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Publié le 23 Mar 2025

Lines for Lions pour violoncelle et deux saxophones

Le violoncelliste Vincent Courtois, le saxophoniste ténor Daniel Erdmann et le clarinettiste-ténoriste Robin Fincker créaient leur nouveau programme Lines for Lions ce 21 mars à l’Atelier du Plateau.

Passée la présentation toujours faconde de Matthieu Malgrange qui aime accueillir son public, le préparer, presque le chauffer, parole fut donnée aux animateurs des cinquièmes ateliers du violoncelle dans le cadre desquels se tenait ce concert. Tant pour abréger l’attente du public que faisant valoir la fatigue consécutive à la master-class de l’après-midi qu’elle venait d’animer, la violoncelliste Noémi Boutin passa directement la place à son complice Eric-Maria Couturier qui lut un extrait du poème de Jean Genêt Le Funambule dont les dernières lignes concluaient admirablement cette journée d’ateliers : « Il s’agissait de t’enflammer, non de t’enseigner. » Quant à Vincent Courtois, le troisième partenaire de cette manifestation annuelle parvenue à cette cinquième édition, il fut invité avec ses comparses Robin Fincker (clarinette et sax ténor) et Daniel Erdman (sax ténor), à prendre place sur scène. Pour le quinzième anniversaire de ce trio, un nouveau programme : Lines for Lions. Aux lecteurs des pages, ce titre dira évidemment quelque chose : le fameux contrepoint du pianoless quartet de Chet Baker et Gerry Mulligan sur Line for Lyons.

On en cherchera vainement la trace explicite dans le répertoire du trio, sinon sous la forme d’un certain esprit qui régna sur ce qu’on appelle le “west coast jazz”, en tout cas cette partie du jazz de la Côte Ouest qui, après le double-échouage des orchestres de Stan Kenton et Woody Herman sur les rives du Pacifique, l’enseignement de Darius Milhaud au Mills College d’Oakland et quelques autres coïncidences, vit naître un jazz “blanc”, indentifiable, largement influencé par l’expérience à l’automne 1949 du nonette de Miles Davis, dit “cool”. Un jeu d’étiquettes très controversable si l’on songe Miles et son nonette étaient new-yorkais, que Stan Getz ne séjourna sur la Côte Ouest qu’après s’être forgé une personnalité sur la Côte Est, et que Lennie Tristano et ses disciples Lee Konitz et Warne Marsh n’eurent que peu à voir avec le jazz qualifiable de “West Coast” (Lennie Tristano qui dès 1947 proclamait « Le bebop est cool » dans un article pour Metronome intitulé What’s wrong with the Beboppers).

Or, entendant les deux complices de Courtois chauffer leurs doigts et leurs tuyaux sur la mezzanine du Plateau qui sert de coulisses, c’est bien l’héritage de Konitz et Marsh qu’ils semblaient avoir en tête et que l’on retrouva, après l’annonce d’une composition de Fincker, sous la forme d’une sorte d’hommage direct, citations et emprunts compris, aux unissons et contrepoints des deux disciples tristaniens sur Marshmallow (si ma mémoire n’intervertit pas ici titres et mélodies). Ce n’est pas la seule pièce qui m’évoqua cette famille, mais plus largement, j’ai compris ces Lines for Lions comme une sorte de déclaration d’amour à une certaine époque du jazz, entre “décontraction californienne” et sophistications orchestrales, walking bass féroces (sur lesquelles Vincent Courtois s’en donna à cœur joie), sax battles où la pugnacité le disputait à la camaraderie (on pouvait penser à la fameuse Chase à laquelle se livrèrent Dexter Gordon et Wardell Gray), voire à cette fausse nonchalance avec laquelle Lester Young savait disputer sans pitié la vedette à ses concurrents (relire le chapitre Éloge de la confiture dans le Lester Young d’Alain Gerber).

Donc hommage à “une certaine époque”, plus généreus, plus onirique que précisément historique (une historicité du “west coas jazz” d’ailleurs très discutée par ses historiens-même), où Daniel Erdmann a des accents et des élans renvoyant à Paul Gonsalves, Sonny Rollins, Eddie Davis, Archie Shepp ou George Adams ; où la souplesse de Robin Fincker se montre fidèle à cet esprit de folklore imaginaire qui guide dans d’autres projets son attachement au folk anglais des sixties ; où le violoncelle de Vincent Courtois tend un arc entre les fonctions de la contrebasse dans le jazz qu’il peut assumer avec bravoure, et celle du violoncelle dans la musique de chambre qu’il a fréquentée assidûment, non sans laisser échapper quelque écho de sa pop culture. Le lien le plus évidemment qui résulte ici cette référence à la West Coast restant une relation exigeante et virtuose entre écriture et improvisation dont le Line for Lyons de Chet & Gerry constituait la promesse, promesse tenue par ceux des musiciens dont les noms me vinrent à l’esprit au cours du concert, pour des raisons d’ailleurs très floues : Charles Mingus et Billy Strayhorn, Charles Mingus, Jimmy Giuffre et Mal Waldron… Sans oublier Oscar Pettiford dont Coutrois exposa l’une des compositions – Cello Again ? – dans un grand éclair de joie. Franck Bergerot

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