Génération Hargrove

Certains l’ont connu de près, d’autres l’ont croisé ou ont été bercés par sa musique : petit florilège de témoignages sur l’importance d’un trompettiste pas comme les autres dont l’influence est toujours aussi forte.

Antoine Berjeaut, trompettiste
« J’ai adoré ce qu’il faisait au début des années 2000, le RH Factor mais aussi “Voodoo” de d’Angelo et “Mama’s Gun” d’Erykah Badu auxquels il apportait un nouveau son. Il respectait les codes de la musique des autres et s’inspirait de leur façon de produire pour faire quelque chose qui colle, comme avant lui Miles Davis, Jon Hassell ou Nils Petter Molvaer. Techniquement, ce qui m’a le plus marqué c’est la collaboration avec Herbie Hancock et Michael Brecker [“Directions In Music Live At Massey Hall” publié en 2001 sur le label Verve]. J’ai aussi adoré Crisol, “Habana” et celui qui est sorti récemment “Grande-Terre”.
Mais j’aimais aussi sa manière de rassembler les gens : il savait fédérer les meilleurs. C’était aussi un excellent joueur de bugle. Mais ce n’est pas pour sa technique qu’on l’écoutait. Il ne m’a pas influencé que par la musique mais par l’attitude aussi. Il était en phase avec son temps alors que quand j’ai commencé, la plupart des “young lions” étaient en costard-cravate, ils venaient d’un autre continent, et je les respectais sans m’identifier à eux. Avec Roy, on a compris que c’était possible de faire une musique qui nous ressemble. Il ne trahissait jamais la tradition qu’il passait beaucoup de temps à transmettre aux plus jeunes. Je l’ai vu plein de fois aux jams jazz de Jazz in Marciac jusqu’à 3 heures du matin, ou dans des after hip-hop au SOB’s à New York, parler à des rappeurs au Parc Floral… il tenait beaucoup à la tradition orale et c’était très inspirant. Je l’ai vu pour la première fois au centre Paul Bailliart à Massy, en quintette, et on avait discuté après le concert, il était très sympa et m’avait donné des conseils. Son aura allait au-delà du jazz et beaucoup de gens qui n’en écoutaient pas allaient à ses concerts quand même. »

Jacques Schwarz-Bart
« Roy s’exprimait avec très peu de mot mais il était toujours très clair dans ses indications. Ce n’était pas difficile de savoir s’il aimait quelque chose ou pas ! C’est quelqu’un qui aimait très fort, et quand quelque chose ne lui plaisait pas il n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Il écoutait parfois quelque chose une demi-seconde avant de dire « non, non ! ». Mais quand quelque chose l’inspirait il avait des réactions assez extraordinaires : parfois il criait, il sautait de joie, il soulevait sa trompette au-dessus de sa tête… C’est comme ça que j’ai compris avant même qu’il me dise que je faisais partie du groupe qu’il voulait me garder dans car souvent au milieu d’un concert, au milieu d’un solo, il criait pour m’encourager quand je jouais une phrase qui lui plaisait. Quand lui-même jouait, il avait souvent des réactions physiques qui ponctuaient ses phrases.»

Ananda Brandao, batteuse
« J’aime son éclectisme, sa façon de joindre l’univers du quintette de jazz et celui du hip-hop, et de façon générale j’admire son parcours. J’aime beaucoup aussi certains disques très jazz, mais où j’entends aussi dans sa façon d’écrire ses autres influences. C’est très inspirant pour composer avec un quintette acoustique avec trompette et saxophone, tout en gardant ses sonorités-là. Et “Voodoo” de d’Angelo, auquel il participe, est aussi l’un des disques qui ont le plus compté pour moi. »

Hermon Mehari, trompettiste
«Tous les albums de Roy ont compté pour moi, y compris ceux où il était sideman. “Birds Of A Feather” avec Roy Haynes, “Directions In Music” avec Herbie Hancock, sa façon de jouer sur ces disques était vraiment impressionnante. J’adore aussi le côté hip-hop et de voir quelqu’un qui était autant dans la tradition faire le RH Factor ou jouer avec Common (“Like Water For Chocolate” est un de mes disques préférés), c’était très fort. Quel que soit l’artiste avec qui il jouait, il gardait sa sonorité. Et avec lui, il n’y avait pas de feux d’artifices comme chez Wynton Marsalis ou Nicholas Payton par exemple : chaque note comptait, il était toujours mélodique et son groove était hyper fort. Il connaissait la tradition mais il restait très moderne. A l’époque où je vivais à Kansas City, ce devait être en 2015, je jammais avec des rappeurs et des vocalistes dans le style du RH Factor, et Roy était passé jouer avec nous. Il nous enterrait tous ! Il nous donnait beaucoup de conseils mais il restait très encourageant. »

Clélya Abraham, pianiste et chanteuse
« J’aime particulièrement le premier album du RH Factor “Hard Groove”. Le son du groupe est incroyable, il y a une connivence exceptionnelle et le disque porte bien son nom : ça groove énormément ! Ca va directement dans la poitrine et on bouge avec la musique. J’aime ce côté collectif, où tout le monde a sa place et où personne ne ressort plus qu’un autre et sur ce point on pourrait faire le lien avec ma propre musique aussi. J’aime bien aussi être leader mais l’importance de l’identité du groupe, je la retrouve par exemple dans Abraham Réunion ou dans le Crafting Quintet où on prend les décisions ensemble. Roy Hargrove ne cherchait pas à faire compliqué pour faire compliqué et cette accessibilité, notamment l’importance du chant dans sa musique, est importante pour moi aussi. J’aime créer des liens entre les gens ! »
Au micro : Yazid Kouloughli / photo de couverture : Roy Hargrove par Anna Yatskevich