Le trio du saxophoniste Matthieu Donarier est sur les routes de la Bretagne en avant-première de l’Atlantique Jazz Festival. Premiers concerts ces samedi 7 et dimanche 8, à la MJC de Morlaix avec l’Association Get Open, puis à la Grande Boutique de Lagonnet. Avec le guitariste Manu Codjia et le batteur Joe Quitzke.
Il m’est arrivé de dire dans ces pages que pour aller écouter Matthieu Donarier, je ferais des kilomètres. Et j’ai tenu parole ces derniers jours, puisque j’ai quitté Poitiers en train (2 correspondances, certes avec une étape au Pannonica de Nantes pour la version 2.7 de The Bridge initiée par Gilles Coronado) et rallié le Morbihan d’où je me suis rendu en voiture à Morlaix, 3 heures aller-retour dans la soirée hier, et aujourd’hui à Langonnet, 1h15 aller-retour aujourd’hui-même. Certes, comme les jours précédents dans le Poitou, ces déplacements furent ponctués de quelques écarts : un détour avant Morlaix par Lamneur pour visiter la fascinante crypte de l’église Saint-Melar où l’on tient à peine debout parmi ses énormes piliers ornés d’étranges végétaux ; et à Langonnet où, avant de gagner La Grand Boutique, s’impose un passage par l’étrange mélange de genres de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul et notamment ses étonnants chapiteaux romans.Mais venons-en à l’essentiel : le trio de Matthieu Donarier. Bientôt 25 ans que le saxophoniste propose des partitions à Manu Codjia et Joe Quitzke et que ceux-ci s’en emparent, les font leurs, les ajoutant aux précédentes pages de leur cahier. Aussi navigue-t-on de surprises en retrouvailles dans ce répertoire, avec cependant, si l’on fréquente le trio depuis des lustres, le sentiment d’être chez soi, c’est-à-dire bien chez eux. Il y a d’abord ce son de ténor que Donarier fait sonner comme une cloche en ouverture du concert de Morlaix, quelque chose de clair, de franc, de limpide, d’une justesse infaillible ; celle délicatesse avec laquelle il aborde les angularités de Psalm (Paul Motian) comme il le ferait d’une comptine pour accueillir le public de Langonnet ; ces effets de transparence qui nous font deviner dans une introduction vagabonde et a capella la mélodie de Le Temps ne fait rien à l’affaire (Georges Brassens), puis la bravoure avec laquelle il fonce comme la crue d’un torrent à travers les échos harmoniques qui en restent passé l’exposé ; la narquoiserie de ses slaps lorsqu’il lance Le Roi des cons (du même Brassens) sur un tempo de reggae également assumé par ses comparses. Beaucoup d’emprunts, ceux que l’on sait nommer ici, notamment à l’étrange, visionnaire et crépusculaire Nuage gris du dernier Liszt (dont il nous avait déjà offert, non moins fascinante, La Lugubre Gondole), ou à une Gnosienne de Satie.
Lorsque le trio s’attaque à Thelonious Monk avec la pantalonnade de We see, on pense évidemment au fameux Trio de Paul Motian avec Joe Lovano et Bill Frisell, références évidentes pour chacun des trois membres du groupe, et pourtant la comparaison s’oublie vite, tant les trois musiciens ont su prendre leur distance d’avec ce qui n’auraient pu être pour eux que des modèles. Manu Codjia est d’une intériorité impressionnante, concentré sur son admirable travail de voicings, d’énoncé polyphonique où l’on voit sa main se dédoubler entre le pouce dévolu aux lignes de basse et les autres doigts sur les cordes aigües, jusqu’à d’effarants dérapages contrôlés. C’est une attention toute aussi grande qu’il porte aux sons : si sa valise d’effets porte bien mal son nom, rien n’étant ici gratuit, la pédale de volume mérite bien cet autre nom de pédale d’expression. Joe Quitzke est admirable de rigueur dans la plus grande liberté (choix des frappes, choix des sons, choix des volumes, choix des non-dits), toujours “à côté” tout en étant totalement “dedans”, endossant soudain une parfaite partie de chabada aux balais sur Wee See et réinventant la partie de Ben Riley sur les solos. Tout est bon chez eux, il n’y a rien à jeter, et l’on peut s’attacher à la partie de l’un ou l’autre, mais c’est toujours pour mieux entendre l’ensemble tant ces trois musiciens sont solidaires. Et ils le seront plus encore au fil des concerts de cette tournée en avant-première de l’Atlantique Jazz Festival : le 12 au Café Théodore de Trédrez-Loquémeau, le 13 à l’Améthyste de Crozon, le 15 à Run ar Puns de Châteaulin. Franck Bergerot