Michael Cuscuna sous toutes ses faces
En septembre 1999, Philippe Carles et Fred Goaty avaient rencontré le grand producteur Michael Cuscuna, disparu le 20 avril dernier. Un entretien passionnant réédité pour la première fois.
Depuis la fin des sixties, tout s’enchaîne naturellement pour Michael Cuscuna : animateur radio, critique spécialisé, organisateur de concerts, discographe puis producteur. Et non content de superviser ses propres séances, il réédite celles de ses confrères depuis le milieu des seventies : Blue Note, Impulse… Il a même créé sa firme : Mosaic. Rencontre avec un jazzfan qui a réalisé tous ses rêves.
Depuis quand travaillez-vous pour Blue Note ?
1975. J’ai toujours été un fan de Blue Note. Quand j’ai commencé de produire des disques, au début des années 1970, j’entendais souvent les musiciens, pendant les enregistrements, lors des pauses, parler de leurs séances pour la firme d’Alfred Lion. Selon eux, certaines n’avaient jamais été publiées… Je me suis mis alors à prendre des notes sur un carnet spécial. En 1973, j’ai décidé de partir à la recherche de ces enregistrements oubliés, de fouiller les archives pour écouter toutes ces bandes. Dans ces années-là, aux Etats-Unis, il se passait peu de choses dans le domaine du jazz, au niveau phonographique. Et je me suis dit : « Trouver plus d’Hank Mobley, d’Andrew Hill ou de Lee Morgan serait formidable ! ». Mais ça n’intéressait personne. Finalement, ayant produit un disque de Chico Hamilton pour Blue Note, nous sommes allés en Californie pour le mastering, là j’ai rencontré Charles Lourie qui venait d’être nommé responsable de Blue Note. A peine lui avais-je montré mes notes qu’il m’a dit : « Vas-y, fonce, tu peux commencer demain… ». Et je me suis plongé dans les archives, qui se trouvaient sous les anciens studios Pacific Jazz, à Los Angeles, 3e Rue. Je pensais que ce serait facile, croyant que toutes les informations seraient sur place… En fait, il y avait des centaines de boîtes de bandes master avec pour seule indication « Jackie McLean, 17 avril 1962, bande un, deux, trois ». Aucun nom de sidemen, ni de thèmes, rien… L’exploration a donc duré longtemps. J’envoyais des copies sur cassette aux musiciens, qui me répondaient : « Là, ça sonne comme Elvin, je lui envoie la cassette… ». Peu à peu, j’ai réuni toutes les informations dont j’avais besoin, en procédant comme si je soumettais chaque musicien à un blindfold test… Cinq ans plus tard, quelqu’un a découvert un carnet tenu par Alfred Lion, avec les détails concernant des sessions inédites : je ne suis pas peu fier de dire que nous avions 98% de bonnes réponses… Je me souviens avoir demandé à Andrew Hill s’il avait lui aussi participé à des séances qui n’avait jamais paru, il m’a dit : « Oui, au moins douze ou treize ». Il en a établi une liste, avec le personnel pour chacune, mais pour deux il s’est trompé de contrebassiste et de batteur… Le plus difficile, dans ces recherches, a été de trouver le titre de chaque composition.
Ces enregistrements inédits, je les ai publiés jusqu’en 1981, avec plus ou moins de régularité. Quand nous avons cessé, et qu’Horace Silver, le dernier artiste enregistrant pour Blue Note, est parti, ç’a été officiellement la fin du label, qui à l’époque appartenait à Emi. En 82 – j’étais sans travail – Charlie Lourie et moi avons fait une position pour seule indication à Capitol, qui faisait aussi partie d’Emi, pour réactiver Blue Note : nouveaux enregistrements, nouvelles rééditions, coffrets… L’idée de ces coffrets me vient des années 1970, quand je passais des journées à classer, trier, répertorier les enregistrements dans les archives Blue Note (et Pacific) : j’espérais que ce travail servirait à quelque chose, et un jour je suis tombé sur trente minutes vraiment exceptionnelles – morceaux inédits, versions alternate… – de Thelonious Monk. Comme ce n’était pas assez pour faire un album, je me suis dit que le mieux serait de prendre les autres morceaux de Monk du catalogue Blue Note – qu’Alfred avait parfois inclus sur des disques d’autres musiciens, comme Milt Jackson – et de les réunir chronologiquement.
