Les Émouvantes 2 : Super Klang et Transatlantic 4
Deuxième journée du festival organisé par Claude Tchamitchian, avec hier 22 septembre la création du Transatlantic 4 imaginé par Sylvain Kassap et Benjamin Duboc, après la prestation de Super Klang.
Super Klang… quésaco ? Un drôle de duo qui fait « Klang » et beaucoup d’autres sons, constitué de Frédéric Aurier (violon, nyckelharpa, klang, pfff, etc.) et Sylvain Lemêtre (zarb, klang, tssst, etc.). Nous les avions déjà rencontrés dans ces pages, le 7 mai 2011, à la même affiche que le trio de Matthieu Donarier*. Ils étaient les deux partenaires du violoneux et conteur auvergnat Jean-François Vrod dans un “concert conté” étourdissant titré La Soustraction des fleurs. Puis nous avions retrouvé Sylvain Lemêtre dans Tower Bridge de Marc Ducret en 2012 à Reims, dans Printemps de Sylvaine Hélary en 2013 à Paris à l’Atelier du Plateau. Frédéric Aurier était quant à lui réapparu dans ces pages en 2022 à l’occasion du concert de Marc Ducret et du Quatuor Bela à l’Underground de l’Opéra de Lyon où nous nous étions souvenu de sa familiarité avec la musique traditionnelle auvergnate et avions remarqué qu’il était le seul du quatuor à improviser.
Illustration: Mouchette © X.Deher (Fictional Cover)
C’est cependant par une partition que débuta le concert, partition de frappes à l’origine, Lemêtre l’ayant d’abord écrite pour le zarb avant d’y ajouter des hauteurs de note pour le violon, unisson exigeant une précision diabolique tant ses contours sont virtuoses, intitulée Bonsoir en ouverture du concert et, moyennant quelque variante, Au revoir fin de programme. Avec quelque chose évoquant le côté ludique de la troisième des trois pièces pour clarinette solo d’Igor Stravinsky ou Joyce composé par Peter Eötvös pour le même instrument. La lecture et l’improvisation seront en concurrence tout au long de ce programme réglé justement comme du papier à musique où l’on voit Lemêtre quitter le zarb au premier plan pour disparaître derrière un capharnaüm de percussions et idiophones en tous genre, de ceux que l’on trouve au magasin de musique comme aux rayons ustensiles et bricolage, dont une petite table de cuisine où durant tout le concert Lemêtre passera son temps à « mettre et remettre la table », disposant, échangeant, redisposant bols et assiettes en divers matériaux.
Dans Trois Totems, oscillant entre mémoire auvergnate et abstractions sonores, les thèmes et variations du violon dialoguent avec un délicate polyrythmie déployée autour de trois percussions graves « enclavées » l’un à l’autre qui nous incitent à scruter le dispositif du percussionniste à la recherche de quelque séquenceur jusqu’à ce que l’on se rende à l’évidence de ce que ces frappes sont trop humaines pour avoir été programmées en boucle et que l’on découvre dans l’obscurité sous la table – un toile tendue sur cadre qui est elle-même percussion – un diabolique jeu de pieds actionnant un ingénieux montage de pédales actionnant grosse caisse, cajon et autres calebasses.
Tout relève dans leur déplacement d’une précise mise en scène, chaque nouveau morceau nécessitant de redisposer l’espace des percussions, temps mort durant lesquels le percussionniste lance quelque automatisme naturel, laissant descendre un boulot le long d’une longue tige fileté dressée devant sa table ou lançant un jeu de balles pendulaires, distribuant enfin quelques frappes éparse au fil de son installation. Aurier n’est pas en reste qui use du violon avec des gestes de violoneux imaginaire et d’interprète de Bartók et Ligeti, remplaçant l’instrument ici et là par la vièle à archet suédoise, le nyckelharpa, dont il explique que si l’on laisse un violon alto à proximité d’une vielle à roue par une nuit sans lune et il probable que l’on trouve au petit matin un nyckelharpa.
On retrouve là l’esprit de La Soustraction des fleurs, l’humour et le théâtre étant au rendez-vous, également millimétré et pince sans rire, avec quelque chose qui tient de la rencontre entre le clown Grock et Maurizio Kagel. Et si l’on invoque ici le monde de la musique contemporaine, on se souvient des propos de Barre Phillips dans un ancien numéro de Les Allumés de jazz où le contrebassiste s’était lassé de faire des scratch et de pouing sur l’injonction d’un compositeur tout puissant et que, des scratch et des pouing l’instrumentiste était bien capable de les improviser tout seul ou avec ses copains. Et nos deux Super Klang de mêler à leur coups d’archet et de cymbales digitales, à leurs pizzicati et à leur flexatone des tsssst et des pffff produit d’entre leurs lèvres. Vous avez dit « chiant » ? Triomphe à l’applaudimètre de 7 à 77 ans.
Illustration: Bon voyage © X.Deher (Fictional Cover)
Rien des univers évoqués ci-dessous ne sont étrangers au clarinettiste Sylvain Kassap qui éprouvait cependant le besoin d’une sorte de réancrage dans la tradition afro-américaine telle qu’elle a engendré le free jazz et ses dérivés et telle qu’il a pu la fréquenter à travers une relation suivie avec le batteur Hamid Drake. D’où ce Transatlantic 4 dont Les Émouvantes accueillaient la création. Pour ce faire, il garde à ses côtés un complice de longue date, Benjamin Duboc, contrebassiste combinaison solidité et esprit libertaire et lui adjoint en partenaire de rythmique le batteur Chad Taylor, Chicagoan familier des aventures de Rob Mazurek, Jeff Parker, Fred Anderson, Nicole Mitchell et du tromboniste Steve Swell. On avait fait connaissance avec ce dernier aux Banlieues Bleues au siècle dernier au sein d’un explosif trio l’associant à Ellery Eskelin et Joey Baron. Depuis, il est devenu un tromboniste plébiscité par ses confrères comme par presse qui salua en 2018 sa « Music for Six Musicians : Homage à Olivier Messiaen. Soit un pari prometteur entre improvisation free et partitions sous forme de parcours fléchés, quartette hier encore trop frais pour susciter un commentaire éclairé, au-delà d’évidentes qualités individuelles; à moins que la fatigue n’ait joué quelque tour à mon niveau d’attention. Après tout le concert de son Sextette “Octobres” m’avait laissé muet lors de sa création à D’jazz Nevers en novembre 2021, mais m’avait enchanté l’année suivante lors de la sortie sur disque du même programme. À suivre “in progress”, le 29 à Cherbourg.
Ce soir, encore des clarinettes : à 19h le duo de Louis Sclavis et Keyvan Chemirani ; à 20h l’Ensemble Nautilis, formation à géométrie variable opérant à partir Brest et animée avec clairvoyance et détermination par Christophe Rocher, avec : Claudia Solal, Christian Pruvost, Stéphane Payen, Céline Rivoal, Marc Ducret, Fred B. Briet et Nicolas Pointard. Franck Bergerot
* Le trio de Matthieu Donarier (vingt ans et quelques au compteur avec Manu Codjia et Joe Quitzke) tournera en Bretagne en avant-première de l’Atlantique Jazz Festival du 7 au 14 octobre : le 7 à Morlaix, le 8 à Langonnet, le 12 à Trédrez-Locquémeau, le 13 à Crozon, le 15 à Châteaulin.