JEAN-PHILIPPE VIRET TRIO au Sunside
Le contrebassiste Jean-Philippe Viret prépare le disque qui célèbrera, en 2018, les vingt ans de son trio, et il offrait la primeur du nouveau répertoire au public du Sunside
Jean-Philippe Viret (contrebasse), Édouard Ferlet (piano), Fabrice Moreau (batterie)
Paris, Sunside, 22 décembre 2017, 21h
Au fil du concert, le groupe va donner des créations, mais aussi de compositions qui ont existé hors de ce contexte du trio (par exemple trois thèmes du disque « Les Idées heureuses » publiés cette année par Jean-Philippe Viret en quatuor à cordes), sans négliger toutefois le répertoire antérieur : deux extraits de « L’Ineffable », paru en 2015. Dès le début du concert (une composition du pianiste si j’ai bonne mémoire), le décor est dressé : c’est un groupe de leaders et de compositeurs. Chacun apporte des thèmes, et tous concourent à un projet commun : jouer, comme un seul homme, dans une interaction constante, une musique qui a pour ambitions le risque et la beauté. Édouard Ferlet tire magnifiquement parti de ce (relativement) petit piano, notamment par un dosage savant et souvent simultané des deux pédales d’expressions, faisant ainsi chanter l’instrument. Jean-Philippe Viret exploite toutes les ressources de sa basse (en pizzicato comme à l’archet), privilégiant toujours l’écoute et l’interaction, sans chercher à tirer parti de sa positon de leader pour envahir l’espace musical, même s’il apporte la plus grande part du répertoire. Quant à Fabrice Moreau, il ne cède à aucun automatisme, posant chaque impulsion de baguette ou de balai comme résultat d’un choix, conscient ou inconscient, et soignant le timbre, sur les peaux comme sur les cymbales : batteur 100% musical, donc.
Dans une toute nouvelle composition, intitulée (si j’ai bien compris) Indissociable, les rythmes de 3, 5 et 7 temps jouent à cache-cache dans un tourbillon virtuose qui fait participer l’auditeur à la transe qui se joue sur scène, sur fond de pulsation tribale. Le thème suivant (seconde création mondiale de la soirée!), intitulé Saint Awawa, en évocation d’un lieu manifestement cher à quelques Bretons présents dans la salle, nous vaut d’entendre le piano, préparé dans le registre médium, qui délivre une pulsation aux saveurs de balafon, et cela nous entraînera vite dans une sorte de frénésie rythmique et modale. Le public est conquis. Après la pause le deuxième set s’ouvre avec une composition de Fabrice Moreau, Valence, déjà enregistrée par le trio : un thème segmenté où respirent des accents rythmiques très coquins, à la façon de Salt Peanuts.
Le thème suivant, construit autour d’une note obstinément récurrente, fait vivre ce motif en une infinité de variations, denses et subtiles. Et après une composition reprise du répertoire en quatuor à cordes, d’une vibrante pulsation, le set se conclut par un thème d’Édouard Ferlet sur un tempo d’enfer, et des chromatismes qui rappellent Le Vol du bourdon : c’est intensément vivant, tendu jusqu’au vertige, et ce sera l’apothéose de cette partie. Pour la suivante le chroniqueur, à son grand regret, doit partir affronter les incertitudes d’un RER capricieux qui doit le reconduire dans une lointaine banlieue : regret de devoir ainsi quitter la fête, mais joie d’avoir vécu, en auditeur, un très beau moment de musique.
Xavier Prévost