toutes lettres « Charles “Lolo” Bellonzi » sur le site de Jazz Magazine ; alors que l’œil sur ma montre, ayant un train à prendre, je tirais à la ligne pour contourner la difficulté de dire “l’efficacité et la discrétion” particulière de ce batteur que je ne connais que de réputation, d’en dire l’art et la carrière autrement qu’en énumérant les noms des musiciens qu’il a accompagnés ou dirigés, j’apprenais la mort d’Irène Schweitzer… que je connais à peine plus que Charles Bellonzi, bien que ma discothèque lui accorde une place plus grande du fait d’une œuvre phonographique sous son nom d’un tout autre volume… Et j’imaginais la cohorte des musiciens en âge de se faire céder une place assise dans le métro, s’avancer à leur tour en rangs toujours plus serrés vers le jour où chacun son tour pourra prétendre à l’éloge funèbre de la presse. Y aura-t-il encore de place pour l’actualité ? Y aura-t-il encore une actualité du jazz ?

Et ce matin, mon texte couvert de ratures, c’est un coup de fil à Gérard Teillay qui m’est venu en aide. J’ai connu ce dernier par mon épouse, Nathalie Hureau, qui partage avec lui une même passion pour l’image photographique ou filmée, ce qu’elle raconte et la façon dont elle le raconte. Et les rares fois où j’ai rencontré Gérard, il m’a parlé de jazz, d’une réalité du jazz qui n’était pas ou plus tout à fait la mienne, de la nostalgie de ce jazz qui avait été le sien et dont il semblait douter qu’il puisse encore exister ou, tout du moins, que ce qu’il en reste ait quelque relation à ce jazz contemporain multiple et fragmenté qui est le mien, ou avec les fragments que j’évoque le plus spontanément. Et ces évocations le ramenaient régulièrement à “Lolo” Bellonzi, son ami, et quasi voisin, dans le Poitou, qu’il voyait vieillir.

Auparavant, j’avais consulté sa discographie, assez modeste, fait une recherche au nom de Bellonzi dans mon index des articles parus dans Jazz Magazine. N° 577 de janvier 2007 : rien, probablement une erreur de saisie dans l’index que j’ai moi-même établi. N°173 de décembre 1969 : une chance, il figure sur mes étagères, avec un article dans les pages d’actualités concernant le trio de Martial Solal. Hélas, l’acquisition de ces numéros datent d’une époque immature où je les découpais pour en coller les coupures sur les pochettes intérieures de mes vinyles. N°145 d’août 1967 : Idéal ! Un blindfold test mené par Jean-Louis Ginibre! Las ! Même constat, et je me demande d’ailleurs si c’est moi qui ai découpé ces pages ou s’il ne s’agirait pas plutôt de numéros acquis d’occasion beaucoup plus récemment, et découpés par d’autres. Enfin, le numéro 128 de mars 1966. Juché sur un tabouret bancal posé sur une banquette-lit instable, je parviens à l’atteindre… et il est complet ! L’article d’André Vacher tient sur une colonne de la page Où jouent-ils ? qu’il tenait à l’époque dans les premières pages de Jazzmag. Modeste, mais capital, le premier article consacré à Charles Bellonzi ! (Je n’ai pas pris le temps de consulter Jazz Hot pour lequel je ne possède pas d’index aussi détaillé.) On y apprend qu’il est né le 14 janvier 1941 à Nice, qu’il a joué de l’accordéon avant d’opter pour la batterie et qu’il monte à Paris en 1960 pour se faire connaître au Tabou et au Club Saint-Germain. Il retourne en juillet 1964 étudier à Nice au conservatoire et remonte à Paris pour remplacer Daniel Humair dans le trio de Martial Solal.

Martial Solal ! À en croire mon index, Jazz Magazine n’aurait eu de considération pour Charles Bellonzi que durant ses années passées chez Solal (1964-1968) avec son partenaire des années 1960, le contrebassiste Gilbert “Bibi” Rovère, tous deux prenant de 1964 à 1968 la place occupée auparavant par Guy Pedersen et Daniel Humair. Des années que semblent passer sous silence – et qu’ils méconnaissent peut-être – ceux qui lui rendent hommage ces jours-ci sur internet, leurs souvenirs étant probablement plus tardifs. Martial Solal en faisait baver à ses batteurs, sur des arrangements labyrinthiques et millimétrés. Et, dans le film auquel je vais vous renvoyer, Charles Bellonzi reconnaît tout à la fois que ce fut pour lui une véritable école de l’exigence mais qu’il n’en appréciait pas totalement la froideur. Et l’on sent que son appréciation tient de l’euphémisme. Moi, j’adorais… ce dont tout le monde se fiche, sinon que s’éclaire ainsi cette assiduité avec laquelle j’ai pu fréquenter la scène du jazz français, sans jamais me familiariser avec Bellonzi. D’autant plus que, de par mon âge, j’ai couru les concerts de Solal une décennie plus tard et que ses disques de la seconde moitié des années 1960 sont restés inédits. Quatre années de musique ! Au cours desquelles Bellonzi n’a fait d’autres infidélités phonographiques à Solal que pour Ivan Jullien et son “Paris Point Zéro”. Tâchez de mettre la main par internet sur Fafasifa de l’album du même nom, Lady Bird en concert au Blue Note, Morceau de Cantal sur “Son 66” ou Liberté Surveillée sur “En liberté”… Quand même !

Mais d’aucuns m’accuseront de trahir sa mémoire par cette incompétence consistant à ne présenter Charles Bellonzi que sous ce jour-là. Et là, c’est encore Gérard Teillay qui vient au secours de mon “malentendu”, avec “Tambour battant”, un admirable petit documentaire de 19’ qu’il a réalisé dans le cadre d’un travail filmographique de lycéens et qui circule ces derniers jours sur la toile parmi ses amis et ses fans. On y voit et entend Bellonzi raconter sa vie, la vie du jazz à Paris, commenter les photos d’une vie ou son travail sur l’instrument, monter sa batterie, enseigner à de jeunes gens comme un raconte une histoire, etc. et jouer en trio devant la caméra avec le contrebassiste Wayne Dockery et un Olivier Hutman au sommet de son art, sur un répertoire de standards et de compositions du pianiste et du batteur lui-même. Un portrait de musicien complet où, appréciant ce parfait équilibre entre la passion et la mesure, entre l’économie et la profusion, entre l’écoute et l’initiative, entre l’anticipation et la réaction, entre le son et le rythme, entre la mathématique du mètre et la musicalité tirée des peaux et des cymbales, je m’autorise enfin à l’appeler “Lolo”. Mon hommage aurait dû commencer par là. Franck Bergerot

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