Helveticus exaltant
C’était hier, 18 octobre, dans le cadre de JazzContreBand, au One More Time de Genève avec Samuel Blaser, Heiri Känzig et Daniel Humair, un trio sans leader, parce que c’est comme ça.
Hier, 18 octobre, le festival transfrontalier JazzContreBand n’aidait pas à savoir où donner de la tête : Sélène Saint-Aimé à l’APEJS de Chambéry, Sebastian Volco Trio à la Comédie Ferney de Ferney-Voltaire, Louis Billette Lux Sextette à la Spirale de Fribourg, Pascal Auberson / César Decker / Matthieu Michel à l’Espace Vélodrome de Plan-les-Ouates… J’ai choisi la facilité, à quelques centaines de mètres de la gare Genève-Cornavin, au One More Time qui accueillait le trio Helveticus de Samuel Blaser, Daniel Humair et Heiri Känzig.
One More Time est le nom donné aux concerts du vendredi organisé par l’AGMJ (Association genevoise des musiciens de jazz, fondée en 1978) au centre artistique Adéléa (44, rue Servette, à Genève, près du quartier dit “Les Grottes”). C’est aussi le titre du périodique de l’association dont le numéro 245 (septembre-octobre 2024) au format A5 de 48 pages propose actualités de l’association, chroniques de disques et concerts, un portrait de Lucas Fléchet à la tête du Pôle Musiques actuelles de Château Rouge et un dossier sur les trios piano-guitare-basse – genre qui précéda l’archétype du trio piano-basse-batterie – de Nat King Cole à Monty Alexander en passant par Art Tatum, Ray Charles, Oscar Peterson, Lennie Tristano, Ahmad Jamal, Wynton Kelly, Billy Bean, Jim Hall… avec une suite dans le prochain numéro. En outre, en ouverture de chaque numéro, un choix de photos parmi les 40 000 négatifs, 15 000 épreuves argentiques et 23 000 diapositives, que la photographe Danny Ginoux née en 1944 a légués au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève après avoir cessé ses activités.
Aux concerts du One More Time, le public n’est pas des plus jeunes (certes guère guère plus que moi-même et désormais guère plus que la moyenne habituelle des concerts de jazz, à l’exception de ceux qui s’écoutent debout une bière à la main et des bouchons dans les oreilles); mais un public des plus avertis. On y reconnaît thèmes et harmonies ou l’on s’y dispute parfois en cours ou fin de concerts quant à leur identification. Avec les reprises et travestissements du trio Helveticus, il y avait de quoi faire, même si certains étaient annoncés : Les Oignons rebaptisé Les Échalotes par Humair, High Society, Ory’s Creole Trombone et aussi Jackie-Ing (mais à laquelle de ces reprises un ami assis à côté de moi me donna un coup de coude pour me signaler l’emprunt par Heiri Känzig d’un riff du thème générique de Mission Impossible?).
Pourtant, une habituée ayant pris place à notre table me salua en me disant : « Il paraît que la musique ne sera pas facile ce soir. » Ce à quoi je répondis : « Pas facile, mais vous verrez, exaltante » Il faut dire que de reprises en reprises (parmi lesquelles deux hymnes, celui de la Suisse et celui de l’armée républicaine irlandaise que Daniel Humair a conservé à son répertoire depuis 2001 et l’album “Liberté surveillée”), il y avait fort à faire tellement les rythmes, mélodies et formes en sont remaniées, comme pâte à modeler, et soumises à calembours musicaux, les originaux relevant eux-mêmes d’abstractions soumises à toutes les combinaisons plastiques, les arts plastiques étant au cœur du sujet avec le thème d’ouverture signé Humair : Jim Dinne qu’il avait déjà enregistré en hommage à l’artiste américain du même nom avec Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki.
Individuel ou collectif (acoustique pour la batterie et simple soutenu pour la contrebasse et le trombone), le son est magnifiquement présent, une proximité que les sonorisateurs contemporains semblent avoir oubliée. Le jeu collectif est jouissif, ces trois musiciens étant constamment dans le jeu, le jouage, le plaisir de sonner, de jouer avec les rythmes, les mélodies et les formes. Fatigué par une récente tournée de neuf dates en trio avec Jérôme Sabbagh et Ben Monder (au cours de laquelle il s’est fait remplacer pour deux concerts parisiens au Sunset), Humair ne le laisse paraître qu’en coulisse. Sur scène, il ne subsiste que son intense présence à ce que joue ses comparses : Samuel Blaser, virtuose de la coulisse, des timbres et des formes ; Heiri Känzig au son plus court que Jean-Paul Celea dont j’évoquais hier la complicité avec Humair ; quelque chose de plus mingusien, ce qui n’exclue pas une activité intense et gracieuse sur le manche et un moment particulier de grâce sur l’exposé et les variations d’une mélodie traditionnelle. « Alors, si difficile ? » demandai-je à ma voisine qui n’avait cessé d’opiner de la tête tout au long du concert et qui me répondit du tac au tac dans un grand sourire : « Exaltant ! » Franck Bergerot
Suivre Samuel Blaser sur les route de sa tournée avec Marc Ducret et le batteur danois Peter Bruun : le 28 octobre, Gallerie Maerz à Linz en Autriche, le 31 au Périscope de Lyon, le 1er novembre à la Casa del Jazz de Rome, le 2 à Dachau en Allemagne, le 4 à la Galerie Paul Fort à Paris, le 6 novembre au Fatjazz de Hambourg. On retrouvera le tromboniste notamment avec Michael Riessler, Marc Ducret et Pierre Charial le 9 au festival Jazzdor de Strasbourg, et avec le Daniel Humair Quartet le 29 au Triton.
Ce soir, au menu de JazzContreBand : Léon Phal 5tet à Château rouge à Annemasse, Sélène Saint-Aimé à la Fraternelle de Saint-Claude, Corbaal + Erik Truffaz à l’Usine à Gaz de Nyon, Alix Logiarco à l’Auberge des Bergers de Mérins, le quartette So Lieb de la trompettiste Sonja Ott et du batteur Philip Leibundgut, tous deux compositeurs à l’AMR de Genève.