Ce projet faisait partie de ma proposition de réactivation de Blue Note. Capitol nous a répondu qu’ils n’étaient pas prêts à refaire du jazz, préférant travailler sur le rhythm’n’blues, la country, mais ils nous ont promis qu’il se consacreraient au jazz plus tard. Charlie et moi, continuant de penser que cette petite idée des coffrets était peut-être une grande idée, avons alors jeté les bases pour créer Mosaic Records, de manière à approfondir cette idée du Complete Chronological Box Set. A l’époque, seuls Columbia (avec les coffrets “Swing Street”, Woody Herman ou Fletcher Henderson dans les années 1960) et Prestige (“The Complete Miles Davis On Prestige”) en avaient déjà publié. Mais nous étions en 1982 : l’industrie phonographique, comme la scène du jazz, n’étant pas en bonne santé, nous avons commencé très doucement. Peu à peu, les choses se sont mises en place.
Deux ans plus tard, Bruce Lundvall m’a appelé : ayant quitté Elektra, il créait un label pop pour Emi à New York, et avait inclu dans son contrat la volonté de faire renaître Blue Note. Il m’a invité à New York et je me suis mis au travail… J’avais alors deux boulots à temps complet : Mosaic et Blue Note. Mais vu la taille d’Emi, je pensais que le “nouveau” Blue Note allait disparaître au bout de deux ou trois ans – heureusement, j’avais tort…
Reste-t-il encore beaucoup d’inédits Blue Note ?
Je travaille à une nouvelle version de la discographie Blue Note avec Michel Ruppli. Il y a des additions et des corrections… Pour ce qui est des séances entre 1965 et 85, j’ai dû publier plus d’une centaine d’albums d’inédits. C’est quasiment exhaustif. Il y en a encore, mais, à mon avis, pas du niveau… Comme cette séance de Bobby Hutcherson de 1963, sa première pour la firme en fait, avec le groupe qui a enregistré “Idle Moments” de Grant Green : je n’avais pas été très excité en l’écoutant – peut-être avais-je tendance à la comparer au disque de Grant… Il y a aussi pas mal de Three Sounds inédits, mais tous dans la même veine, et je ne pense pas que ça intéresse beaucoup de gens… Il y a encore des inédits d’Andrew Hill que j’aimerais publier, mais à l’exception de “Point Of Departure”, ses disques ne se vendent pas bien du tout. J’ai publié tout ce qu’il a fait entre 1963 et 67 – qui compte pour moi parmi les plus belles musiques enregistrées – dans un coffret Mosaic, mais même sous cette forme, nous avons eu du mal à le vendre… Je ne sais pas pourquoi Andrew est sous-estimé à ce point, peut-être à cause de l’aspect “sombre” de sa musique. Beaucoup de gens ont du mal à y entrer… De toute façon, il est rare qu’un disque, quel qu’il soit, se vende mieux quand il est réédité que lors de sa première parution. “Kind Of Blue” de Miles Davis se vend toujours, alors qu’il a été réédité plusieurs fois, mais si vous rééditez “Miles Smiles”, même de la meilleure façon possible, il se vendra moins bien. On peut inverser la tendance, mais rarement : après le coffret Mosaic de Herbie Nichols, repris par Blue Note, je crois que jamais la musique de Nichols ne s’était si bien vendue. Cela dit, on réédite trop de disques aujourd’hui, les ventes globales en souffrent.
Quel est le “best seller” sur Blue Note ?
Sans doute “Blue Train” de John Coltrane, un de ces disques qui, comme “Kind Of Blue”, font partie de la discothèque de tout jazzfan, même celui qui n’a que huit disques. Depuis 1984, aux Etats-Unis seulement, près de 300 000 exemplaires de “Blue Train” se sont vendus, et au Japon il a été réédité six fois en dix ans… Après, la meilleure vente est “Somethin’ Else” de Cannonball Adderley, et ensuite “The Sidewinder” de Lee Morgan et “Song For My Father” d’Horace Silver.
Avez-vous eu des difficultés pour recréer une image, un style, un son Blue Note au milieu des années 1980, quand Bruce Lundvall a décidé de faire renaître le label ?
Nous avions une idée précise de ce que devait être Blue Note. Une de nos volontés était de ré-enregistrer tous les musiciens de l’ère “classique” du label encore en activité : McCoy Tyner, Freddie Hubbard, Kenny Burrell, Tony Williams… Nous voulions aussi faire des disques qui puissent se vendre, mais ni Bruce ni moi n’étions arrangeurs, et nous n’aimions pas le son des albums “pop-jazz” qui paraissaient alors, le style GRP notamment. Nous voulions signer des artistes vraiment originaux susceptibles de plaire, pas seulement aux purs et durs, des jeunes musiciens dans la tradition. Ce n’était pas facile.
