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Publié le 10 Mar 2025

Hourc: LéNo, jazz de salon en Pyrénées Hautes

Leonardo  Montana (p), Arnaud Dolmen (dm)

Hourc (65 350), 7 mars

Concerts, festivals, clubs, petites ou grandes salles, associations ou organisateurs avec salariés et/ou intermitents: tout le spectacle vivant du domaine musical se retrouve aujourd’hui pris dans les secousses sinon l’essorage financier des politiques publiques en matière culturelle. Aussi ne peut-on que souligner certaines actions pérennes telle celle menée à la MDA (Maison des Associations du Quai de l’Adour) de Tarbes, l’aide aux musiciens, aux groupes, les concerts en particulier, un à deux par mois. Tout sauf un hasard du essentiellement au travail de Jean Michel Thinot, principal protagoniste entouré de sa petite équipe de bénévoles. Thinot tête de réseau assure les contacts, la programmation, les présentations, la sono si besoin était. Bref il met les mains dans le cambouis. Et lorsque le joli petit théâtre des bords de l’Adour se trouve pris il ne recule pas. Il cherche d’autres lieux d’accueil du spectacle, trimballe musiciens, instruments et sonorisation. Enfin lorsque Tarbes et son agglo n’offrent plus de disponibilité pour un un soir, Il fait en sorte d’accueillir dès lors tout son petit monde, tout son petit matériel chez lui…dans son salon perché sur les contreforts du piémont haut pyrénéen. Ainsi ce soir là le duo a joué sur son propre piano « heureusement rénové à temps » et sur sa batterie perso. « C’est vrai que outre mon travail de musicien, les cours au Conservatoire – tiens cette saison on y  reçoit aussi des élèves musiciens de Marciac – , le boulot de programmation, de production des concerts, la réception des musiciens pour la MDA, ça commence à faire un peu beaucoup… » Heureusement pour ce concert « maison » de LéNo, les spectateurs « plus ou moins des intimes » avaient apporté, outre leur subside pour la soirée, qui des bouteilles, qui des petits plats préparés, qui du sucré, qui du salé…De quoi se substanter, se régaler une fois le bis épuisé. Leonardo Montana comme Arnaud Dolmen y souscrivaient d’avance.

Jean-Michel Thinot

LéNo c’est un disque (Samarra Production, & Quai-Son Records / L’autre distribution). LéNo, jonction de la première syllabe du nom du pianiste accolée à la dernière du  prénom du batteur, donne d’abord matière à un duo. Place nette à la musique maintenant. « Hey Cousin» met en jeu une série de décalages rythmiques sur la base d’accords de piano travaillés en ce sens. Arnaud Dolmen, guadeloupéen nourri à la tradition de ces frappes sur peaux naturelles y dévoile d’entrée sa science du tambour. On parlait de duo. Il suffit de les regarder autant que de les entendre, dans une surface ainsi resserrée, sorte de jazz de salon, ce modèle réduit vit d’échanges, d’interplay, de petits défis successifs l’un envers l’autre.  

Le morceau décliné en deux parties ouvre l’album « Les invisibles » -composé durant la pandémie et à ce titre sensé rendre hommage à tous ceux qui ont oeuvré à sa résolution- offre la substance dense d’une figure répétitive. Musique comme l’inscription dans un rituel, un rythme, une séquence de lewoz, célébration du tambour traditionnel et du chant en  Guadeloupe. Voire des phases initiatiques de carnaval à Bahia, toutes renforcée dans leurs temps forts par le phrasé créole qui colle au sujet. On y sent encore et toujours cette complémentarité, ce vent d’écoute mutuelle, soit autant de moments de développement solo pour l’un comme pour l’autre y compris. Pour les plus attentifs on aura reconnu au passage une petite citation de l’Afro Blue de Mongo Santramaria sacralisé par Coltrane, piquée d’un reflet mélodique au métalophone. Sorte d’ ancrage  affirmé dans l’histoire de cette musique afro américaine. La musique, les moments d’exposition du thème passant rapidement aux joutes d’improvisations, vit en une grande intensité, déroulés pianistiques main droite sur le clavier, soutien d’accords à gauche, avec en frontal le jeu d’Arnaud Dolmen, animation forte de peaux, de cymbales en combinaison complexes, feux de percussions continus. Le duo, en face à face, n’oublie pas pour autant de se retrouver sur un vocal en leitmotiv à deux voix croisées. Tranchantes. Le chant n’est pas juste un décorum. Ainsi placé, Il participe du sens donné.

Leonardo Montana

« Outre nos propre compositions on tient aussi à rendre hommage à un musicien qui nous a marqué. Un super compositeur ». « Joy rider » rend grâce au talent d’écriture de Wayne Shorter, la mélodie s’y inscrit en ligne de notes étoiles. Un thème tout de brillant aussitôt enchaîné avec « Spirale » figurant lui en quatre mouvements dans l’album du duo. Ou quand la musique mue par le besoin d’impro déroule naturellement des fils de couleurs entre quatre murs garants (normalement, normativement ? ) – du jazz maison, on se répète…- d’une certaine intimité. (Leonardo Montana, lui l’avait déjà trouvé ce pan d’intime dans son album solo « A flor de pele »/ Paradis Improvisé,  enregistré dans un appart privé de Marseille…) « Romance de la luna tucumana » à suivre, de l’argentin Pedro Aznar, vient en une balade teintée de finesse. « Zouky Monky » très marqué en rythmes de danse des Antilles; mais incrusté de voicings de piano très comlexes au beau milieu des temps forts. Clin d’oeil : « On a imaginé Arnaud et moi que Monk était venu composer un morceau en Guadeloupe après avoir écouté du zouk…D’où ce plat cuisiné épicé mais qui nous tient à coeur  »

Arnaud Dolmen

Avec en guise de piment une décoction savante des barres de mesure signée Arnaud Dolmen. Final sur « Agora Sim » puis « LéNo » titre éponyme de l’album in fine passé en revue. Le savoir faire de Leonardo Montana éclaire en permanence son jeu pianistique de l’intérieur. Étonnant tout de même comme la batterie d’Arnaud Dolmen reste musicale quelle que soit la puissance du jeu engagée.

Jazz au salon

Robert Latxague

(Photos Robert Latxague)