Nous avons créé le groupe OTB [“Out Of The Blue” ]. Après les années “fusion”, il n’y avait pas beaucoup de jeunes musiciens de jazz susceptibles d’être enregistrés. Par chance, dans un genre plus “crossover”, Bruce avait entendu le guitariste Stanley Jordan (au JVC Jazz Festival), qu’il avait même contacté lorsqu’il était encore chez Elektra. Dianne Reeves aussi nous a impressionnés à cette époque, nous aimions ses disques Palo Alto et pensions qu’elle pouvait faire mieux dans ce genre – George Duke a accepté de produire pour elle. Peu à peu, nous avons eu un certain succès dans le jazz crossover, mais loin de ce jazz “lisse” qui nous déplaisait – je serais incapable de distinguer un “bon” disque des Rippingtons d’un “mauvais”… Heureusement, nombre de musiciens talentueux se sont révélés au cours des années suivantes.
Et Michel Petrucciani, ç’a été un miracle pour Blue Note…
Oui ! Il avait attiré notre attention quand il jouait dans le groupe de Charles Lloyd, et aussi avec ses disques produits par George Wein, comme “100 Hearts”. Il a été un des premiers artistes straight ahead à être signé sur Blue Note.
Il semble y avoir aujourd’hui moins d’artistes “d’avant-garde” sur Blue Note…
Pas d’accord… Il y a Greg Osby, Jason Moran…
Mais rien d’aussi “osé” qu’un David S. Ware sur Columbia…
Certes, mais nous avions Don Pullen il y a quelques années… Jadis, il y avait une scène, une vraie scène, Wayne Shorter, Tony Williams, Freddie Hubbard… Les musiciens s’entraidaient, puis à Paris, avec les séances BYG-Actuel, il y a eu aussi une vraie scène…
Quel artiste aimeriez-vous prendre sous contrat aujourd’hui ?
Il faudrait que je réfléchisse… Plus que tout, j’aimerais que nos artistes soient écoutés et acceptés par encore plus de monde. Mark Shim, Stefon Harris, Greg Osby surtout… Vous m’auriez posé cette question il y a huit mois, j’aurais répondu Andrew Hill, Joe Chambers, James Spaulding… Plus jeune ? Je dirais Mark Turner, mais il a signé pour Warner… Cette époque est frustrante : il y a beaucoup de musiciens talentueux, la scène jazz s’est à nouveau largement internationalisée, mais donner une audience sérieuse à tous est difficile.
Êtes-vous surpris par le succès de Cassandra Wilson aux Etats-Unis depuis qu’elle enregistre pour Blue Note ?
Nous l’avons signée parce que nous pensions qu’elle avait une voix unique, un feeling merveilleux. Nous ne pensions pas qu’elle allait avoir un tel succès. Je ne savais pas qu’elle était à ce point passionnée de blues, mais aussi par Joni Mitchell, Bonnie Raitt… Nous l’avons encouragée à être elle-même – « Tu n’as pas à être M-Base, ou à faire un disque de standards, sois Cassandra ! ». C’est une réussite complète : nous avons poussé une musicienne à être elle-même et, en plus, le succès commercial a été immense.
Il y a beaucoup de séries de rééditions différentes sous étiquette Blue Note : “Connoisseur”, “RVG” [ndlr: pour “Rudy Van Gelder”, ingénieur du son des séances Blue Note], digipacks français… Difficile de choisir parfois…
Je sais, je reçois des e-mails chaque jour à ce sujet ! C’est un peu confus… Entre l’Europe et les Etats-Unis, parfois, le son est identique, nous utilisons les mêmes masters. Le son est différent au Japon en revanche. La série “RVG” a été conçue par le responsable japonais de Blue Note, qui était là avant Bruce. Il m’a demandé d’appeler Rudy car il voulait avoir l’ingénieur du son original pour procéder au remastering. Je lui ai dit que j’essaierais, sachant que Rudy n’aime guère revenir sur le passé. Mais Rudy a adoré l’idée – plus il s’y plongeait, plus il l’aimait. Si j’ai finalement décidé de publier ces rééditions (à l’origine réservées au marché japonais) aux Etats-Unis puis en Europe, c’est que les titres les plus populaires ont été ceux qui ont été réédités au début du CD, alors que nous pouvons aujourd’hui aller plus loin en termes de qualité – la technologie progresse si vite. Aujourd’hui on peut se rapprocher du son des microsillons avec les avantages du CD. En fait, le meilleur du catalogue Blue Note avait souffert du plus mauvais traitement. Au début du CD, nous sommes allés trop vite, sans savoir ce que nous faisions. Si je devais acheter pour la première fois un classique Blue Note, quitte à payer un peu plus cher, j’opterais pour la série “RVG”… Mais le consommateur est en droit de s’interroger : « Dois-je acheter ce disque ? Ne va-t-il pas paraître l’an prochain en “RVG” ? »… Je n’ai pas de réponse. Il est quasiment impossible de coordonner tout ça – Etats-Unis, Japon, Europe… Et puis, dans un futur proche, vont arriver les “DVD-A”… [ndlr : nouveau format cd à capacité de stockage plus élevée – tout Andrew Hill sur Blue Note en un cd ? pos-sible…] Le travail de Rudy peut être considéré comme la dernière “étape”, la définitive.
Paradoxe : des gens achètent à nouveau des 33-tours, notamment sur Mosaic…
A partir de cette année, tout ne sortira pas automatiquement en LP sur Mosaic, comme c’était le cas jusqu’alors. Nous perdons de l’argent avec le format LP. Il y a deux catégories d’acheteurs : les audiophiles, plus concernés par la qualité du son que par la musique elle-même, – ils possèdent des LP Blue Note, qui ont la réputation d’avoir un son formidable, – et ceux qui n’aiment pas le son digital et veulent continuer d’écouter leur musique favorite en 33-tours. Je publie encore quelques Blue Note et coffrets Mosaic en LP, mais c’est de plus en plus difficile. Le LP est mort trop tôt, du moins aux Etats-Unis… parce que les magasins, n’ayant plus les meubles pour les ranger, ne voulaient plus perdre de place avec les 30cm ! Ils sont donc morts avant même que les gens aient renoncé à en acheter ! Si je publie un coffret Hank Mobley en LP, ça marche, mais si je sors un coffret d’Eddie Condon ou de Jack Teagarden, rien ! Les plus vieux jazzfans ne veulent plus être embêtés par les LP, alors que les amateurs de jazz plus moderne sont encore attirés par le 33-tours.
Aucun inédit d’Eric Dolphy ?
Rien en studio, mais j’ai trouvé une bande enregistrée par une station de radio universitaire en 1963 avec Herbie Hancock (p), Eddie Khan (b) et J.C. Moses (dm). Un étudiant, à l’époque, s’était fait une copie de la bande du concert.
N’êtes-vous gêné par le fait que des disques parus à l’origine sur un autre label (United Artists, Pacific…), comme “Money Jungle” de Duke Ellington, par exemple, soient réédités aujourd’hui sous étiquette Blue Note ?
Oui… Au moment où nous avons réédité “Money Jungle” en CD aux Etats-Unis, Blue Note était le seul label jazz disponible – ni Pacific ni Capitol n’étaient réactivés. Si aujourd’hui je devais rééditer ce disque, je le mettrais sur Capitol Jazz. Avec United Artists, le problème est simple : pour des raisons contractuelles, nous ne pouvions utiliser le nom. Or ces disques ont besoin d’un gite…
Blue Note et Mosaic ne constituent pas vos seules activités…
Je supervise aussi la série des rééditions Miles Davis sur Columbia – il y avait dans les archives Columbia tant de choses qu’on ne pouvait entendre… Peu à peu, nous avons supprimé ces horribles rééditions avec le cadre pourpre. Puis Steve Berkowitz et Kevin Gore ont décidé de repartir à zéro, de faire dans le style Mosaic. J’ai prévu sept “coffrets-concepts” de Miles, des débuts sur Columbia à 1971. Nous venons d’en achever deux, qui n’ont pas encore paru : l’un regroupant les enregistrements de Miles avec John Coltrane – l’intégrale studio, plus les live à Newport et “Jazz At The Plaza”, avec de nombreuses alternate takes inédites et formidables : Straight No Chaser, Milestones, Two Bass Hit, et quelques faux départs, notamment des séances “Kind Of Blue”…
N’est-ce pas une manière de voyeurisme de publier tout ce qui se passe dans un studio lors d’une séance, comme, par exemple, certains moments qu’on retrouve dans l’intégrale Verve de Billie Holiday ?
Oui, tout à fait. Pour Billie, c’était l’idée de Phil Schaap. Nous avons des philosophies très différentes. Ce n’est pas parce que les bandes ont tourné que le monde entier doit les entendre… C’est une atteinte à la vie privée. J’ai inclu une prise incomplète de Freddie Freeloader pour la beauté me semble-t-il incontestable, de l’introduction de Wynton Kelly. Il y a aussi l’enregistrement d’une conversation de deux minutes entre Miles et un musicien venu lui rendre visite en studio : Leonard Bernstein… C’est très intéressant. De plus, “Milestones”, depuis sa parution, n’était disponible qu’en mono, ou en horrible stéréo. Lors de mes recherches pour ce coffret, j’ai trouvé un master impeccable, en vraie stéréo d’un bout à l’autre. Le son est formidable.
L’autre coffret que nous avons terminé s’articule autour des sessions d’“In A Silent Way”, c’est-à-dire de “Filles de Kilimanjaro” à une séance inédite juste après “In A Silent Way”, avec Joe Chambers à la place de Tony Williams. Puis nous publierons un coffret qui pourrait s’intituler “Seven Steps To Berlin” : de “Seven Steps To Heaven” aux enregistrements se situant juste avant “Miles In Berlin”, quand Wayne Shorter rejoint le quintette. Ensuite, il y aura la “Jack Johnson Box”, les “groupes guitare” – John McLaughlin, Sonny Sharrock… – de Miles, juste après les séances “Bitches Brew” et jusqu’au milieu de 1971. Je pense qu’il y aura aussi deux doubles CD de Miles en concert au Blackhawk, avec Hank Mobley au sax, dont j’aimerais réévaluer la contribution, même si l’on dit souvent qu’il n’a pas spécialement brillé avec Miles – que pouvait-il y avoir de pire pour un saxophoniste que de succéder à Coltrane ? Je pense que Mobley est un des plus grands ténors.
Que pensez-vous du travail de Bill Laswell sur les bandes de Miles ?
Philosophiquement, je suis contre le fait de prendre une musique pour essayer de faire autre chose avec. Mais je suis content que certains rappeurs aient fait ce qu’ils ont fait : ils ont fait redécouvrir une partie du jazz dans le monde entier. Musicalement, le projet de Bill Laswell – qui au départ m’intéressait – m’a surpris par sa sagesse, je m’attendais à quelque chose de plus excitant, ça ne sonne finalement que comme de la new age ou quelque chose comme ça…
Et Impulse, dont vous suivez aussi l’évolution ?
Il y a du boulot ! Bien qu’il ne reste pas grand-chose qui soit complètement inédit. Concernant Coltrane, je pense qu’il y a encore des choses à faire. Ravi, son fils, possède des bandes dont les masters ont été perdus. Par ailleurs, j’aimerais publier des enregistrements de toutes ses tournées européennes : 1961, 62, 63, à partir des meilleures bandes possibles, et faire un coffret pour chaque tournée. Il y a trop de pirates de ces tournées, et si bien présentés parfois qu’ils ont l’air légitimes…
Et cette version de A Love Supreme avec Archie Shepp ?
Je l’ai écoutée : elle est incomplète, les masters sont introuvables, le son est mono, il n’y a que le premier mouvement, et un joueur de conga inconnu. Archie et John expérimentaient, ce n’est pas très bon, je dirais même que c’était… le bordel. Je pense que ça ne vaut pas la peine d’être publié. Moi aussi, je croyais que c’était la version complète de A Love Supreme, avec un nouvel arrangement, mais nous en sommes loin…
Traduction Frédéric Goaty
Repères
1948 Michael Cuscuna naît le 20 septembre à Stamford (Connecticut), où se trouve aujourd’hui le siège de Mosaic Records.
1960 Sa passion du jazz l’amène à étudier la batterie, puis le saxophone et la flûte.
1966 Conscient qu’il ne sera jamais musicien professionnel, il entre à la Wharton School of Business de l’Université de Pennsylvanie, avec l’idée de créer un jour sa propre compagnie de disques. Puis il suit des cours de littérature tout en animant une émission de jazz sur WXPN, la station de l’université, ce qui l’amène à travailler les disques ESP et à écrire dans Jazz & Pop et Down Beat.
1967 A Philadelphie, il organise des concerts (Paul Bley, Joe Henderson…). A Chicago, il produit, avec son propre argent, un enregistrement du guitariste George Freeman (qui paraîtra sur Delmark). Ses amitiés dans le milieu du blues lui permettent de produire des disques de Buddy Guy et Junior Wells pour Vanguard et Blue Thumb. A la fin des années 60, il s’impose comme un des pionniers des “radios libres”, puis, pour Atlantic, produit des enregistrements de Garland Jeffreys, Oscar Brown Jr., l’Art Ensemble of Chicago…
1979 Depuis que le magazine Down Beat a créé le référendum international des critiques, Cuscuna est élu “producteur de l’année” à plusieurs reprises.
1986 Il assure la coordination musicale du film Autour de minuit.
1989 Cosigne avec Michel Ruppli The Blue Note Label : A Discography (Greenwood Press).